Avec l'année 1840 commence cette guerre de sept ans, qui va se terminer par la prise d'Abd-el-Kader. — À l'intrépide duc d'Aumale, fils du Roi Louis-Philippe, était réservée la gloire de terminer cette mémorable campagne.
Arrivé en Algérie le 22 février 1841, ce vaillant homme de guerre a compris sa mission. — Depuis six ans, l'administration française a cherché à calmer les Arabes par la douceur, et à les accoutumer à vivre en paix avec nous ; — nos généraux ne voulaient qu'une chose : repousser les attaques fréquentes des infatigables Bédouins, — leur faire comprendre que nous étions les plus forts. — Dix-ans d'une pareille politique n'ont amené aucun résultat ; les tribus sont aussi insoumises qu'au début.
Le maréchal Bugeaud, secondé par les princes d'Orléans, le duc d'Aumale à la tête, déclare qu'il va changer de tactique. De 63,000 hommes, il élève l'effectif à 100,000 ; — on n'attendra plus les attaques des Bédouins; — c'est eux, au contraire, qui vont être sur le qui-vive. — Tant qu'Abd-el-Kader commandera une armée, — il n'y aura ni paix ni trève dans la plaine et dans les montagnes.
Le maréchal Bugeaud partage son armée en 14 colonnes, et, dès lors, commence cette chasse inexorable qui se termine par la prise de l'émir. Le Maroc, ayant donné asile à Abd-el-Kader aux abois, on punit les Marocains par le bombardement de Tanger et de Mogador. — L'empereur du Maroc, subjugué par l'ascendant d'Abd-el-Kader, a l'imprudence d'accepter le combat. — Alors a lieu la bataille d'Isly, — dont l'issue glorieuse mérite au vainqueur le nom immortel de duc d'Isly. — 25,000 Marocains sont mis en fuite par 11,000 Français, c'est le duc de Nemours — uni au duc d'Aumale, — auquel est due cette mémorable victoire.
De 1840 à 1817, les années sont remplies par des faits isolés à. l'exception de l'affaire du Maroc ; — mais la tactique du maréchal Bugeaud : toujours marcher en avant, va finir par épuiser Abd-el-Kader. La leçon donnée au Maroc lui a fait comprendre que les lois de la neutralité sont les mêmes partout et pour tous; Abd-el-Kader se voit forcé de renoncer à se réfugier dans le Maroc. Serrée de près par l'intrépide Lamoricière qui le surveille à la tête de ses zouaves, — la noble proie ne peut échapper. — Abd- el-Kader avec les siens est sur la frontière. Laquelle lui est impitoyablement fermée; l'indomptable chef des Arabes a vu pâlir son étoile.
Néanmoins, il ne pense pas à se rendre. – Le désert lui reste ; — sa résolution est prise. À la tête d'une poignée de braves qui ont juré de s'attacher au sort de leur Émir jusqu'à la mort, il se précipite vers le Sahara. — Malheureusement, il ne lui reste qu'un passage pour s'enfuir dans le désert, — et le vaillant et perspicace duc d'Aumale a prévu l'événement. — On appelle ce passage le col des Kerbous. Au moment où l'Émir et ses Bédouins, légers comme l'air, vont pour se précipiter par cette unique issue, ils sont reçus par une fusillade terrible, partie du haut des rochers. Abd -el -Kader a compris que c'en est fait de lui; — bientôt le drapeau blanc s'agite dans le camp des Arabes, — signe de soumission. — Abd-el-Kader envoie un parlementaire au brave général duc d'Aumale, lequel en émule digne des Bayard de la chevalerie de France, accueille les propositions de paix qui lui sont faites.
Notre heureux vainqueur voit accourir vers lui quelques cavaliers arabes qui agitent leurs burnous en signe de paix. C'était l'avant-garde de cinquante à soixante cavaliers qui restaient à l'Émir. La famille d'Abd-el-Kader était à quelques pas en arrière, sous la-protection d'un détachement de spahis.
Ce fut un moment solennel pour nos soldats, quand ils virent de leurs yeux cet intrépide guerrier qui, depuis dix-sept ans, était présent partout, sans que personne pût le voir; alors qu'il leur fut donné de contempler Abd-el-Kader, se recommandant à la clémence de son vainqueur.
Près de là se trouvait le marabout de Sidi, espèce de chapelle arabe - Abd-el-Kader demande à y faire sa prière. Arrivé en présence de ses vainqueurs, fils du roi Louis-Philippe, ducs d'Aumale et de Nemours, les premières paroles qui sortent de la bouche de l'Émir furent celles-ci, adressées au duc d'Aumale.
Il y a longtemps que tu devais désirer ce qui s'accomplit aujourd'hui. Tout arrive selon la volonté de Dieu.
Belles paroles, dit l'historien, qui expriment le juste sentiment que le captif avait de sa valeur et de sa soumission aux décrets du ciel, dernière dignité de la grandeur déchue. — Ce mémorable événement se passait le 21 décembre de l'année 1847.
Je ne terminerai pas ce récit touchant nos luttes en Algérie et nos combats contre Abd-el-Kader, sans raconter un fait illustre entre tous, lequel fait n'a pas été assez mis en évidence par les feuilles publiques. — Quoique simple soldat d'Afrique, on n'en a pas moins pour cela ses idées et sa philosophie.
Ce que je veux raconter, c'est ce touchant souvenir qui apprendra aux générations que les soldats de la France sont toujours les descendants des guerriers de saint Louis, de Clovis et de Charlemagne ; car, tout bronzé que l'on est par le soleil d'Afrique. On n'en est pas moins pour cela fidèle admirateur de tout ce qui est beau, grand et noble :
Nos soldats étaient renfermés dans la Maison Carrée ; c'était sous le gouvernement, du maréchal Valée. Tout à coup sort d'une embuscade une nuée de Bédouins commandés par Abd-el-Kader lui-même. — Nos soldats cernés à l'improviste, sont pris sans coup férir. — On n'avait pas le temps de parlementer ; — les prisonniers, pour Abd-el-Kader, c'était un rude embarras.
L'Émir, devenu cruel, fait placer nos soldats au milieu de ses Arabes, armés jusqu'aux dents. — Choisissez, dit le vainqueur devenu barbare ! .. L'abjuration ou la mort!... - Le moment est solennel !. - Les bourreaux n'attendent que le signal !...
L'officier français, après un moment de silence, consulte le tambour debout près de lui : — Renier mon baptême et mon Dieu et la religion de ma mère ? — Non ! Capitaine ! Jamais ! — Ni moi ! — Ni moi ! Ce fut un cri général ! - et tous les nôtres sont égorgés sans pitié.
Mais, si c'est vrai ce que la religion nous enseigne, une légion d'anges envoyés de Dieu, durent descendre des Édens éternels, pour recueillir le sang des martyrs et conduire au ciel leurs âmes en triomphe !. Salut, glorieux et courageux martyrs!.. Recevez ce salut d'un de vos anciens camarades, qui, au souvenir de votre mort sacrée, ne peut s'empêcher, après vingt années écoulées, de sentir ses paupières s'humecter de ses larmes. — Vive la France ! vivent nos vaillants soldats d'Afrique !..
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France