L'Emir Abd el Kader
par le chevalier William
Ire Phase 1— Phase de tâtonnements. — La puissance d'Abd-el-Kader grandit. — Échec de la Macta. — Revanche. — Prise de Mascara.
 
La puissance turque détruite, on ne savait trop ce qu'allait devenir cette guerre, avec ces soldats demi-sauvages, - que nous avons d'abord appelés des Bédouins.
Au début de la campagne d'Alger, nul n'avait soupçonné ce nouveau genre d'ennemis, qui avaient vécu oubliés depuis les temps de Jurgurtha et de Bélisaire. — Nos généraux, vainqueurs d'Aller, surpris de ces attaques à l'improviste, venant de légions de fantômes en burnous déchirés, galopant et s'enfuyant comme le vent, sur des fantômes de chevaux, d’une vélocité inouïe, nos généraux demeuraient interdits. — Croyant se trouver en présence de l'ennemi, nos soldats faisaient volte-face ; — puis, aux premières charges des canons, les boulets n'avaient plus pour but que des rochers et des cavernes.
 
La fuite des ennemis faisant croire à leur défaite, nos soldats rentraient dans leur camp; — c'est alors que les  burnous revenaient à la charge, mettaient nos troupes en mouvement, puis disparaissaient et s'évanouissaient comme des fantômes.
 
Tant qu'il s'agit de tours imprenables, d'armées nombreuses et aguerries, de coups de tête invraisemblables, nos soldats ne connaissent rien d'impossible : tours, forteresses, armées invincibles, tout cède et tout succombe.
 
Mais se battre contre des ennemis qui s'évanouissent et se cachent, et semblent, en fuyant dans leurs montagnes, se moquer de nos escadrons disciplinés, — cette guerre à la Don Quichotte, pour s'évertuer, eut bien amusé nos  soldats, — mais au sérieux, cette tactique les jetait dans le désespoir et le dégoût.
 
Les chefs, fatigués comme les soldats, ne désiraient qu'une chose : en finir; — c'est ce que veut l'habile Abd-el-Kader.
Le perspicace émir a deviné ses ennemis ; - il se montre et se présente comme le chef des Bédouins. - Nos généraux, ne pouvant faire la guerre avec des ennemis insaisissables, fatigués, acceptent la paix.
 
1834 arrive et voit naître un traité de paix signé entre le général Desmichels et l'émir Abd-el-Kader.
Comme on le voit, le rusé Arabe était habile. – Ce traité lui valait mieux qu'une victoire ; — sans lui coûter un seul soldat, de simple chef de brigands - ou au moins de partisans, — ce traité officiel lui donne un caractère de  souveraineté.
 
La prophétie du vieux faquir va s'accomplir. - Abd-el-Kader marche à ses destinées ; — par ce traité, il se désigne le sultan des Croyants ; — en outre Abd-el-Kader s'engageait à pacifier les tribus; - c'était ce que voulaient nos généraux; — mais Abd-el-Kader ne voulait que cimenter son pouvoir. – Il allait réussir ; — le traité lui garantissait, en retour, le droit de vendre et d'acheter de la poudre, — idem, des armes de guerre.
 
Abd-el-Kader est désormais souverain.
 
Le point dominant du traité, — c'était de pacifier les tribus.
 
Les chefs français s'imaginaient la pacification dans leur intérêt, afin de pouvoir mieux asseoir leur puissance et leur domination.
 
L'émir l'entendait autrement ; pour lui, c'était se soumettre les tribus, pour régner un jour sur elles — les Français ne devaient avoir, en Algérie, sous sa protection, que quelques comptoirs de commerce. — Telle était la pensée d'Abd-el-Kader.
 
L'émir avait ses idées bien arrêtées; -il n'en était pas de même du côté de la France. — La prise d'Alger suivie de la chute du roi Charles X. avait eu pour résultat, nécessairement : — indécision, — incertitude. Mais la Providence avait ses desseins sur tous ces vieux Bédouins; — car, tout partisan que je suis, comme ami, de la liberté de conscience, je déclare que ces fils du désert et des montagnes, auraient bien besoin de notre civilisation. — Leurs mœurs cruelles et sauvages les mettent certainement bien au-dessous de notre époque.
 
Malgré, néanmoins, mes allures de tolérance religieuse, j'affirme qu'aucune civilisation n'est possible sans une religion morale et sérieuse. — Et je proclame que la religion chrétienne, avec sa morale et ses principes de douceur et de mansuétude, est la seule qui puisse arriver à une vraie civilisation.
 
Je le prouve, l'histoire à la main; — foi d'ancien soldat d'Afrique, pour avoir embroché plus d'un burnous et d'un Kabyle, il ne s'ensuit pas qu'on n'ait pas grignoté un peu d'histoire et de philosophie.
 
