L'Emir Abd el Kader
par le chevalier William
Nous sommes au 16 juin de l'année 1836; c'est l'époque des tâtonnements et des incertitudes dans notre conquête de l'Algérie. — Le maréchal Clausel est gouverneur général ; malgré la rare prudence de ce général courageux, nous éprouvons un échec douloureux sur la Macta province d'Oran; pour réparer cet échec, une expédition est décidée. - Mascara est prise, saccagée et brûlée.
 
C'est à la prise de cette ville qu'une nouvelle douloureuse fut connue de l'armée toute entière. – Sur les murs d'un château-fort de la ville prise, nos soldats trouvèrent une liste composée de 56 noms. Ces noms étaient ceux de 56 prisonniers français, qui, au moment de la prise de la ville, avaient voulu, avant d'être emmenés par les Bédouins, laisser leurs noms écrits sur la pierre —suprême et douloureux adieu à leurs compagnons d'armes. — Chacun des prisonniers avait écrit son nom de sa main. — La liste des futurs martyrs était surmontée d'une croix qu'ils avaient tracée, — et, au-dessous de cette croix, ces mots :
 
«Nous ne savons où nous allons!. A la garde de Dieu !. »
 
Nous avons dit : «futurs martyrs, » car on se souvenait des cruautés de l'émir Abd-el-Kader, à l'égard des infortunés prisonniers français, - et le massacre des captifs de la Maison-Carrée était encore palpitant et présent dans tous les esprits et dans tous les cœurs. Les infortunés prisonniers de Mascara pouvaient donc penser qu'ils allaient être conduits à la mort, et cette pensée lugubre était la pensée de l'armée toute entière.
 
Le bruit de cette nouvelle se répand de toutes parts. La France, sur tous les points, s'attriste à l'arrivée de cette appréhension douloureuse. Mais que faire ? L'émir devenu insaisissable s'est retiré dans les gorges et les montagnes. — Aucune puissance humaine ne pourra arracher nos soldats des mains des Bédouins.
 
Toutes les feuilles publiques remplissent leurs colonnes de lamentations et de regrets, regrets stérils, hélas! Qui ne briseront pas les liens des prisonniers et ne les arracheront pas au fer des bourreaux.
 
La circonstance de ces 56 noms inscrits sur la pierre de la prison de Mascara, était de nature à émouvoir les cœurs.  — Nos compatriotes d'Alger, civils et militaires, ne cessaient de gémir sur le sort de leurs frères, mais aucune idée n'était mise au jour pour la délivrance des captifs. — Après Mascara prise, saccagée et brûlée par les Français, — Mascara, ville pour ainsi dire sacrée pour les Bédouins, cette ville étant presque le lieu de naissance de l'émir, (Abd-el-Kader était né aux environs), après le pillage de cette ville, on comprend que chacun s'attendait à une vengeance terrible de la part des Arabes—On désespérait donc du sort des pauvres prisonniers.
 
Le désespoir était dans tous les cœurs, quand tout à coup un cri de joie retentit dans toutes les feuilles publiques. — Un Français à Alger, le cœur brisé à la pensée de regorgement des prisonniers, a pris la résolution de partir pour aller délivrer ses frères. — Le nom de ce Français est acclamé par toutes les bouches et béni de tous les cœurs. — Ce Français était un prêtre vertueux et aimé des soldats : l'abbé Suchet, vicaire' général de Mgr Dupuch, évêque d'Alger, — l'abbé Suchet, nom désormais acquis à l'histoire et consacré dans le cœur de tous les vrais patriotes.
 
L'inimitié allait toujours croissante entre les tribus arabes et les armées françaises; — nous avions éprouvé deux  échecs, l'un connu sous le nom d'échec de la Macta suivi bientôt d'un second, connu sous le nom d'échec de la Tafna. Cette situation rendait plus périlleux le sort des 56 prisonniers et plus difficile et dangereuse l'entreprise du courageux prêtre français.
 
Voici le moyen ingénieux que sut employer le bon abbé Suchet: il s'entend préalablement avec son évêque, alors Mgr Dupuch, afin d'assurer à son entreprise un résultat plus certain. L'abbé Suchet, de concert avec Mgr l'évêque d'Alger, obtient du gouverneur la délivrance de huit pauvres Arabes, faits prisonniers par nos troupes et retenus captifs à Alger. Cette précaution était très sage. Elle devait nécessairement faciliter la tâche que l'on se proposait.
Quand l'abbé Suchet vint annoncer aux huit Arabes qu'ils étaient libres, ce fut une grande joie, comme on le comprend, pour ces pauvres Bédouins.
 
