Les pérégrinations d’un carillon
 
Saint-Mayme, Aveyron, 2 km de Rodez, un soir de février 1964. Une Turennienne native de Cabanac-Cazaux près Saint-Gaudens dans la Haute Garonne, écoutait la radio. Cette Turennienne d’adoption, aussi bien adaptée à notre village qu’adoptée par lui, Marguerite GERMAIN, c’est mon épouse. J’étais alors employé du Conseil Général de l’Aveyron, au Génie Rural, sillonnant la campagne du matin au soir : délivrance de permis de construire, certificats de conformité, conseils aux agriculteurs et autres ruraux pour des maisons, des gîtes ruraux, des étables, bergeries, porcheries … Je ne chômais pas. Donc, elle m’attendait en écoutant la radio, un petit poste T.S.F. rapporté de Nemours. Je suis rentré tard, ce soir-là, après la nuit, vers huit heures et, sans me laisser souffler, elle m’apprend ce qu’elle vient d’entendre, qu’un Pied-noir des Landes avait fait rapatrier la cloche de sa petite église d’Algérie.
Je cours aussitôt chez le curé de Saint-Mayme, à six cent mètres de chez moi, près des Quatre-Saisons et, lui répétant la nouvelle, je lui dis que dans mon village il y a un beau carillon et que si tous les chrétiens s’en vont, on pourrait peut-être le récupérer, sinon tout, au moins la grosse cloche, celle que mes parents ont parrainée et sur laquelle est gravé notre nom. La chose ne tombait pas dans l’oreille d’un sourd : notre curé, l’abbé Lavabre, achevait justement la construction d’une église dans le nouveau quartier des Quatre-Saisons, aux portes de Rodez. Il écrit aussitôt à Mgr Lacaste, l’évêque d’Oran, pour lui demander l’autorisation de rapatrier au moins l’une des cloches. De longues semaines passent sans apporter de réponse et l’espoir allait s’amenuisant.
Cependant des nouvelles parvenaient de temps en temps de Turenne qui disaient les ultimes départs. Le village se vidait de presque tous ses européens. On se mit alors à penser que sans doute l’autorité diocésaine ne voulait permettre l’enlèvement du carillon que lorsqu’il n’y aurait presque plus personne pour l’entendre. En effet, une courte lettre datée d’Oran le 18 avril 1964 arrive enfin qui dit en substance : on ne dépareille pas un carillon, l’ensemble est à vous !
C’est alors que les difficultés ont commencé mais on a été très aidé. Le maire de Rodez, M. Boscary-Monservin, que j’alertai, obtint le transport gratuit par la Marine Nationale de Mers-el-Kébir à Toulon. Le 18 mai, les neuf cloches sont démontées, descendues avec précaution par une équipe formée sur place. André Couvert, le fils de Totor, y a participé je crois. Un petit transporteur local réussit à les amener en deux voyages à Mers-el-Kébir, le 27 mai. Elles n’embarquent que le 2 juillet, le 10 elles sont sur le quai de Toulon. Le 16, le transporteur Marty, de Rodez, les prend en charge et, bénévolement, les porte à destination, dans un fourgon frigorifique.
Bien sûr, j’avais été prévenu de leur arrivée. J’étais seul à la maison, la famille campait à la plage, sous la tente. Or, la veille, qui arrive sans crier gare ? Mgr Lecat, qui ignorait tout de l’affaire. A quoi, à qui attribuer cette coïncidence ? au hasard ? à la providence ? Nous avons donc assisté, lui et moi, à l’arrivée du carillon, vous devinez avec quelle émotion et, je l’avoue, les larmes aux yeux … Durant trente ans elles avaient sonné au-dessus de nos têtes.
Rappelez-vous, depuis la création du village nous étions desservis par l’abbé Salomon qui venait de Marnia remplir son office entre deux diligences, puis entre deux trains ou deux cars. Nous étions cependant mieux lotis que les quelques familles de protestants ou d’israélites qui se réunissaient dans la maison de l’un d’eux et n’avaient que très sporadiquement la visite du pasteur ou du rabbin de Tlemcen : nous avions une maison consacrée et nous l’appelions « l’église ». C’est en 1929 qu’un jeune prêtre, l’abbé Lecat, fut enfin nommé à Turenne et entreprit d’y construire une église (en 1931) et, sur sa lancée, stimulant la générosité de ses paroissiens, de la doter du plus beau carillon de la région : neuf cloches parrainées par neuf familles catholiques du village. Coulées à la fonderie Paccard d’Annecy-le-Vieux, en Haute-Savoie, arrivées et suspendues en mai 1934 au clocher de Turenne, déposées trente ans après, presque jour pour jour, remontées dans leur nouveau clocher en décembre, elles sonnent à nouveau depuis Noël 1964 aux quatre vents des Quatre-Saisons.
Venez donc les entendre !
En résumé
......................1934....................................................................................1964
 
Coulées à Annecy-le-Vieux................le 2 mai,
..........................................................le 18 mai,...................déposées du clocher de Turenne
Embarquées à Marseille...................le 22 mai,
..........................................................le 27 mai,...................emportées à Mers-el-Kébir
Baptisées à Turenne...........................le 7 juin,
............................................................le 2 juillet,.................embarquées pour Toulon
..........................................................le 17 juillet,.................accueillies aux Quatre-Saisons
..........................................................le 20 décembre,.........elles sonnent à Nouveau
 
André Lamassoure . La Source Folle N° 3 mars 1989.
 
