L'Émir Abd-el-Kader a voulu donner un témoignage d'affection à la France, qu'il aime à appeler sa seconde patrie (2), tant la France s'est montrée .généreuse envers son noble captif.
Le 8 juillet de l'année 18G5, tous les journaux de la capitale annonçaient l'arrivée en France, de celui '(lui avait été autrefois fait prisonnier par le général Duc d'Aumale, et qui revenait libre visiter sa seconde patrie.
Comme l'arrivée en France de l'Émir Abd-el-Kader concordait précisément avec la révolte qui s'accomplissait en Algérie : — nos plantations incendiées, nos soldats surpris et égorgés par les Bédouins soulevés, quelques-uns ont cru voir dans cette visite en France, une tactique d'Abd-el-Kader pour dissimuler sa participation au soulèvement de l'Algérie.
Nous qui connaissons l'Émir, — qui savons son respect pour la foi jurée, — nous protestons contre -cette insinuation : — elle est odieuse et inique.
Abd-el-Kader faisait son entrée dans la capitale vers la mi-juillet. — Il était revêtu d'un magnifique burnous blanc, sur lequel brillait le grand cordon de la légion d'honneur. — Au sortir du chemin de fer, il prenait place dans une calèche découverte, ayant de chaque côté- de lui son interprète M.Hecquart, un secrétaire arabe et un troisième personnage attache à la légation turque.
(2) Paroles du général Daumas, notre consul en Orient.
Une seconde voiture contenait cinq Arabes vêtus aussi de burnous blancs : — c'étaient des personnages de distinction. — Enfin, venait une troisième voiture, espèce de fourgon portant les bagages, ainsi que plusieurs Arabes de service.
Tous les curieux s'attroupaient pour contempler une curiosité de la suite de l'Émir : c'était un jeune ours, d'une beauté remarquable, que conduisait en laisse un jeune Arabe, revêtu d'un burnous de couleur.
Quelques instants après, deux jeunes femmes, enveloppées dans des capes de soie, et la figure voilée, sortaient d'un des salons réservés à la gare, et accompagnées d'une servante noire, montaient dans un véhicule hermétiquement fermé.
Toute la suite se rendit aux Champs-Élysées, à l'hôtel Biron retenu par le prince des Arabes.
Le surlendemain de son arrivée à la capitale, le noble prisonnier de la France se rend aux Tuileries. L'entrevue fut longue, et tout porte à croire que durant cet entretien mémorable on aborda cette grande question de la pacification de l'Algérie — Quelques écrivains ont même prétendu que dans l'entrevue, il avait été 'question de donner à l'Émir un mandat d'autorité, pour l'organisation définitive de notre colonie algérienne. - Je me rattacherais volontiers à cette dernière version — Néanmoins jusqu'ici, rien qui puisse appuyer aucune supposition.
Rien de bien remarquable du reste ne se passa à Paris. Nous signalerons deux faits seulement :
Le premier, l'invitation que fit à l'Émir l'une des célébrités de la littérature, M. Emile de Girardin. Ce dernier avait réuni à sa table une société d'élite, à l'occasion de la présence d'Abd-el-Kader. — Grande et vive fut la joie des invités privilégiés, en se voyant à même de pouvoir contempler en face, la noble figure du chef des Bédouins, autrefois la terreur des Français, aujourd'hui notre sincère ami.
Voici quelques détails qui nous ont été communiqués par un des invités :
Madame de Girardin étant absente, Abd-el-Kader occupait la place d'honneur, c'est-à-dire qu'il faisait face au maître de la maison. — L'Émir avait à sa droite le général Daumas, diplomate très versé dans les langues orientales, avec lequel la conversation en Arabe se soutint merveilleusement, pendant tout le temps du dîner, A la gauche de l'Émir, il y avait M. Boitelle, préfet de police. Au nombre des autres notabilités parisiennes présentes au dîner, également M. Haussmann, le fameux démolisseur de la Capitale.
L'Émir, d'après la loi du Coran, ne buvant jamais de vin, c'était plaisir à voir nos amphytrions français faire contraste aveu Abd-el-Kader. — Tandis que l'Émir vidait fréquemment son verre, rempli d'une eau pure et limpide, mêlée d'un peu de sirop, — nos charmants Français faisaient couler dans leur coupe des ruisseaux des vins les plus généreux, venus du fond de la Champagne, du Roussillon, de Madère, et dit-on, du Pic de Ténériffe, …..