J'étais alors en convalescence à Alger, où je me remettais de plusieurs blessures que j'avais reçues précisément à la triste affaire de la Macta.
 
Le vertueux abbé Suchet est d'un caractère aimable et enjoué. — Il vint à la caserne d'Alger nous faire ses adieux. Il serra la main à plusieurs d'entre nous ; nous lui souhaitâmes toutes les prospérités possibles et il nous quitta,  laissant nos cœurs pénétrés de l'admiration la plus vive.
 
Je vais maintenant laisser parler le digne prêtre :
 
«La veille du départ, j'allai annoncer moi-même  la bonne nouvelle à l'un de nos principaux prisonniers arabes, alors malade à l’hôpital d'Alger. Ce prisonnier était l'ex-kodja de Ben-Salem. Il se jeta  à mes pieds, serra mes mains entre les siennes et versa des larmes de joie, déclarant qu'il ne se sentait plus malade. La nouvelle de sa délivrance l'avait parfaitement guéri.»
 
Cette noble conduite de l'abbé Suchet, s'en allant délivrer cinquante-six de nos prisonniers français, voilà un fait magnifique, bien capable de faire ressortir l'utilité des aumôniers au milieu de nos armées. — Et vous avez des  écrivains irréligieux, de nos jours, qui travaillent, encore, à la honteuse besogne ayant pour but de faire chasser les excellents aumôniers du milieu de nos armées. Pour corriger ces écrivains sans cœur, nous souhaitons qu'ils se trouvent, un jour, au nombre de prisonniers quelconques, sous -le coup de la crainte d'être égorgés par des vainqueurs barbares. — — Ils sauront, dès lors, à quoi s'en tenir, à l'endroit de leurs principes odieux d'intolérance et d'impiété.
 
—« J'allai prévenir moi-même les sept autres prisonniers et leur annoncer qu'ils étaient libres. Au point du jour, le lendemain, tout était prêt. J'étais au milieu de mes huit Arabes gais et alertes, mon interprète et deux petits Maures qui conduisaient le mulet chargé des présents destinés à Abd-el-Kader. Tel était le personnel de mon escorte.  Je quitte Alger, suivi de ma petite caravane,  accompagné des bénédictions universelles de toute  la ville.  J'avais, les jours précédents, recommandé ma difficile entreprise à Dieu et l'avais mise sous la protection de Celle  qu'on n'invoque jamais en vain. Une fois sorti d'Alger, de quel côté diriger mes pas? Là commencent mon inquiétude et la série des mille dangers qui m'attendaient. D'Alger à Oran, le parcours est long ; — Abd- el- Kader étant rentré à Mascara (près d'Oran), après le sac de la ville, c'était vers cette province que je devais disposer ma marche. — Plus de cent lieues  à traverser dans un pays sillonné d'ennemis devenus furieux, — un pays coupé de gorges, de montagnes abruptes, de précipices affreux. Mais je ne voyais en rien les dangers qui pouvaient m'être personnels. — Les 56 prisonniers français étaient toujours là, devant mes yeux, prêts à être égorgés. J'entendais leurs cris, il me semblait voir les Bédouins armés, prêts à égorger leurs victimes. Mon esprit ne quittait pas d'un instant l'horrible vision. Je me portai d'abord dans la direction de Blidah, ville comme on sait peu distante d'Alger. Bientôt un bruit de pas et de chevaux vint me remplir d'effroi; — nous apercevons au loin comme une masse compacte d'hommes et de cavaliers. — Je descends de ma monture, dans la crainte d'une surprise. Une imprudence pouvait, tout en me faisant trouver la mort sans utilité, me faire manquer, en même temps, la réussite de ma chère entreprise. — Les routes n'étaient pas sûres ; l'incendie et le pillage de Mascara avaient rendu les Bédouins plus intraitables. Je donne le signal de la halte et je m'avance seul  pour reconnaître le danger. — Je pousse un cri de joie. Je reconnais facilement, à l'aide d'une longue-vue, que j'avais devant moi le drapeau français. — C'était un détachement des nôtres,  escortant un convoi militaire jusqu'à Blidah. L'officier commandant le détachement voulut, après m'avoir reconnu, me féliciter de ma courageuse résolution. Nous fîmes route ensemble, jusqu'à Douéra, à  quelque distance de Blidah. Nous dinâmes sous la tente avec l'officier supérieur, pendant que de leur côté, mes Arabes étaient merveilleusement fêtés par les soldats français. Nous avions précisément campé auprès d'une pauvre et modeste église bâtie en planches; — c'était l'église de Saint-Antoine.  Nos bons Arabes me dirent qu'ils étaient heureux de se trouver auprès de la Djema-Roumia -(mosquée des chrétiens). »
 
