Les noms de famille
Lorsque nous nous amusions à réciter :
« Le cheval a cassé le couvert du plat. » en jouant avec les noms Schwall, Cassé, Couvert et Plâ, nous avions l’intuition que les noms de famille ont, ou ont eu une signification propre, mais comme nous ne savions ni l’allemand, ni l’occitan, ni le catalan ( ?), ni même correctement le français, nous ne nous doutions pas qu’en réalité nous associions dans notre phrase les idées de torrent, de chêne, d’ombrage et de plaine, toutes choses qui n’abondaient pas autour de nous.
Les noms de famille ne sont fixés en France au Moyen Age vers le XIIème siècle, parfois plus tard. Jusque-là on porte son nom de baptême, Jean, Marie, Perrette, avec, souvent, un surnom pour distinguer Jean le Roux de Jean du Moulin, Bernard le Lorrain de Bernard tout court connu de tous. Longtemps, ce surnom reste fragile, disparaissant quand il n’est plus nécessaire, remplacé par un autre à l’occasion. Puis, et je ne m’aventurerai pas à expliquer ici ni pourquoi ni comment, le surnom s’est fixé, s’est étendu à l’épouse, aux enfants, s’est transmis avec (ou sans) l’héritage. Le surnom est devenu le «nom de famille», le nom de baptême est devenu le «prénom». Plus tard, en Algérie, les immigrants français, espagnols, italiens, allemands arrivent avec leurs noms. Les indigènes – musulmans ou juifs – qui n’en n’ont pas, sont contraints d’en adopter un. Tantôt l’intéressé lui-même choisit délibérément son nom ; tantôt il se voit confirmer par le fonctionnaire de l’enregistrement ou de l’état civil, et sans être consulté, le surnom que tout le monde lui prête ; tantôt on, ou il, se contente de fixer le nom de son père précédé de «Ben». Plus tard, quand un pauvre oublié se présente on lui colle un S.N.P. (sans nom patronymique) et il devient S.N.P. Ahmed ou S.N.P. Miloud. «Sennepé !» répondait parfois un petit élève arrivé depuis peu du Maroc.
On peut classer les noms, aussi bien les anciens d’Europe que les nouveaux fabriqués en Algérie en quatre catégories :
1 – Les noms de baptême, dans leur forme pure ou assortis d’un préfixe ou suffixe. On peut penser que l’aïeul avait, dans son village ou son quartier, par son âge, ou son caractère, ou son rôle social, un ascendant tel qu’il était inutile de le surnommer pour le distinguer. Ex : Carol, Constant, Fernandez, Salomon.
2 – Les noms d’origine : ce peut être un pays ou village, un lieu-dit, un repère, avec ou plus souvent sans préposition ou article : Barthe, Deléglise, Oujdi, Roblès.
3 – Les noms d’état, de métier, de parenté : Ballester, Baron, Kettab, Lascar, Viguier.
4 – Les sobriquets, parfois flatteurs, le plus souvent ironiques : Artero, Lecat, Granado, Jolivet.
La Source Folle N° 7 – Mars 1990