M. de Girardin pria son honorable hôte de vouloir bien faire le récit des scènes d'horreur de Damas, lors des massacres de Syrie. — Abd-el-Kader s'y prêta avec la plus exquise bienveillance. Il tint suspendu à ses lèvres tous les convives par la peinture effrayante qu'il leur fit des égorgements qui ont souillé la Syrie.
Un fait remarquable 'à ce dîner intéressant sous bien des points de vue, voici :
Interrogé sur ses sentiments touchant la France, qu'il aimait dans la conversation à appeler sa seconde patrie, l'Émir Abd-el-Kader attaqua un sujet qui piqua au vif la curiosité des convives. — Le général Daumas, son commensal de droite, traduisait en Français.
«La France, Messieurs, est à mes yeux la première nation du monde : son esprit, sa littérature militaire, ses institutions religieuses ; — sous ces trois poins de vue, tout est grand, tout étonne »
Ici l'Émir donna une idée de sa science, de ses études, de ses talents.
«L'esprit en France : - Dans mes loisirs, j'ai eu à cœur de connaître un peu les richesses morales de ma seconde patrie. Avec quelle satisfaction je remplissais mon cœur de la lecture et de l'étude des beaux génies de la France : — Corneille, Racine dans le genre sublime de la poésie, dont les charmes délectent votre âme, comme les doux fleuves du désert, au milieu .des oasis aux riants et frais aspects.
Mais, par-dessus tout, j'aimais à me faire lire les compositions incomparablement belles d'un de vos plus religieux écrivains et orateurs, celui qui fut sans contredit la gloire du siècle de votre grand roi Louis XIV — (l'illustre et admirable Bossuet).
«Le génie militaire : — En me faisant lire les prodiges qui ont illustré le glorieux drapeau de la France, — les beaux dévouements de la France au temps des croisades, — Godefroi entrant vainqueur à Jérusalem, — Saint-Louis dont les malheurs m'ont appris à supporter mes revers, -- le vertueux Duguesclin sauvant à lui seul la France de tous les périls, et emportant sur son cercueil les trophées de sa dernière victoire, — votre Bayard mourant en héros, — et jusqu'à vos derniers capitaines qui ont été mes vainqueurs, Dieu l'a voulu ainsi ! Vos Princes magnanimes qui ont été mes vainqueurs (Dieu l'a voulu!) quelle âme généreuse et belle — digne émule de votre Bayard : le Duc d'Aumale, présageant devoir être un autre chevalier d'Assas – Prince auquel je dus rendre mes dernières armes — et qui bien que vaincu m'accorde ces honneurs dont vous me voyez jouir, au sein de votre France adorable : plus d'honneurs, bien des fois, que je n'en obtins jamais, au milieu de mes infortunés fils du désert. —
—La volonté d'Allah soit accomplie!.. ..
Ici l'émir, en prononçant le nom de ce vaillant capitaine qui avait tranché le fil des dernières espérances des Arabes, ne put retenir ses larmes. Toute l'assistance était émue.
Alors Abd-el-Kader, prenant un air inspiré, puis élevant la main à la manière d'un prophète, prononça ces paroles qui se gravèrent vivement dans l'esprit des assistants :
«Au milieu de toutes ces grandeurs de la France, après avoir éclairé mon âme aux rayons resplendissants de tous ces hommes de génie dont les noms brillent dans l'histoire, comme autant de soleils, il est une chose qui jette dans mon esprit la perturbation la plus douloureuse.»
L'attention des assistants prit ici un caractère du plus vif intérêt.
«Cette chose, continue l'émir, en donnant à son maintien une attitude grave et solennelle, c'est le sentiment religieux. — J'ai eu des entretiens intimes avec les marabouts, chefs de la religion en France (les évêques : - le doux et charitable Dupuch, mon ami intime, — le grand marabout de la belle ville à la ceinture d'eau (Bordeaux). — J'ai vu encore un marabout au cœur plein de charité, lequel, aux jours de ma puissance au désert, traversa mille dangers et vint me trouver, moi et ma Sméla, pour me redemander les prisonniers français (M. l'abbé Suchet). Étant au château d'Amboise, le marabout chef de la ville appelée le Jardin de la France (l'archevêque de Tours, vint me visiter dans ma captivité, lui et son kalifat aux manières nobles et exquises. J'ai pu également connaître les anges à la tête de neige et aux vêtements blancs qui sont les gardiennes des malades et les mères des petits enfants orphelins (nos sœurs de charité : on sait qu'il y en a qui portent des robes blanches, entre autres les bonnes sœurs qui étaient à Amboise et qu'Abd-el-Kader a connues plus intimement).