Le lecteur comprendra l'importance de cette réflexion des Arabes, pour la raison que nous allons exposer: Un certain nombre de Français, comme il s'en trouve malheureusement toujours quelques-uns, — un certain nombre de Français avaient parfois donné l'exemple d'une impiété coupable, ou plutôt d'une absence complète de religion, ce qui, joint à la disposition naturelle, d'attribuer à tous ce qui n'est que le défaut de quelques-uns  avait fait très mal juger les Français dans l’esprit des Arabes.
 
L'Arabe est profondément et sincèrement religieux. et, chose importante, que les hommes d'esprit ne se le dissimulent pas, une des causes principales de cette haine invétérée, qui vit cachée au fond du cœur de l'Arabe, contre la domination française, c'est la croyance où est ledit Arabe, que les Français étaient des païens, — des païens n'ayant aucun respect pour Dieu, son culte et ses ministres. Il faut dire, pour être juste, que les allures d'un certain nombre de soldats : absence complète de religion, étaient bien de nature à faire naître ces idées chez les Arabes, à savoir que les Français étaient des païens. — Aussi, tout ce qui était de nature à faire penser le contraire était, pour les Arabes, un motif de satisfaction. Voilà pourquoi ils dirent se trouver bien auprès de la Djema-Roumia (mosquée chrétienne).
 
Nous livrons, en passant, ces réflexions aux gros bonnets du jour. — Il serait possible que dans ces quelques lignes, il y eut autant de sagesse qu'il y avait autrefois de puissance dans l'épée d'Alexandre.
 
Ce douloureux nœud gordien qui enlace, avec une ténacité désespérante, toute notre polytechnique en Algérie, et fait qu'après vingt-cinq ans de tentatives et de suprêmes efforts, notre autorité n'est pas plus avancée que le premier jour; à preuve, les révoltes continuelles des Arabes du désert, les massacres et les incendies effroyables de nos plantations ; ce douloureux nœud gordien qui nous a coûté tant d'argent, tant de sang répandu, tant de chagrins et de fatigues, — ce nœud gordien, il pourrait se faire que sous ces lignes fût cachée, pour le dénouer, l'épée d'Alexandre.
 
Suivons bien les présentes observations ; elles ne manqueront pas de frapper sérieusement tout homme doué de quelque sens et d'esprit :
 
L'Arabe prend la chose au sérieux. Sa religion passe avant tout, avant sa vie elle-même. — « Il n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. » Tout le monde connaît ce proverbe si cher aux fils du Croissant, — proverbe devenu vulgaire, tant il se trouve à chaque instant sur les lèvres du croyant de l'Islam.
Une fois admis le principe, sentiment religieux vivement prononcé chez l'Arabe, on comprend facilement la propension vers la haine et le mépris, dans le cœur de ce même Arabe, à l'égard de celui qui sera à ses yeux, un  infidèle, un impie, un ennemi d'Allah.
 
Eux, les Bédouins du désert, d'une confiance aveugle dans la protection d'Allah, le Dieu du ciel, et d'une soumission sans bornes à ses volontés saintes, comment pourraient-ils se soumettre à des hommes qu'Allah doit détester, puisque ces hommes, dans leur pensée, à. eux, Bédouins, sont les ennemis d'Allah, Se soumettre à ces infidèles serait donc trahir la cause d'Allah, le Dieu du Ciel. Travailler à exterminer ces impies, doit donc être bien plutôt la volonté d'Allah. De là, l'explication simple et claire de l'opiniâtreté du Bédouin à refuser, malgré la force, sa soumission aux vainqueurs.
 
Aussi., nous avons admiré du fond du cœur, la proclamation de la France aux peuples du désert. — Le gouvernement nous a paru très habile. Il tient aux Arabes un langage en harmonie avec les idées des Arabes.
 
L'homme, dit le gouverneur de l'Algérie, doit soumission aux décrets  d'Allah. (L'Arabe admet cela). Or, d'après le décret d'Allah, la puissance et la domination sur le désert ont été déférées au Sultan de France. — Le fils du désert, soumis à Allah, doit donc se soumettre à qui Allah a donné l'autorité, par conséquent au Sultan de France (1).
 
Mais le malheur est que la conviction n'est pas entrée, avec la proclamation française, dans la tête des Bédouins.
 