L'histoire ! L'histoire ! cher lecteur, voilà le foyer de la vraie sagesse ; — c'est l'histoire qui fait l'homme d'esprit, de bon sens et de jugement.
Donc, le traité de 1834, fait avec Abd-el-Kader, signale la première phase de nos guerres avec l'émir.
 
Cette première phase a un nouvel incident; un malentendu amène la rupture de la paix.
 
1834 voit naître un engagement au milieu des montagnes de la province d'Oran. — Le brave général Trézel éprouve un grave échec, — cet échec est connu sous le nom d'échec de la Macta. — 1836 est signalé par une revanche. —Le maréchal Clausel est envoyé pour venger l'échec de la Macta ; — le duc d'Orléans, fils du roi Louis-Philippe, accompagne le maréchal Clausel. L'armée d'expédition se dirige vers Mascara, voisine de la Macta.
 
La ville est saccagée et brûlée ; — nos troupes se retirent après cette vengeance éclatante. — Quand nos soldats sont partis, Abd-el-Kader ne tarde pas à prendre sa revanche ; — il répare Mascara ; puis, sans se déconcerter, poursuit les nôtres, les surprend près de la Tafna et les bloque dans leur camp.
 
C'était par trop d'audace ! Nos moustaches françaises emprisonnées par une armée de Bédouins! — Alors le futur illustre Bugeaud va commencer sa fortune guerrière. — Il est envoyé pour débloquer nos soldats enfermés dans leur camp de la Tafna — et donner la chasse aux burnous — Le général Bugeaud met en fuite Abd-el-Kader et dégage nos soldats.
 
La victoire des Français amène un nouveau traité; - ce traité, dans le même esprit que celui de 1834 : - la paix.
 
Le traité consacre de nouveau la souveraineté de l'émir; — le traité fait une délimitation de territoire. — La France gardera Alger et une partie de la province d'Alger, quelques points dans la province d'Oran : c'est-à-dire : Mostaganem, Mazagran, Arzew. — De plus, le Sahel et une partie, de la plaine de la Mitidja. — Tout le reste était la part échue à Abd-el-Kader.
 
C'était certainement agrandir la puissance de l'émir. — On appela ce traité, traité de la Tafna.
 
La paix était signée, la France était contente. Nous sommes en 1837.
 
Ici finit la première phase, phase de tâtonnements.
 
2e Phase. — Phase de paix
 
Durant cette seconde phase qui dure trois ans, rien de bien remarquable. — Nous sommes en paix.
 
La paix, c'est donc la mort de l'histoire ; — mais aussi l'histoire intéressante, c'est la mort des peuples.
 
C'est pourquoi un écrivain célèbre a dit :
 
«Heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire.»
 
Je pourrais ici faire mes réflexions et me poser, moi, vieux troupier, en intrépide philosophe, traiter cette question : à savoir lequel est préférable pour un peuple, — d'être un peuple célèbre, et par là d'avoir une belle page dans l'histoire, — ce peuple dut-il périr dans son histoire, — ou bien, d'être un peuple sans histoire, sans intérêt, par conséquent; - mais de vivre calme et tranquille. (1)
 
- Pour laisser quelque chose à la décision du lecteur, — je me contente de poser la question, sans me donner la satisfaction de la traiter ni de la résoudre.
 
Pendant cette phase de paix, Abd-el-Kader s'occupe du soin d'organiser ses tribus en petit État: — administration civile et militaire.
 
L'occupation française fait de même dans le territoire qui lui est échu. — Mais bientôt les deux autorités veulent s'étendre, — elles se touchent; le doute des délimitations exactes va rompre la paix ; c'est la troisième et dernière phase.
 
(1)Évidemment, le prétendu vieux troupier n'est pas un philosophe des jours de Memphis. Un peuple, sans histoire d'égorgements et de guerres peut bien, assurément, être riche d'un passé de gloire, autre que la gloire du sang et du carnage. Le règne d'Auguste, riche de ses Mécènes et de ses Cinna, n'a pas été un règne sans éclat. Le siècle de Léon X, comme les beaux jours du saint roi Ézéchias, prouvent, d'une manière assez manifeste, — que la paix parmi les peuples est et sera toujours le plus beau règne des rois, ici-bas. {Note de la Rédaction.)
 



Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Guerre avec Abd-el-Kader et les Bédouins.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L'ÉMIR ABD el KADER
par le Chevalier WILLIAM
Echo d'oran
Echo d'Alger
Alger republicain
Inauguration du monument
L'Emir Abd el Kader
par le chevalier William
Portrait et Légende
Émir Abd el Kader