«J'avoue maintenant qu'il est une chose qui demeure un mystère pour moi. Cette chose, Messieurs, puisque vous me faites l'honneur de me demander mon avis sur la France, cette chose, je vais vous la dire. »
Ici l'attention redouble, surtout de la part de M. Emile de Girardin.
L'Émir reprend la parole. Ses yeux continuent à briller d'un éclat plus vif encore. Son bras qui s'élève et s'abaisse graduellement, laissant grandement étendu le pan du beau burnous blanc qui le recouvre ; le capuchon oriental qui descend du sommet de la tête, et vient en se drapant se terminer en nombreux replis soyeux jusque sur la poitrine, tout cela, mêlé à l'air inspiré de l'Émir, ajoute encore à l'intérêt et à l'émotion des auditeurs.
« Cette chose donc, continue Abd-el-Kader, qui m'étonne et m'afflige, c'est l'attitude des esprits en France, touchant les mystères de leur foi et de leur religion.
« Tout me dit que les Français sont hommes d'esprit; or comment peut-il se faire que des hommes de sens et d'esprit passent leur vie en dehors de tout culte religieux, — remplissent leurs écrits d'attaques contre leur propre religion, — décrient chaque jour et injurient les marabouts (les prêtres) de cette même religion, — rougissent de faire aucun signe qui révèle leurs sentiments religieux et leurs croyances. Nous, disciples de Mahomet, notre honneur le plus grand, c'est de montrer à tous, notre attachement et notre amour pour la loi du Prophète. Plusieurs des marabouts-chefs que j'ai vus en France, m'ont insinué que la religion de Sidi-Aïssa (Jésus-Christ) est la meilleure, même supérieure à la loi du Coran. — Si l'on croit en France que la religion de Sidi-Aïssa est la meilleure, pourquoi en avoir honte, pourquoi ne pas honorer cette religion et pratiquer ses lois? — Le Créateur, l'Éternel que nous, Musulmans, appelons Allah, nous le servons, nous le craignons; son culte fait toute notre gloire, tandis que, des observations que j'ai pu faire durant mon séjour en France, il en est résulté que les Français qui né pratiquent aucun culte, non-seulement servent moins bien Allah, — le créateur du ciel; — moins bien que nous, disciples du Prophète ; mais, de plus, lorsque je me fais lire les écrits des hommes du jour, et que je vois les attaques de ces écrivains contre leur propre religion et leurs Marabouts, mon étonnement est à son comble.
«Qu'une religion soit supérieure à une autre religion ou quelle n'y soit pas supérieure, elle est toujours, cette religion, digne de vénération et de respect — car c'est l'ensemble des cérémonies instituées pour honorer le Créateur, le remercier de ses bienfaits et lui demander d'autres dons. En ce sens, je demeure toujours étonné du phénomène, dont j'ai été témoin : les Français ennemis de leur propre religion et croyance— D'où je conciliais, au fond de mon cœur, que les Marabouts-chefs que j'avais vus en France, étaient dans l'erreur, et que la loi du Prophète est infiniment supérieure à la loi de Sidi-Aïssa (Jésus-Christ), et que, par conséquent, c'est la loi du Prophète qu'il faudrait accepter et fidèlement accomplir, et abandonner la religion de Sidi-Aïssa (Jésus-Christ) qui n'est plus pratiquée, et devenir bon et fidèle Musulman.»
Tous les convives demeurèrent ébahis. Ils étaient loin de s'attendre à un semblable dénouement.
L'Émir, comme nous l'avons déjà dit, est sincèrement religieux et, chaque fois que l'occasion se présente, il est heureux de dire un mot en faveur de la supériorité du Coran. Nos gais convives ne surent que répondre.
La figure -d'Abd-el-Kader semblait inspirée à l'instar d'un prophète.
Enfin M. Emile de. Girardin, pour ne pas laisser prendre à cette réunion d'amis une couleur désagréable, hasarda quelques traits d'esprit.