Ce doute sera toujours dans l'esprit de l'Arabe : «Est-ce bien vrai que c'est Allah qui veut transférer l'autorité sur le désert au Sultan de la France? Comment Allah pourrait-il aimer des impies et les préférer à ses croyants du désert ?»
 
Ne sont-ce pas plutôt les infidèles d'au-delà de la mer (langage de l'Arabe), qui veulent agir contre la volonté d'Allah, qu'ils n'aiment pas. - (Nous exprimons ici la pensée de l'Arabe).
 
Guerre donc aux impies d'au-delà des mers!
 
(1)Lettre sur l'Algérie, adressée par le maréchal de Mac-Mahon, 1865.
 
De là, la guerre sacrée prêchée par l'émir d'Abd-el-Kader, au début de nos guerres d'Afrique, — et de nos jours, Si-Hamed Ben-Hamza, — uni au guerrier Si-Lala.
 
Voilà pour la première partie de nos idées, — causes de l'insoumission des Bédouins; — nous compléterons notre pensée par les réflexions suivantes, lesquelles ne manqueront pas d'être prises en considération par les gens de sens et d'esprit (1).
 
Que la France change de tactique dans son administration en Algérie : — au lieu de cette attitude d'indifférence religieuse, qui, en France, peut être sans conséquence (sous le point de vue de la liberté de chacun, bien entendu ; nous nous hâtons de faire nos restrictions, déclarant l'indifférence religieuse la cause de tous les malheurs de la société), que l'administration en Algérie prenne une autre attitude, — à l'exemple de Louvois, ce grand ministre du grand roi, le grand et habile organisateur de nos colonies au Nouveau-Monde.
 
Que l'administration, en Algérie, prenne des mesures, pour que la religion soit couronnée de respect et d'amour; — que les ministres sacrés (les marabouts, pour les Arabes), soient environnés du même respect, — et cela d'une manière franche, loyale et sincère (ce qui, en fait de religion, doit toujours exister). Quand l'Arabe verra que ceux venus d'au-delà des mers, sont des croyants fidèles et fervents, — qu'ils aiment Allah, alors ces Bédouins pourront être persuadés qu'Allah aime à son tour les chrétiens ; — et partant, puisque les roumis sont les plus forts, — rien n'arrivant (pour un Arabe), sans la volonté d'Allah ; dès lors, que les roumis ou chrétiens aiment Allah et peuvent être aimés de lui, l'autorité et la victoire en leur faveur, en faveur des Français, peut venir d'Allah, — conséquemment, il  faut donc à l'Arabe du désert, se soumettre au décret de Dieu, lequel veut la soumission au Sultan de la France.
 
(1) Ayant été officier d'ordonnance du duc d'Aumale, J'avoue que je tiens ces idées des conversations fréquentes que j'entendis souvent entre le duc d'Isly et son ami intime, alors le simple capitaine de Lamoricière.
 
Quand les choses auront eu le temps de prendre cette couleur aux yeux des fils du désert, je ne doute pas un instant que la haine des Arabes aura trouvé sa fin. — et que la, résignation, si ce n'est la soumission, ne sera pas éloignée.
 
Nous livrons ces observations aux hommes de sens et d'esprit.
 
Et, conséquemment, nous ajouterons en, corollaire, pour mieux faire saisir le mal, ces dernières réflexions :
C'est une-très grande erreur que la pensée où fut un instant l'administration en Algérie (1), — touchant la question religieuse. — Dès les premiers débuts, des défenses avaient été faites aux missionnaires de l'Algérie de chercher à parler religion avec les Arabes, — La pensée était bonne, sans doute: on craignait que: les Arabes, ne venant à s'imaginer que l'on, en voulait à leur religion, leur soumission fût plus difficile.
 
C'était une erreur.
 
Le danger n'était pas, avec les Arabes, de leur parler religion. — Le danger était de leur faire croire que les Français n'avaient pas de religion.
 
(1) Mémoire de Mgr Dupuch, évêque d'Alger, adressé au Roi, en son conseil, le 24 janvier 1845. Le vénéré prélat se plaint précisément de cette attitude d'indifférentisme administratif. Il signale cette attitude comme impolitique, étant de nature à exciter le mépris des Arabes contre les Français. - Voir ces Mémoires, Conquête d'Alger, par A. Nettement.
 
Tout le mal était là, et ce mal existe encore. — Quand., à Alger, on bâtit la première église catholique, les Arabes témoignèrent tine joie aussi grande, pour ne pas dire plus grande, que n'en témoignaient les soldats français (1). —Notre pensée est donc la bonne — les Arabes ne craignaient pas qu'on vînt leur ôter leur religion.
 
