La cérémonie officielle à Cacherou
Profitant du centenaire de la mort de Bugeaud, M. Naegelen inaugurait. Samedi à Cacherou une stèle à la mémoire de l’Émir
Abd-El-Kader. Un minaret a été spécialement élevé à l'endroit où se trouvait la smalah de l’émir.
L'administration, qui voulait ces cérémonies spectaculaires, avait fait déplacer des troupes nombreuses et notamment la
Légion étrangère et le goum de la commune mixte.
M. Naegelen arrive et c'est la présentation des armes. L'émir Sehel un des petits-fils d’Abd-el-Kader, prononce alors un discours en français, tandis que M. d'Ortes, petit neveu de Bugeaud, en prononce un en arabe.
À son tour, M. Georges Duhamel, de l’Académie française, venu spécialement pour la circonstance, prend la parole. Définissant l’idée de civilisation, il déclare :
« La civilisation, à mon regard, est un état d’équilibre dans lequel les forces de construction l’emportent sur les forces de ruine, l’ordre sur le désordre et la paix sur la mort ».
Puis l’académicien parle des apports à la civilisation humaine des différents courants et termine en évoquant la figure d’Abd-el-Kader à un moment donné.
M. Naegelen prononça alors lui aussi un discours qui fut traduit en arabe, et le cortège officiel se rendit à une diffa organisée à la Ouadda de Sidi-Kada et à l’issue de laquelle on entendit différentes allocutions dont celle du Gouverneur général.
Après cette inauguration, le cortège visita Tizi, le barrage et l’usine hydro-électrique de Bou-Hanifia.
On ne peut célébrer les mérites de l’émir en camouflant son combat
Par CHERGUI Mahieddine (un des descendants de l’émir Abd-el-Kader)
A l’occasion de l’inauguration d’une stèle officielle à la mémoire d’Abd-el-Kader, M. Chergui Mahieddine, descendant de l’émir, nous adresse de Mascara la lettre suivante que nous nous faisons un devoir d'insérer :
M. le gouverneur général a inauguré la stèle à la mémoire de l'émir Abd- el-Kader.
Quoiqu'étant un de ses descendants, j’al cru de mon devoir de ne pas assister à cette manifestation et de marquer ainsi mon écœurement, non pour le monument (l’émir Abd-el-Kader mérite bien plus) mais pour ceux, conscients qui ont voulu s’emparer de sa mémoire pour s’en servir.
Tout d’abord un fait est certain : Abd-el-Kader a été choisi par le peuple pour combattre le colonialisme.
Il a rempli noblement cette tâche.
Une certaine presse a écrit abondamment sur lui, mais n’a pas soufflé mot sur ses années de lutte acharnée. De même elle a oubliée consciemment de mentionner l’opposition constante du peuple de France à cette guerre de conquête. Si les colonialistes n’ont fait qu’aggraver leurs méthodes, le peuple de France a encore rendu plus efficace son action.
Ses protestations accompagnées d’actes contre la guerre au Viêt-Nam en sont une illustration qui se passe de commentaires.
De même, la presse aux ordres n’a pas mentionné les années passées par l’émir Abd-el-Kader dans les prisons militaires de Toulon et la mort d’un nombre considérable de ses compagnons.
Elle s’est donc contentée de n’écrire que sur la vie privée de ce grand homme niant par là ce qu’il représente dans l’histoire : Un combattant de la libération.
Il est évident que le représentant du colonialisme, l’homme qui a fait les élections des 4 et 11 avril 1948, qui croit avoir étouffé la voix de l’Algérie, ne pouvait, ne peut pas célébrer la mémoire de notre héros national, si ce n’est qu’en la camouflant, en la dénaturant, en la cristallisant à l’époque même où, Abd-el-Kader en exil, sans responsabilité, attendait, muet, la réalisation de la promesse de constitution du royaume d’Algérie.
Beaucoup de progressistes, de militants de partis nationaux ont marqué leur étonnement et leur indignation d’apprendre qu’un descendant de l’émir Abd-el-Kader et d’autres de branches collatérales avaient organisé cette mascarade.
Je tiens à me joindre à ces militants pour dire que tous ceux qui continuent sans répit, honnêtement, consciencieusement, la tâche d’union des populations de notre pays, tâche entreprise par l’émir Abd-el-Kader, pour les mener vers la libération nationale sont les seuls descendants authentiques de ce héros national.
Qu’un émir hier encore, inconnu et ne connaissant personne, qui a grandi hors le sol national, qui n’a pas souffert avec nous, que quelques fonctionnaires en mal d’avancement ou de décorations aient senti le besoin de remonter leurs actions, nul Algérien conscient n’en saurait s’étonner.
Des Caïds et des aghas depuis longtemps discrédités auprès du peuple, démonétisés auprès de l’administration qu’ils servent, des profiteurs de l’escroquerie du 4 avril, voilà le petit monde qui entourait M. Naegelen.
La stèle demeurera sur ces terres dont les descendants d’Abd-el-Kader, nombreux paysans attachés au sol, ont été expropriés, comme un témoignage des méfaits du colonialisme.
Comme un symbole de sa duplicité c’est-à-dire aussi de son impuissance devant le grand élan de liberté qui anime les Algériens.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France