«Ta sévérité, noble Abd-el-Kader, part d'un cœur convaincu et sincèrement croyant. Mais tu ne connais pas encore le fond de l'esprit français. Nous sommes toujours les héritiers de la gaîté et de la joie de nos bons aïeux qui s'appelaient, au temps des Troubadours : Taillefer, Robert de Wace, l'enchanteur-Merlin, le roi Arthur, et les héros des Quatre fils Aymon et- de la Table Ronde. L'ennui, pour nous, fils de ces gais conteurs d'autrefois, c'est le serpent noir de la mort. Le Français veut rire, et c'est tout ; car, dit le poète :
« L’ennui naquit un jour de l'uniformité, »
Les convives d'applaudir à la gaie répartie d'Emile de Girardin. Mais Abd-el-Kader semblait ne pas bien comprendre la traduction en arabe des auteurs Troubadours, des héros de la Table Ronde, traduction que ne pouvait rendre que difficilement le complaisant général Daumas, l'un des privilégiés invités.
Alors M, de Girardin : « Nous, Français, il ne faut pas toujours nous prendre au pied de la lettre. Souvent nous disons ce que nous ne pensons pas, et souvent aussi, .nous ne pensons pas ce que nous disons. Ceci, noble Abd-el-Kader, t'expliquera le phénomène qui a pu scandaliser tes yeux et tes oreilles. Mais en réalité, nous sommes attachés à notre religion, et tu nous juges mal, si tu nous crois, nous, Français, capables d'abandonner notre croyance, la religion civilisatrice de Jésus-Christ, pour toute autre religion que ce fût, sur la terre entière.»
L'Émir parut comprendre la traduction de ces paroles, et ses yeux exprimèrent, une vive satisfaction. — Cependant, reprenant son attitude grave et solennelle :
«Je comprendrais facilement cette propension à la légèreté, s'il s'agissait de choses peu graves; mais, quand il s'agit de sa religion, de sa croyance et d'Allah, faire de ces choses sacrées une diversion pour récréer son esprit, je crois difficilement. (Ici la figure de l'Émir prit une expression de satisfaction voisine de la gaîté). Il me semblerait que mon noble hôte met en pratique, en ce moment, la propension de l'esprit français qu'il vient de me signaler : — ne pas dire ce que l'on pense, et ne pas penser ce que l'on dit. — Ce que je me fais lire chaque jour des journaux et des écrits de France, m'indique bien que ce qui se passe n'est pas une question de besoin de nouveauté et de récréation d'esprit, mais démontre bien ce que j'ai dit, à savoir : que l'on ne croit plus en France à la religion de Sidi-Aïssa (de Jésus-Christ), et que, admis le principe de la nécessité d'une religion, c'est la religion du prophète qu'il faudrait embrasser.
« —Et qu'est-ce qui peut te faire penser de la « sorte, noble Émir, répond l'interlocuteur à Abd-el-Kader?
«— Je l'ai dit : ce que je me fais lire, tous les jours, des écrivains de la France. L'Émir de votre religion (le Pape), personnage qui devrait être sacré, votre Émir qui réside à Rome, la ville sainte, tous vos écrivains se plaisent à l'attaquer, pour renverser son autorité. J'étais aussi, moi, j'étais l'Émir ou prince des croyants du désert : toute ma puissance, aux jours de nos combats, reposait précisément sur l'attachement de mes fidèles du désert, et il n'a fallu rien moins que la puissance de la France, pour briser mon sceptre et m'arracher au cœur de mes enfants. Quand je vois les écrivains français attaquer la puissance de leur Émir résidant dans la ville sainte, la ville de Rome - c'est avec raison que j'ai présenté cette conclusion, « à savoir : que les Français ne veulent plus de leur religion, et qu'il serait juste pour eux, d'embrasser la loi du Prophète. »
«S'il nous faut un jour nous faire Musulmans, reprend avec une gaîté charmante, M. de Girardin ce sera toujours à condition que le Prophète nous dispensera de la défense faite au Coran, de délecter nos cœurs aux sources du nectar que ne dédaignaient pas les dieux de l'Empirée d'Homère. J'en prends à témoin l'autorité de Dieu même. Ici M. de Girardin entonna le refrain des Buveurs d'eau.