Ils regardaient comme des ennemis  d'Allah, des hommes auxquels ils ne voyaient aucune religion ; — c'était à ces hommes, à leurs yeux des impies, qu'ils ne pouvaient croire qu'Allah voulut soumettre les croyants du désert. De Là, leurs révoltes continuelles. — Et, complétant notre pensée, nous dirons :  Tant qu'à nous, parler religion avec les Arabes, et cela de la part de nos missionnaires, lesquels ne le font qu'avec sagesse, modération et justice, parler religion avec les Arabes, leur dire que la religion chrétienne est bonne, qu'elle honore Allah sincèrement ; — non seulement nous ne voyons aucun danger en cela, mais encore, nous déclarons très peu judicieuse et déraisonnable, la pensée contraire, et affirmons que notre colonisation en Algérie ne sera assurée et heureuse, que lorsque l'Arabe sera, sinon converti au christianisme, au moins converti à cette pensée : que le christianisme est une religion dans laquelle Allah est sincèrement honoré et que les chrétiens aiment Allah et sont dévoués pour sa gloire.
 
La chose est grave et importante, en ce moment surtout, où la France entière s'inquiète de ces révoltes terribles des Bédouins,- toujours insoumis, — égorgeant  nos soldats surpris, brûlant nos plantations, quand ils les voient florissantes.
Nous livrons nos observations aux appréciations des hommes d'esprit. — Nous ne craignons pas d'affirmer que, si les conseils que nous allons donner étaient pris en considération et fidèlement observés, ils vaudraient à la France mieux que tous les escadrons que l'on pourra demander, pour en imposer aux Arabes et aux Kabiles de la montagne.
 
(1) Conquête des Français en Algérie, par A. Nettement
 
Lorsque Louis XIV conçut l'idée des colonies, le grand roi voulut confier cette difficile mission à son ministre Louvois.
 
Comment s'y prit le ministre pour faire accepter notre domination aux sauvages du Canada et de la Louisiane?
 
Suivons bien. — Pour le nœud gordien, là est l'épée d'Alexandre :
 
Louvois, en homme de grand sens, a mesuré la - difficulté de l'entreprise. — Il s'agit de se rendre favorable l'esprit des Indiens ; il s'agit de les rendre amis des Français, — amis de la mère-patrie.
 
Que fera-t-il pour atteindre ce but ?
 
Choisira-t-il, pour envoyer au Canada des colons chargés de fonder la colonie, choisira-t-il des hommes déclassés, — ruinés, — banqueroutiers, — repris de justice ; — le rebut de la société ?
 
Suivons bien, hommes politiques, suivons le raisonnement.
 
Pour former votre colonie, vous acceptez, vous autres, politiques un peu novices, vous acceptez, comme on dit, bourre et balle : — tout vous est bon.
 
Là est le mal. La cause de tout le mal. — Apportons, ici, toute notre attention.
 
Le grand ministre du grand roi agissait autrement :
 
Louvois ne voulut jamais, pour envoyer dans nos colonies, que des hommes sincèrement croyants, — le reste lui importait peu. — Des hommes religieux, — des chrétiens, c'était tout pour lui. — Or. il suffit d'être homme d'esprit pour comprendre que Louvois, agissant de la sorte, donnait les preuves d'une grande- intelligence, — et que nos organisateurs de colonies, à notre époque, agissant autrement, se trompent grandement, montrant par là qu'ils ne  sont pas hommes d'esprit.
 
La chose est facile à comprendre, — et, en outre, d'une importance majeure :
 
Rendre soumises et dociles des tribus lointaines, — leur faire accepter, d'assez bon accord, l'autorité de la métropole, — leur enlever toute pensée d'insubordination et de révolte, — comment voulez-vous réussir ! Vous avez, sans doute, 80,000 soldats ; — mais, d'abord; 80,000 hommes ne suffisent pas pour contenir une population de Bédouins et de sauvages. - Si la population est frémissante comme nos trois ou quatre millions de Kabyles et  'Arabes que nous avons en Algérie, — quand vous auriez trois fois 80,000 hommes, — vous n'auriez encore réussi en - rien. — Vous réussiriez peut-être, après bien des millions dépensés, bien du sang précieux répandu, après bien des fatigues, vous réussiriez peut-être à prendre le chef des révoltés, — à faire de nombreux prisonniers, — à massacrer l'armée ennemie; - mais tout cela ne mènerait à rien, si vous n'ajoutez pas ce qui  va suivre. — Vos victoires  n'obtiendront rien de définitif; car, après un Abd-el-Kader pris, une Mascara saccagée, une Constantine détruite, — surgira un autre échec de la Tafna, ou bien de la Macta, ou bien de la Tour-Carrée.
 
