Noms de lieux
Les noms propres
Nous avons eu, en 1936 je crois, pendant quelques mois, un camarade étranger au village que nous n’avons jamais appelé autrement que Tlemcénien, car il se vantait en effet de venir de Tlemcen. Son nom réel, personne ne s’est soucié de le savoir. Ainsi autrefois nos aïeux ont pu recevoir un surnom inspiré d’un lieu et qui aujourd’hui peut donner une double indication sur leur origine : la plus ancienne qui dit d’où ils arrivaient ou dans quel site caractéristique ils habitaient quand on les a surnommés, la seconde, le pays des gens qui les ont surnommés. Ainsi les ascendants de l’instituteur Oudjdi originaires d’oujda avaient été surnommés dans un pays de langue arabe, sans doute Tlemcen, tandis que Biscaïno a des aïeux qui ont quitté de longue date la Biscaye, province basque, pour vivre en pays castillan.
En pays arabe, les Touati venaient du Touat, au Sahara ; les Lebahr aussi peut-être mais après avoir quitté le Tell pour ces oasis sahariennes où le Nord est appelé el Bahr (la Mer).
En pays espagnol, l’aïeul des Navarro avait quitté la Navarre, celui des Santiago ou des Saragozas, Saint-Jacques (de Compostelle ?) ou Saragosse, et celui des Bretonès la Bretagne. Les premiers Castillo, La Torre, Torrès, habitaient au château, au pied de sa tour ou près de vieilles tours. Barranco avait sa maison dans un ravin, Valverde dans un vallon verdoyant, Belmontès sur de belles collines, Roblès et Deroblès à proximité de chênes remarquables, Parra près d’une vigne qui avait grimpé à un arbre, une treille. Pour Florès on peut hésiter entre un nom de lieu rempli de fleurs et un matronyme, celui d’une aïeule baptisée ainsi (pour Maria de las Flores).
Plâ me semble catalan : la maison était, en montagne, sur un replat, un plan. Le nom des Arnau (francisé en Arnaud en 1790) vient peut-être de celui d’un village proche de Barcelone et pourrait être pré-celtique (creux du ruisseau).
Schwall et Ringenbach sont des noms germaniques. Un ruisseau nommé Schwall se jette dans le Rhin en face du rocher de Loreley ; le mot signifie masse d’eau, flot débordant. On doit pouvoir trouver en Alsace ou en Suisse alémanique un ruisseau ou un lieu nommé Ringenbach (ruisseau en anneau, méandre ?)
En France occitane, les noms Saint-Sernin et Saint-Gaudens (huit St-Sernin en France dont six dans le midi mais un seul St-Gaudens, sans compter les hameaux et lieux-dits inconnus) donnent probablement l’origine géographique de l’aïeul ; Thorignac, introuvable dans l’annuaire des communes, est certainement un hameau des Charentes, du Quercy ou du Périgord. Viala, si l’aïeul était Cévenol, avait quitté son bourg pour un village voisin plus petit (sinon le nom a pu être un sobriquet) ; Cazaux et Cazelle habitaient une toute petite maison, Lamassoure au contraire une grosse maison dans le Béarn ; Bord et Borel avaient une maison à l’écart du village, une ferme, la maison de Lafon était près de la source, celle de Bosc dans la forêt, celles de Laroque et de Rouquette s’appuyaient l’une à un gros, l’autre à un moins gros rocher, celle des Ducros était dans un creux, celle des Mouilléras dans un bas-fond humide, celle des Barthe au milieu des broussailles, celle de Colombiès près du pigeonnier seigneurial, celle des Cassé et Ducasse (Delcassé francisé) près d’un grand chêne, celle de Castan près d’un châtaignier. La terre des Langlade faisait un angle.
En France de langue d’oil enfin, l’aïeul Gallais venait du pays de Galles en Grande-Bretagne, soldat de la guerre de Cent-Ans peut-être et Brette de l’une ou l’autre des Bretagnes ; Dullin venait du village de ce nom proche de Yenne, Briançon avait quitté sa petite ville des montagnes pour des lieux plus cléments et Damville son bourg pour le proche pays normand. L’ancêtre Deléglise pouvait être bedeau ou avoir sa maison collée à l’église du village, Moulin, sans être meunier pouvait habiter au moulin et Lagrange dans la ferme. Couvert, peut-être bûcheron, vivait « sous le couvert » et Baugier, si l’on est malicieux, dans un fond de vallon fréquenté par les sangliers, mais ce nom est plus probablement un nom de baptême d’origine germanique (Bald-Gan, Audacieux/Lance). Dumont, enfin, habitait là-haut sur la montagne et Roche avait peut-être sa maison adossée à un rocher.
Guy Couvert
La Source Folle N° 14 – Décembre 1991