Cette saillie de M. Emile de Girardin fit une diversion fort à propos, pour dérider le front des convives. L'Émir Abd-el-Kader étant doué d'un vrai génie, d'un esprit incontestablement supérieur, reste à savoir, pour nous, simple narrateur, et pour vous, lecteur, de quel côté est vraiment l’homme d'esprit : ou bien l'Émir Abd-el-Kader, qui prétend que la religion est chose sainte et sacrée, ainsi que son chef qu'il appelle le grand Émir de Rome, et qui est le Saint-Père pour nous, — si c'est Abd-el-Kader qui a raison et a le plus d'esprit, ou bien le tant que l'on voudra spirituel M. Emile de Girardin, lequel prétend que lorsqu'il s'agit de récréer les Béotiens et de chasser l’ennui et l'uniformité, tout est de bonne prise et de bonne guerre : la religion, Jésus-Christ, les prêtres, les évêques, et jusqu'au chef de la religion chrétienne, le Souverain-Pontife.
Nous nous permettrons, nous, une réflexion à l'endroit de M. de Girardin, -comme nous l'avons déjà fait à l'endroit de M. Louis Veuillot, tout disposé à soutenir nos idées avec le sabre ou l'épée, comme nous les soutenons avec la plume. Voici nos réflexions : nous regardons comme homme de faible esprit et de petit jugement, celui qui, sous prétexte d'amuser des badauds et de faire rire des imbéciles, pour empocher leurs quatre sous, n'a pas honte de prendre la robe sacrée des ministres de la religion, de porter cette robe sacrée sur des tréteaux, de s'en affubler pour faire stationner les passants. Ce stratagème, à mes yeux, est une chose odieuse et abusive, et je regarde comme un malheur qui devra tôt ou tard, attirer les malédictions de Dieu sur nous, les faits scandaleux de nos écrivains sans conscience, dont les écrits ont indigné un Bédouin du désert, qui, par ses paroles et ses sentiments nobles et élevés, s'est montré plus respectueux pour la religion de la France, ses ministres et son Pontife, plus respectueux et plus sage, que tous ces gâcheurs de papier, — qui se font appeler journalistes, mais qui ne sont en réalité, n'écrivant que pour dérisionner ce qui est digne de respect, que des danseurs de corde et des Polichinelle. —
—Avec des gens habitués à manger les coudes sur la table, en vérité, ne serait-ce pas sottise de leur parler, le chapeau bas. —
Et n'est-il pas beaucoup plus sage, avec l'Ange Exterminateur — contre l'abominable Héliodore, de s'armer d'une poignée de cordes et de fouailler sans pitié, tous ces stupides profanateurs du temple et de toutes les choses sacrées ? Ces impies écrivains eux-mêmes et ceux qui leur ressemblent.
Si les convives de M. Emile de Girardin ont couvert de leurs gais applaudissements, le refrain des buveurs d'eau, nous n'accordons, nous, qu'un sourire de pitié, et nous nous déclarons honteux, grâce à l'inqualifiable fanatisme des écrivains impies qui déshonorent la France, nous nous déclarons honteux, de voir un Bédouin faire la leçon à un chrétien, et lui apprendre que toute religion est digne de respect, d'attachement et de vénération.
Et sur le chapitre du Saint-Père, nous sommes humilié d'en faire l'aveu, nous déclarons que les observations judicieuses de l'Émir- el-Kader ont changé nos idées - Nous étions aussi, nous, simple écrivain, sans grande science, simple ancien soldat universelle :le choléra méphitique importé en France d'Afrique, nous étions sous le coup de la contagion par les journaux fanatiques et intolérants nous étions du nombre de ceux qui, à l'occasion, ne craignent pas de jeter la pierre au gouvernement du Saint-Père ; nous nous étions laissé entraîner comme les autres a croire les mensonges des ennemis du Souverain-Pontife.