Plus tard, un autre Abd-el-Kader apparaîtra, portant le nom de Si-Lala, — ou bien celui de Si-Hamed-Ben-Hamza, — et toujours nos plantations seront brûlées par de nouveaux incendiaires, — et toujours ce sera à recommencer. — La métropole sera appauvrie, — les colons ruinés, — et toujours les Bédouins, après leur haine assouvie, se sauveront pour se cacher au fond de leurs montagnes.
 
C'est bien là l'histoire de nos malheurs en Algérie, direz-vous. — Vous êtes aux expédients, — et, à la lueur sinistre de la flamme incendiaire qui dévore toutes nos richesses, vous allez à la recherche de moyens de pacification. 
 
Écoutez donc ; ce moyen est simple, — et tout homme le comprendra, ce moyen, pour peu que cet homme-là soit homme d'esprit.
 
Le maréchal Mac-Mahon vient de publier une lettre d'une sagesse incontestable. — Malheureusement, il ne touche la plaie que du doigt. — C'est en ce point qu'eut dû s'arrêter le gouverneur, comprenant que, pour délier le nœud gordien, lui aussi avait l'épée d'Alexandre. En effet, le gouverneur écrit : Relever le prestige religieux ; pour cela, créer trois évêchés :
 
Bône, — Oran, — Constantine. — Très bien, mais au lieu de passer légèrement sur ce chapitre, il fallait s'arrêter là, — nous complèterons ce qui manque ; — nos grands matamores, approchez et écoutez : nous poserons nos conclusions en forme d'aphorisme. Vous voulez soumettre le Bédouin et couper court aux révolutions ; imitez le grand ministre du roi Louis XIV ; celui-là était un homme d'esprit.
 
1° Organisez une colonie profondément religieuse. Trois ou quatre évêchés créés de plus, chose excellente, sera chose peu fructueuse en résultats, si vous n'y ajoutez ce que nous indiquons—
 
2° Quoique la chose soit difficile, veillez à ce que les hommes partant pour l'Algérie, soient des hommes religieux, sincèrement religieux, pratiquant la religion —
 
3° Pour atteindre le but d'une organisation fortement trempée, sous le point de vue religieux, multipliez les établissements agricoles d'ordres religieux, à l'instar des établissements de Statouëli ;
 
4° But : Relever le prestige de la religion des Français, pensée très bonne; mais en ne se contentant pas seulement d'ériger des évêchés et archevêchés, mais en ajoutant une organisation civile religieuse, organisation honorant les cérémonies et les ministres de la religion -
 
5° Ce respect et ces honneurs, non pas seulement extérieurement, mais sincèrement. Que le jour consacré au service divin soit fidèlement observé ; — que  les milices, en grande tenue, assistent au service divin le saint jour du dimanche ; - que les soldats soient exempts de service pendant les offices publics —
 
6° Après avoir relevé la dignité des prêtres de la religion, que l'administration trouve un moyen pour mettre en contact avec les Arabes les ministres sacrés, de bons missionnaires. Au temps de Louis XIV, quand les Iroquois se révoltèrent contre nous, deux missionnaires furent députés vers les Hurons, pour nous rendre fidèle et alliée cette tribu. Les RR. PP. Brébœuf et Lallemant furent chargés de cette mission, et les deux excellents prêtres réussirent; — ils nous gagnèrent les Hurons qui nous furent constamment alliés-(l) —
 
7° Quand le Bédouin aura pu croire que ses maîtres, les Français, respectent leur religion, — il croira volontiers qu'ils- aiment Allah et sont aimés de lui. — Alors, le gouverneur Mac-Mahon pourra leur écrire la lettre pleine d'à-propos, citée plus haut ; — sans nos conclusions exprimées ci-dessus et parfaitement accomplies, vous ne ferez jamais rien des Arabes —
 
8° Sans ces précautions, vous pourrez sans doute en imposer un instant, frapper un grand coup, remporter une victoire, brûler une ville, verser le sang. — Mais, souvenez-vous-en bien, — le sang appelle le sang. — la force brutale ne fonde rien, nous disons la force brutale, voulant dire la force séparée de ce que nous demandons : la morale et le sentiment religieux.
 
(1) Chateaubriand, Génie du Christianisme, liv. IV, part. IV, chap. VIII.
 
