Turenne vers 1936
La carte postale reproduite sur cette page date de 1935 ou 1936. On aperçoit en effet à droite, derrière le double poteau électrique et le premier des Trois platanes du café du même nom, la Salle des Fêtes construite en 1934-35. C’est jeudi, jour de marché : les Arabes du bled ne venaient pas si nombreux les jours ordinaires et, assez clairsemés au premier plan, on les voit beaucoup plus denses au fond, vers le marché.
Si nous étions en août ou septembre 1936, nous ne tarderions pas à voir passer trois ou quatre cars bondés de Républicains espagnols qui, passés de malaga au Maroc, rejoignaient ainsi Oran, par convoi chaque quinzaine, pour réembarquer vers Valence ou Barcelone et y poursuivre la guerre. A la traversée du village, ils levaient le poing hors des vitres baissées et chantaient l’Internationale ou des chants révolutionnaires espagnols ; avertis par je ne sais quel téléphone nous étions nombreux, enfants désœuvrés du jeudi, à les attendre et à les saluer en levant le poing comme eux. Il y avait peut-être plus bas d’autres enfants qui eux, leur faisaient des bras d’honneur. Turenne était alors, pourquoi le cacher, très partagé par la politique ce qui n’empêchait pas, à l’école, à la chasse, autour du stade ou au bal, les amitiés et les amours ignorantes des opinions. Les barrières ethniques ou religieuses étaient, elles, plus difficiles à franchir.
A gauche, au premier plan, c’est l‘épicerie de Mimoum. On lit sur la façade TABAC, EPICERIE, FAÏENCE. Est-ce Popaul et son père sur le seuil et Gogo dans l’ombre du jeune arbre ? Sauf erreur, ensuite, on a l’épicerie de Benabadji, puis la cordonnerie puis le café maure qu‘évoque Marcel Ringenbach ci-dessous. La grosse voiture à droite est celle d’un étranger arrêté au restaurant Marcovich. Les douze ou quinze autos qui existaient alors à Turenne ne roulaient pas pour se déplacer dans le village mais pour en sortir, et suffisamment loin pour justifier un allumage du moteur qui n’était alors pas instantané.
Guy Couvert
Les odeurs
« Il y avait dans la rue centrale en face du café Marcovich, un cordonnier et à côté soit un café maure soit une épicerie, peut-être les deux. Je me revois gamin en culotte courte, déambulant sur le trottoir, humant l’odeur du café grillé qui se dégageait d’un de ces appareils rustiques mû par une manivelle dont le crissement des graines dans le cylindre était rythmé par le grincement de l’axe dans ses supports. Lorsque je passe, maintenant, près de l’officine d’un torréfacteur, il en existe encore, je me revois immédiatement à Turenne, rajeuni et guilleret.
Marcel Ringenbach
La Source Folle N° 14 – Décembre 1991