Nos relations avec d'anciens compagnons d'armes, qui sont allés à Rome, et ont pu voir les choses de leurs propres yeux, nous ont fait connaître la vérité. Les soldats, qui sont allés à Rome, sont unanimes pour affirmer que le peuple romain est tout à fait attaché au Pape, son chef et son Roi. D’après le-dire- de nos soldats d'Italie, aucun prince, mieux que le Pape, n'est aimé de ses sujets en Europe. Les Romains aiment leur Pape, nous disaient ces soldats français revenus d'Italie, et c'est tout naturel: « c'est le Pape qui fait la gloire des Romains, c'est le Pape qui fait que Rome est la capitale du monde, c'est à cause du Pape que tant d'étrangers et de riches milords viennent dépenser leur or, dans la ville Éternelle. Si le Pape n'était, plus à Rome, les Romains perdraient ainsi leurs richesses, leur grandeur et leur gloire, — et voilà pourquoi, nous disaient nos frères de l'armée d'Italie, voilà pourquoi le Pape est aimé de son peuple. Aussi, tout est en voie de prospérité à Rome : les arts, les « sciences, le génie. Si le Pape a des ennemis, ce n'est pas à coup sûr parmi ses sujets qui l'aiment sincèrement. Les ennemis du Pape, ce sont les ennemis du genre humain tout entier : les révolutionnaires étrangers:—Garibaldi, jadis marchand forain, — Mazzini, échappé de prison et condamné à mort pour cause d'assassinat. — Le Pape n'a aucun ennemi au milieu de son peuple- Les ennemis du Pape, ce sont — étrangers, banqueroutiers, échappés de prison, — gens méprisés dans leur propre pays, gens qui ne se plaisent qu'à mettre le désordre partout. Aussi, tous nos soins, étant à Rome, à nous, soldats français, ce n'était qu'à surveiller ces propres à rien, la plupart entrés par fraude à Rome, et de les forcer, par la présence de l'uniforme français, à ne pas troubler la paix publique et à respecter la volonté du peuple romain, sincèrement dévoué au Souverain-Pontife, ou bien à ficher-le-camp chez eux — et repasser la frontière.
Aussi, tant que nous étions là, ces vauriens n'osaient pas bouger, et s'ils recommencent à troubler l'ordre à Rome, le Pape et les Romains n'auront qu'à nous faire signe, les Français sont toujours là (1). Ce que nous ont dit nos anciens amis d'Afrique qui sont allés à Rome, pour défendre le Pape, nous a ôté comme un bandeau de sur les yeux. De l'aveu de tous nos soldats qui reviennent de la Ville sainte, la vérité est que le peuple romain ne demande aucun changement, qu'il aime tout à fait le Pape et le gouvernement du Pape. Les choses étant ainsi, il serait bien temps pour les journaux impies de laisser le peuple romain tranquille, puisqu'il est heureux et content sous son gouvernement. Ceux qui ne sont pas contents, ce sont les révolutionnaires étrangers, Garibaldi et Mazzini, qui voudraient renverser le Pape pour mettre le feu partout. Il est, par ailleurs, d'autres considérations qui m'ont été faites par des gens d'esprit : voici ces considérations, le lecteur jugera :
Le Pape est le chef de notre religion ; comme tel, il doit être indépendant ; autrement, lui qui a souvent à traiter avec les empereurs et les rois, comment pourrait-il gouverner l'Église, s'il était sous la dépendance d'un prince quelconque? — C'est donc avec une grande sagesse que la force des choses l'a établi Prince indépendant, afin qu'il puisse être libre de toute entrave, dans l'exercice de sa mission divine : le gouvernement spirituel de l'Église.
(1)Fragment d'une lettre signée L. Deforges, soldat au 98°, en garnison à Rome.
Si le pape n'avait pas son gouvernement temporel, il lui serait impossible d'exercer librement son autorité spirituelle, et c'est précisément ce qui a fait dire à Napoléon à Sainte-Hélène :
«Il faut que le Pape ait son gouvernement temporel. C'est nécessaire pour qu'il soit le maître chez lui.
C'est nécessaire pour qu'il puisse gouverner librement l'Église.
Je ne souffrirais pas que le Pape fût établi à Vienne, et la cour d'Autriche ne voudrait pas que le Pape résidât à Paris.
Ce sont les siècles qui ont fait cela, et ce que les siècles ont fait, est bien fait (1).»
Et puis, par ailleurs, n'est-il pas fort étonnant, alors que chacun parle de liberté et d'indépendance, de voir tout le contraire s'accomplir ? Au lieu de rester chacun chez soi, de ne s'occuper que de ses propres affaires, les journalistes, pris de la maladie du grand Don Quichotte, veulent, de nos jours, se mêler de tout, et, empiétant de plus en plus, ils en sont arrivés à ce degré de sottise, qu'ils veulent maintenant., eux, pauvres journalistes, ne sachant rien en fait de religion, se mêler de gouverner la catholicité —et prenant en main le goupillon à la porte de la sacristie et le bonnet carré sur la tête, les voilà partis à prêcher le peuple et à enseigner au Pape à gouverner l'Église, aux évêques à ordonner les prêtres, et aux prêtres à chanter la messe ! Quelle incroyable comédie !
