Toponymie
L’Agrandissement : au sud-ouest du village, cent soixante-dix hectares de terrain pris en 1915 sur la forêt de Tamaksalet pour être lotis et concédés à ceux des premiers colons du village qui lui étaient restés fidèles. Cela agrandissait de six ou sept hectares chacune des concessions primitives.
L’Aïn-Bou-Lardjouf : el aïn = la source. Bou = père, mais dans les noms de personne : celui qui…, l’homme au…, dans les noms de lieu : là où se trouve…, l’endroit au… Pour Lardjouf, faut-il lire el Arjouf, de la racine RJF = trembler, palpiter, retenir (le tonnerre) et son composé ARJF : faire trembler, être agité, semer des bruits alarmants ? Ce serait donc La Source de l’Homme qui gronde, ou plutôt La Source de l’endroit qui fait trembler ce que les caprices de cette source vauclusienne peut expliquer. Avant la fondation du village, la région était fréquentée par les Ahl Ghafer, semi-nomades qui deux fois l’an déplaçaient tentes et troupeaux entre la basse Tafna où ils semaient à la fin de l’automne l’orge qu’ils fauchaient à la fin du printemps, et les hauteurs de Sidi-Yahia où ils paissaient leurs bêtes de juin à octobre. On imagine les gens endormis sous les tentes, lors d’une étape au-dessus de l’oued Barbata, soudain secoués par le réveil brutal de la source dont le siphon vient de se réamorcer à la suite de longues pluies sur les montagnes environnantes. Le caractère démoniaque de cette source ne leur faisait aucun doute. Moins superstitieux, nous nous étions contentés de la juger insensée et de l’appeler La Fource Folle.
Le Bab : La porte, le col, en arabe. C’était le point haut du chemin menant du village vers la ferme Malan et Moutas. Là finissaient les cultures (de l’Agrandissement) et commençait la forêt. Dans les terrains gréseux poussaient en épais fourrés les arbousiers mêlés au laurier-tin. On y venait au printemps pour les fleurs blanches et à l’automne pour les fruits rouges.
Le Bassin Moréty : en bordure de la route de Remchi, alimenté par la Petite Source, il irriguait des jardins à proximité, ayant appartenu autrefois à Edouard Moréty. On s’y est baigné quelquefois.
Le Bivouac : à l’ouest du village, aux abords du cimetière, un terrain réservé au campement des compagnies de tirailleurs qui, se rendant à pied de Tlemcen à Marnia, faisaient étape au village. Rarement occupé de notre temps, il était encombré de palmiers-nains et d’asphodèles. Les scorpions n’y manquaient pas.
Le Camp des Italiens : un canton de la forêt de Tameksalet, entre la route de Marnia et le chemin de fer, où l’on pouvait, entre les thuyas et sous les fenouils, distinguer les traces des socles maçonnés d’anciens baraquements depuis disparus. Ils avaient abrité vers 1908 les constructeurs de la voie ferrée et du viaduc de Sidi-Medjahed.
La Fontaine du Génie : à quatre kilomètres au nord du village, à l’intersection de la route de Remchi et de la première route, depuis abandonnée, construite en 1843 par les soldats du Génie pour relier Tlemcen à Marnia.
Le Pont en Fer : le viaduc du chemin de fer qui traversait l’oued à quelques centaines de mètres du Tournant Fabre. Il dominait fièrement le petit pont de pierre enfoncé dans l’étroit virage de la route de Tlemcen.
La Source du Boulet : sur le chemin de Moutas, en contrebas d’un petit marabout qui conservait un boulet de canon qu’on prétendait dater de la conquête. Non loin de là eut lieu la première embuscade meurtrière dans laquelle tombèrent une dizaine de jeunes soldats de France en 1956. A cent quinze ans de distance, l’endroit confirmait sa valeur statégique.
La Source du Caroubier : dans un virage de la route de Tlemcen, au bord de l’oued. Un magnifique caroubier abritait le repas et les jeux de la mouna à Pâques. Tout a disparu quand la route a été redressée à la suite du sabotage du pont par les fellagas.
La Petite Source (Aïn et Touame), le plus proche du village, à deux cent mètres au nord-est des dernières maisons. On essayait d’attraper entre deux doigts ses petits geysers de sable. Le ruisselet bordé de saules et de lauriers-roses qui en sortait aboutissait, à moins d’un kilomètre, dans un réservoir d’arrosage, le bassin Morety.
Le Tournant Canicio : en cet endroit, sur la route de Marnia, au temps où la forêt de Tameksalet était assez épaisse pour cacher une embuscade, les brigands avaient attaqué la diligence conduite par Canicio.
Le Tournant Fabre : le virage par lequel se terminait la plus longue ligne droite – deux mille deux cents mètres ! – que se permettait la route de Marnia à Tlemcen à l’occasion de la traversée du village et de campagne immédiate. La ferme Fabre était juste après le virage. A l’intérieur de la courbe, au milieu des champs, tombait en ruines la modeste maison Ducros, plus anciennes que le village. A l’autre bout, vers l’ouest, était le Tournant de Barbata.
La Tranchée Schwall : la grande tranchée du chemin de fer, vers Marnia, juste avant l’immense remblai sous lequel coulait, en tunnel, l’oued Barbata. La concession Schwall était à proximité.
Le Trou de Négro : L’oued Barbata limitait notre territoire au sud et à l’ouest. Venu de la montagne il descendait vers la Tafna par paliers successifs aboutissant chacun à une petite cascade qui creusait au-dessous d’elle un trou, une guelta. L’un d’eux, au droit de la grande Source, plus large que les autres mais peu profond, fut notre piscine d’été dans laquelle nous apprenions à nager sans risque, c’était le Trou des Tortues. Bâillant au soleil sur le rocher lisse de la rive, la tête dressée au bout de leur cou étiré, elles plongeaient dès que nous dévalions le ravin. En aval, non loin du pont, était un autre trou où, des années plus tard, lors d’une classe-promenade avec les quarante-huit élèves de mon CP, je dus plonger tout habillé pour sortir le petit Julien tombé à l’eau. Il y avait enfin, entre les deux, le Trou du Négro, le plus profond, le plus mystérieux, le seul inquiétant, creusé par la plus haute des cascades, à l’ombre d’une falaise de travertin qui cachait si bien le soleil qu’elle était garnie de capillaires au ras de l’eau. La légende disait qu’un nègre s’y était noyé et que son corps aspiré par le tourbillon n’avait jamais reparu. Par gros temps, on l’entendait appeler sous l’eau. Histoire inventée, je crois, par nos parents pour nous effrayer et nous dissuader de nous baigner là, ce qu’en effet nous n’avons jamais fait. En réalité, le lieu tenait son nom d’un jardinier des Lamassoure qui avait sa cahute au-dessus du ravin. Hormis ce jardinier, on ne voyait de Noirs au village – et pour les désigner, nous avions emprunté le mot espagnol – que ceux qui, venus du lointain du Sahara, passaient périodiquement et faisaient la quête en dansant et jouant des cymbales autour d’un bœuf habillé d’oripeaux ; nous les appelions, je ne sais pourquoi, les Madame Bonno.
Guy Couvert
La Source Folle N° 26 – Automne 1995