La force brutale ne peut rien fonder de stable; — disons-nous, — ceci est à l'adresse des écrivains fanatiques et impies de notre époque, faisant reposer le droit sur le fait de la force contre la faiblesse, — la force brutale ne fera jamais rien de stable; — elle a deux ennemis terribles :— la force des choses, — laquelle, par sa force naturelle, fait que le droit, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas revient toujours à flot, tandis que la tyrannie succombe. — Ainsi, la grande force brutale de la révolution, concentrée entre les mains de Marat et de Robespierre ; — comme cette force qui triomphait n'était que la force brutale, elle devait succomber, et elle a succombé, en effet, comme elle succombera toujours… toujours… toujours, autrement la nature serait à refaire, — et le grand architecte se serait trompé; — c'est le droit qui doit toujours avoir le dessus.
 
La force brutale a encore contre elle la justice de Dieu ; comme le dit le comte de Maistre, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, c'est toujours Dieu qui est le maître, — c'est toujours lui qui gouverne les peuples, même sans que les peuples s'en doutent. — Seulement, dit avec une grande sagesse l'auteur des Soirées, — Dieu donne aux peuples les gouvernements que les peuples méritent; — quand les peuples méritent bien. Dieu leur donne des gouvernements sages et paternels, — des Pépin, — des Charlemagne, — des Saint-Louis, — des Louis XIV. Quand les peuples se moquent de Dieu et dépassent les limites, Dieu se retire; — alors un Marat fait voir sa tête de sauvage, un Robespierre sa gueule ensanglantée, — ou bien un Attifa ses hordes affamées de carnage. Mais c'est toujours Dieu qui est le maître ; quand la mesure est comble, Dieu démasque à son tour ses batteries, bien autrement terribles que les canons rayés. — Alors, c'est le flot impétueux du peuple en révolte, qui emporte les gouvernements iniques, — ainsi l'impie Athalie, — ainsi l'ignoble Néron — ainsi la tyrannie turque détruite à Navarin et mieux à la bataille de Lépante: et du reste, il n'y a pas à choisir : tous les tyrans du monde au temps du paganisme. — parmi les Juifs. — ou bien au temps du christianisme, tous les tyrans ont toujours été balayés ; — comme le dit de Maistre, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, c'est toujours Dieu qui est le maître. - (De Maistre,/Considérations sur la France).
 
9° Donc, si vous voulez faire quelque chose de stable en Algérie, voir même ailleurs, en France ou au Tonkin, — écrivains et journalistes, soyez des hommes d'esprit; n'oubliez pas les enseignements renfermés dans ces pages : - bâtissez sur l'équité et la justice, — la religion et la crainte de Dieu; autrement, Dieu vous balayera tous, et il fera table rase ; — ce sont, du reste, des païens qui ont dit ces choses ; — mais ces païens, il faut le dire, étaient des hommes d'esprit : — l'un s'appelait Plutarque (1), l'autre Platon (2).
 
Il y avait ces jours, au milieu de nous, un impie devenu célèbre.
 
Ce nouveau Julien l'Apostat, arrivé au sommet du pouvoir, ne s'était servi de ce même pouvoir, que pour réagir contre la foi chrétienne, la croyance de la jeunesse.
 
Par le fait des lois iniques, édictées par l'impie, les douces images du Christ avaient été perfidement arrachées des écoles de nos enfants baptisés.
 
L'enseignement chrétien interdit aux maîtres, dans ces mêmes écoles (3).
 
Soudain, une inspiration étrange vient aux chefs du pouvoir, d'envoyer ce digne émule de Tigillin, en qualité de gouverneur, en nos colonies lointaines.
 
C'est là que le Dieu vengeur d'Aman et d'Antiochus attendait l'ennemi de l'enfance et du. Christ de notre croyance.
 
(1) Banquet des Sept sages, traduction Amyot.
(2) Platon va plus loin. - — Celui qui penserait le contraire, il l'appelle un grand 80l (Platon, in Phœd).
(3) En notre qualité d'ancien soldat de l'armée d'Afrique, partisan de la justice et de la liberté pour tous, — -nous nous déclarons parfaitement disposé à tirer le sabre contre tout Tigillin ou Nabis, — aussi bien que sur les champs de bataille, — aux jours terribles de la puissance du guerrier africain ; à l'heure présente la loi inique ayant chassé, sans pudeur, nos Frères et -excellentes sœurs de l'enseignement public, nous  nous posons en revendicateur contre cette  loi d'une tyrannie impossible, — et nous lutterons à outrance pour obtenir que cette loi impie soit au plus tôt abolie.
 