(1) Paroles de Napoléon. Mémorial de Sainte-Hélène.
Tout cela, il est vrai, ne durera qu'un temps. Quand le peuple sera las de ces abus et de ces empiétements, on chassera, à coups de pieds quelque part, les journalistes de nos églises. Au jour où la caricature aura apporté son concours, et qu'elle nous aura représenté un journaliste tenant en main le goupillon et l'eau bénite, chantant la messe et confessant les ivrognes, la comédie sera finie. — Il sera temps de baisser la toile.
En résumé, laissons nos prêtres dire la messe, nos évoques bâtir des cathédrales, pour faire gagner de bon argent à nos bons ouvriers (1), et, par-dessus tout, laissons le Pape en paix ; le commerce n'en marchera pas plus mal, le travail en ira peut-être mieux, les hypocrites plieront bagage, et alors nous aurons la tranquillité, et le peuple sera heureux.
Mais mettons fin à cette boutade contre nos journalistes et écrivains ennemis de l'Église ; — laissons- les, pour en rire, avec leur goupillon à la main, et leur tricorne sur la tête ; — laissons-les donnant leurs comiques bénédictions, jusqu'à ce que le ridicule les fasse rentrer dans leur boutique, et revenons au sujet plus intéressant qui nous occupe ; Abd-el-Kader dînant chez le spirituel Emile de Girardin.
(1)Cette pensée jetée ici en passant, est la réfutation sans réplique des attaques ridicules des impies, qui, jaloux de la supériorité de l'Église, cherchent à dénigrer tout ce qu'elle fait, poussant leur haine aveugle et leur intolérance fanatique, jusqu'à reprocher à l'Église et aux évêques les temples n'statués, les belles cathédrales bâties à neuf; n'est-ce pas là ce qui donne du travail à nos- bons ouvriers et leur fait gagner du pain? On estime que dans chaque département, le clergé fait gagner aux ouvriers un million par an, en constructions, réparations, ou embellissements d'églises : c'est donc, chaque année, quatre-vingt millions qui s'en vont dans la poche des hommes du labeur. Les impies qui écrivent contre le clergé, les évêques et les travaux des églises, prennent donc nos ouvriers à la gorge, pour les affamer : quatre-vingt millions de moins par an, en travaux religieux, mais ce serait mettre la moitié de nos bons ouvriers sans pain. Ouvriers qui lisez cette note, juger maintenant de quel côté sont vos amis, le clergé qui vous fait travailler, ou les écrivains impies, qui, pour satisfaire leur rancune et leur intolérance, vous laisseraient volontiers mourir de faim (Note de l'éditeur).
Tandis que le général Daumas se tirait de son mieux auprès d'Abd-el-Kader, pour lui traduire sans trop froisser - l'exaltation religieuse du prince arabe, les plaisantes et plus ou moins belles réparties du maître de la maison, la fin du dîner arrive, on sert l'eau chaude dans les porcelaines bleues, - et on va se lever de table pour passer la soirée en petit cercle d'intimes.
Le savant officier, le général Daumas, mieux au courant des mœurs des Arabes, faisait donc tout son possible pour accommoder le sans-gêne des Français, avec le respect religieux de l'Émir. - Quel ne fut pas l'étonnement des invités, quand une fois levé de table, Abd-el-Kader, par l'entremise de son aimable interprète, fait demander à M. Emile de Girardin, un appartement retiré! - Les convives interdits, piqués au vif, veulent savoir ce que désire l'Émir.
«C'est pour rendre grâces à Allah, qui nous nourrit, de ses bienfaits dont il nous comble, » répond l'Émir, d'un ton grave, quoique réservé, et donnant par cette belle réponse, lui simple Arabe du désert, une bonne leçon aux dix ou douze chrétiens, qui, pour toute action de grâces envers Dieu, ne connaissent que leur pipe ou leur cigare.
Tant qu'à moi, pauvre invalide, revenu d'Afrique, ô Abd-el-Kader ! ton grand esprit, ton respect pour celui que tu appelles Allah, m'ont fait rougir de mes impiétés d'autrefois, — et mis de bien meilleurs sentiments dans le cœur.
Un des serviteurs se hâte de porter une lumière dans une pièce voisine. —Abd-el-Kader marche gravement ; — pendant près d'un quart d'heure, il rend grâces à Dieu, par de ferventes prières qu'il adresse au prophète.