Les pérégrinations d’un carillon (suite)
 
Transférées de Turenne à Rodez à l’initiative d’Edouard lamassoure, parties du village le 18 mai 1964, arrivées à demeure le 17 juillet, les cloches du carillon ne sont inaugurées sur leur nouveau clocher des Quatre-Saisons, dans la banlieue de Rodez, que le 20 décembre, il y aura juste 25 ans ces prochains jours. Il a fallu dans l’intervalle fondre une dixième cloche offerte par un paroissien local, refondre la sixième brisée au démontage, construire le beffroi destiné à supporter le carillon et suspendre les cloches sauf les nouvelles que l’on baptisera d’abord.
La dixième cloche, la nouvelle, se nomme Pierrette Marie-Thérèse Michèle ; elle a pour parrain et marraine M. Raymond Marty et Mme Vve Pierre Marty et porte les inscriptions «Bénite par son Exc. Mgr Ménard évêque de Rodez, l’abbé Lavabre étant curé», «St Joseph artisan protégez notre cité» et «Frères d’Algérie, soyez les bienvenus dans notre mère patrie».
La sixième cloche, brisée et refondue se nomme Odile Marguerite Françoise et porte les inscriptions : «A mon premier parrain, M. Cassé, un second est ajouté, M. Edouard Lamassoure, nous lui devons d’être ici» et «Je chante l’espérance des rapatriés d’Algérie, j’exhorte leur courage».
Les journaux locaux font évidemment état de l’événement. Je ne retiendrai que deux extraits du bulletin paroissial  des Quatre-Saisons, l’un du 1.9.1964, l’autre du lendemain de la Fête du 20 décembre 1964.
Extrait du 1.9.1964
Enfin elles sont là ! Après bien des vicissitudes elles sont arrivés jusqu’à nous. On lira plus loin l’article paru dans la presse, et racontant leur odyssée…
Voici quelques détails supplémentaires. La sixième qui a été cassée (son parrain s’appelle M. Cassé ! et est encore en vie dans la région de St-Gaudens) va prendre en ce début septembre le chemin d’Annecy pour être refondue. M. Paccard fondeur qui nous a rendu visite fin août va également construire un beffroi pour suspendre l’ensemble. Nous pensons d’ailleurs y adjoindre une dixième cloche ; Pourquoi encore une ? Pour deux raisons : l’une musicale, l’autre sentimentale…
Ce carillon forme une gamme complète ; si nous l’appelons gamme de do, le dernier degré est un si bémol au lieu d’un si naturel : c’est cette note que nous ajouterons, elle s’intercalera entre la septième et la huitième et pèsera environ 60 kilos. De plus, malgré notre bel héritage et quoique nous ne soyons pas riches, il est normal que nous ayons notre cloche à nous ; c’est elle qui accueillera ses sœurs rapatriées. Pour les générations futures elle portera la date de la bénédiction et de l’installation, tandis que celle qui sera fondue signalera leur retour en France.
Quand aura lieu cette fête – des cloches et des rapatriés - ? Sans doute lorsque Monseigneur sera de retour du Concile.
L’installation moderne de ce carillon, ne se fera que plus tard, car un automatisme complet de volée et de frappe coûtera assez cher. En attendant on tirera sur les cordes, et l’on tapera sur le clavier à main (qui lui aussi est arrivé, avec un peu de retard : il s’était égaré dans le port de Toulon).
Extrait du 20 décembre 1964
Dès le lendemain, les deux cloches neuves retrouvaient leur place au clocher ; désormais elles mêlent leur voix à leurs sœurs aînées, et font de temps en temps résonner leurs chants jusqu’aux collines environnantes. Certes tout n’est pas encore terminé ; il faut faire appel aux sonneurs bénévoles pour tirer sur les cordes, on désirerait avoir un musicien pour seconder M. le Curé et jouer au clavier, des ouvertures seront à pratiquer de chaque côté du toit triangulaire pour permettre l’envol des sons, et un isolant devra être placé, car lorsqu’elles sonnent il est impossible de se faire entendre dans l’église : tout doucement d’année en année quelque réalisation verra le jour.
Notre carillon de 10 cloches est en place : cloches SONNEZ !
 
La Source Folle N° 3 – Mars 1989
 
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