À peine le profanateur a-t-il touché la terre des lointains rivages, qu'une maladie mystérieuse et effroyable vient saisir le Nabis impitoyable de nos écoles sans Dieu. — Sa figure devient noire, comme devait l'être son âme, — des souffrances indescriptibles se sont emparées du grand coupable ; — sa malheureuse épouse, frappée de stupeur — au milieu de ces régions sauvages, —fait un suprême appel à la charité des missionnaires chrétiens.
 
Mgr Pugénier arrive.
 
Le Pontife se présente. — La sainte image du Christ apparaît sur la poitrine de l'émule de Nathan, - devant David.
 
À la vue du céleste symbole que le pécheur sacrilège a fait arracher des écoles de nos enfants, fils du baptême, des larmes de feu coulent de ses yeux mourants.
 
La main du Pontife, s'élève pour appeler le pardon du Ciel.
 
La mort, à quelques instants de cette heure solennelle, a frappé le .pécheur (1).
 
La tombe s'est ouverte sur la terre étrangère, — et la justice de-Dieu a jugé le triste émule de Julien l’Apostat.
La scène se passe à Hanoï, à quatre mille lieues de la terre natale (Tonkin).
 
À quelques jours de là, un navire, aux  pavois de deuil et de noir, ramenait, au milieu des flots, les restes de celui qui avait été l'ennemi juré de nos enfants chrétiens. — Ce grand apostat n'est plus sur la terre, Dieu l'a jugé dans les Cieux.
 
Voix de l'Éternel : Mane, — Thecel, — Pharès. — Vous qui avez été les émules de ce grand coupable, — n'oubliez pas que c'est moi qui suis toujours le maître, — ici-bas et aux Cieux.
 
(1) Journal le Monde, racontant cette mort effroyable du coupable Paul Bert. (Le Monde, 21 décembre 1886). Et maintenant quand viendra le tour iiu second Paul Bert — le misérable auteur de l'article 7 — et son digne comparse Buisson ?
 
Moi — l'Éternel – Jehova — moi qui traite les rois et les peuples, selon les mérites de chacun.
 
Pharaon ou Antiochus — s'ils persévèrent dans leurs iniquités — ou trésors de richesses — pour les Salomon et les Rois Charlemagne.
 
Donc, gouverneurs de l'Algérie, — consolidez franchement les autels et la religion, au milieu du désert ; — montrez-vous de francs et religieux chrétiens, devant l'Arabe et le Bédouin., — pleins de respect et de vénération pour les Marabouts chrétiens ; — respectez, devant le religieux Musulman, respectez les lois et les préceptes de la religion ;  allez à la messe le dimanche, vous et tous vos gens. — Ne vous moquez plus des gens d'esprit, qui, ayant la foi et l'intelligence en partage, vont s'agenouiller devant leurs prêtres, — et recevoir leur Dieu à la table sacrée ; — imitez-les, vous, grands officiers, grands capitaines, ministres et gouverneurs, — comme c'est votre devoir, comme faisaient l’illustre prince d'Isly, le maréchal Bugeaud, — Drouot, — O'Connel et le magnanime Lamoricière — Alors,- je vous le promets et je vous le certifie, moi, qui ne suis devenu homme d'un peu d'esprit que grâce à mes études et à mes entretiens avec les gens d'esprit d'autrefois : Platon, Cicéron et Plutarque  - je vous le promets, vous serez respectés des Bédouins ; — vous aurez fait aimer votre autorité, — et les Français de l'Algérie seront au milieu des déserts de l'Islam adouci, ce que les Français étaient devenus dans les plaines de la Louisiane et du Canada, au milieu des sauvages et des Hurons féroces, devenus nos amis ; mais, devenus les amis de leurs maîtres, parce que le grand Louvois avait veillé à ce que ces maîtres fussent gens d'esprit et chrétiens sincères, et que, pardessus la tête du grand Louvois, il y avait la justice de Dieu, qui est toujours là pour faire prospérer ceux qui marchent dans les sentiers, non de la force, mais bien de la justice, de la religion et de l'équité.
 


Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Délivrance de 56 prisonniers français - Voyage de l'abbé Suchet — Son départ d'Alger — Premiers incidents —Moyens uniques de pacifier l'Algérie — Le grand Louvois, ministre de Louis XIV — Quelques conseils pour la pacification de l'Algérie.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L'ÉMIR ABD el KADER
par le Chevalier WILLIAM
Echo d'oran
Echo d'Alger
Alger republicain
Inauguration du monument
L'Emir Abd el Kader
par le chevalier William
Portrait et Légende
Émir Abd el Kader