Le soir un coupé vient chercher le noble vaincu de la France, pour le conduire à son hôtel, aux Champs-Élysées. —Quand Abd-el-Kader, après avoir fait passer à ses hôtes une soirée pleine de charmes, se tourne vers eux et leur tend affectueusement la main, tous les cœurs sont émus et frappés, — et il y a mille à parier contre un, que si les étourdis du Siècle et de l'Opinion nationale eussent été présents à cette belle réunion, la noble conduite de l'Émir et ses belles paroles contre les écrivains impies de la France, auraient fait rougir plus d'une fois, le front de ces pauvres chrétiens dégénérés:
Après quelques autres incidents dénués de tout intérêt, le généreux Monarque de France, le Roi Louis-Philippe, crut devoir se rendre aux vœux, plusieurs fois exprimés par Abd-el-Kader, d'aller finir, ses jours près du tombeau de celui qu'ils appellent le Prophète. —
L'Émir partit donc pour la terre de Syrie. — C'est à Damas que le chef des croyants voulut fixer sa retraite.
—C'est en cette région, terre sacrés, pour le Musulman, que l'Émir termina sa carrière.
—Deux des fils du guerrier sont restés aux régions de la Syrie. —
La mort du héros, arrivée en l'année 1883, laissa la France indifférente. —
—De grands événements sont venus, dans ces derniers temps, émotionner la grande nation — affolée, jusqu'à nos jours, la
Fille aînée de l'Église
et le
Soldat de Dieu —
Nous avons la confiance que ces grandes traditions du beau passé de la France ne sauraient disparaître. — Car les destinées des grands peuples, a dit un écrivain illustre, sont écrites au frontispice des annales de l'histoire (1).
(1)Imperium semper üsdem artibus retinetur quibus initio pariem est. (Salluste - Bellum Jugurthinum).
—Or — la noble nation (l'histoire a consacré sa mission magnifique) avec un si glorieux passé, ne saurait disparaître (1).
—Car les peuples, con me les oasis, sous les Zéniths variés, du Firmament éternel, sont nés — les uns, pour porter sur leur front, aux tristes rives de la Nubie et du pays des Noirs, le douloureux stygmate de ll'infériorité et du douloureux esclavage ; — les autres, nobles héritiers des héros et de la vertu, la couronne d'or des jeux olympiques — au Firmament où sont écrits, sur le disque des étoiles — les noms qu'aucune conspiration sacrilège ne saura jamais atteindre — les noms à jamais impérissables des Monarques sublimes :
Les Saint-Louis et les
Charlemagne ! —
comme aussi ces autres héros, riches de souvent non moins radieux :
Guises -
Turenne—
Condé — et la
Pléiade — en nombre infini, des Bayard et des…
Montmorency !!!
(1) Un écrivain, dont l'apologétique devra demain, être appelée à exercer une grande influence sur les événements — et l'exaltation de la France, vient de publier à Rome, un ouvrage apologétique pour la nation très chrétienne. —
—Dans cette apologétique ayant mérité à l'auteur les plus grands honneurs, dans la Ville Éternelle - : audience particulière du Saint-Père, son ouvrage couronné à l'Académie de Rome — l'auteur nomme membre de la célèbre Académie — dans cette apologétique d'une magnificence radieuse, il est démontré que la France, a reçu mission du Ciel — mission, Palladium de protection — pour les peuples, comme pour l'Église, de là son nom :
Gesta Dei per Francos,
—Une conspiration latente a fermé toutes les voies de publicité, jusqu'ici, à cette Épopée radieuse — célébrant, en 12 chants, d'une beauté, à ravir, les destins sacrés, de la France —
Soldat de Dieu.
Mais ces destins, étant réels et nullement fictifs — la conspiration du silence, tôt ou tard sera vaincue — et sur l'heure — la publicité de l'apologétique aura marqué
l'heure du Ciel
ou le Salut de la France
Fille aînée de l'Église —
En attendant la belle aurore de ce soleil — tout lecteur ami de la Patrie, pourra se procurer le trésor de l'apologétique, par tous ceux qui l'ont lue, déclarée —
sublime
Cette composition véritablement sublime, se trouve chez l'auteur, Monsignore Augustin de Chezelles, membre de l'Académie de Rome, Chinon [Indre-et-Loire]. 2 vol. 4 fr. 50 — Franco.
FIN DE LÉMIR ABD-EL-KADER
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France