La puissance des Turcs une fois tombée en Algérie devant les armes françaises, avec la puissance du Dey, l'autorité des vainqueurs devait naturellement s'établir à la place des vaincus; — mais alors apparaît Abd-el-Kader.
Bon nombre de tribus arabes avaient vu avec une satisfaction secrète disparaître la domination turque, et déjà Arabes et Kabyles, connus de nos soldats sous la dénomination générique de Bédouins, avaient conçu la pensée grande et noble de reconquérir leur indépendance. -- C'est vers cette époque précisément que revenait de son pèlerinage à la Mecque le père d'Abd-el-Kader. Le lecteur comprendra facilement maintenant l'heureuse coïncidence, qui allait faire grandir le nom du futur Émir et cimenter sa puissance.
L'Arabe, naturellement superstitieux, ou plutôt d'une foi absolue dans la protection d'Allah, crut fermement au récit des trois pommes présentées par le mystérieux vieillard. Abd-el-Kader, excité par son ambition personnelle, unie à un légitime amour pour l'indépendance de sa patrie, doué par ailleurs de qualités éminentes, dut se laisser nécessairement aller à l'entraînement général.
Les tribus à l'envi le choisirent pour leur chef ou émir. — La puissance d'Abd-el-Kader était désormais assurée ; mais aussi la France allait rencontrer un ennemi terrible, habile, opiniâtre.
Précisons la situation ; — quelques détails : Vous parlez, mon vieil ami, de la prise d'Alger; vous avez entendu parler de Constantine, Oran, Médéah, du Maroc, de la bataille d'Isly, — c'est bien ; mais tous ces événements sont pêle-mêle, dans votre tête ; comment pourrez-vous raisonner, si tous ces faits ne sont pas enchaînés avec précision. — Donnons donc à ce beau passé de l'histoire, l'aspect grandiose, révélant de plus en plus, la grandeur de la mission de la France :
Deux phases marquent nos guerres en Algérie :
1° guerre contre la puissance régnante déchue, la puissance turque ; 20 guerre contre les tribus indigènes, — les Arabes et Abd-el-Kader.
§ 1. — Guerre contre la puissance régnante, la puissance des Turcs
Nous l'avons dit au commencement, les tribus bédouines étaient soumises à leurs conquérants, les Turcs, qui dominaient à Alger depuis Barberousse.
Les Turcs, sous l'autorité d'un dey, dominaient encore à Oran, à Titery, à Constantine, à Tunis et Tripoli. — Le dey d'Alger était autrefois le suzerain de ces provinces qui lui payaient tribut. — Les chefs turcs résidant à Oran, Titery (Médéah), Constantine, Tunis, portaient le titre de beys.
On appelait Régence le gouvernement d'Alger et ses dépendances. — Alger, une fois en notre pouvoir, il nous fallait poursuivre la puissance turque ou obtenir un acte de soumission.
Toute la Régence (1) ayant vu tomber Alger, sa capitale, ne tarde, pas à faire sa soumission à la France. Mustapha, bey de Titery, résidant à Médéah, écrit à M. de Bourmond, pour déclarer qu'il se soumet à la France.
Tripoli suit cet exemple, — grâce à l'intervention habile et diligente des princes d'Orléans, le duc d'Aumale à la tête. — Le 25 juillet 1834, Tunis se soumet également à la France; — le bey d'Oran, en guerre avec les Arabes, se jette dans nos bras et déclare vouloir se retirer en Asie avec ses richesses.
(1) On appelait Régence la partie de l'Algérie soumise au dey d'Alger, y compris Oran, Titery, Tunis et Tripoli.
— Tous ces actes d'adhésion au gouvernement français s'accomplissaient au moment même de la prise d'Alger.
Constantine, seule de toute la Régence, refuse de se soumettre. — Ce n'est qu'en 1836, que le maréchal Clausel, gouverneur de l'Algérie, entreprend la conquête de cette ville.
Constantine est d'un accès extrêmement difficile. Perchée comme un nid d'aigle sur un plateau élevé, elle est entourée de trois côtes par un ravin profond, au fond duquel coule le Rummel. Le quatrième côté est protégé par des fortifications considérables. — Le maréchal Clausel. à la tête de sept mille hommes seulement, arrive devant Constantine, les 2 novembre 1836. Après des prodiges de valeur, pour traverser les ravins escarpés qu'il a rencontrés dans ce pays montagneux, il forme, malgré les fatigues de sa petite armée épuisée, le siège de la ville.
Ahmed-Bey, chef de Constantine, s'est préparé pour la défense : — un feu nourri et meurtrier repousse nos soldats et les oblige à la retraite, après des pertes regrettables.
La France ne peut demeurer sous le coup de cet échec. L'année suivante, une seconde expédition est dirigée sur Constantine. — Cette fois, cette expédition est préparée avec intelligence.
Les difficultés ne sont pas moindres que la première fois, — mais toutes les précautions sont prises.
—Il faut vaincre. — Alors apparaissent les noms qui deviendront glorieux, des vaillants guerriers, Lamoricière, Bedeau, Bugeaud. Cavaignac et Leflô, sous le commandement des Princes d'Orléans, fils courageux du roi Louis-Philippe.
La peinture a retracé la scène principale de ce terrible assaut de Constantine : le brave Lamoricière au sommet de la brèche, au moment d'une explosion terrible, et tenant à la main le drapeau vainqueur. — Le duc de Nemours était à cette seconde attaque. — Constantine se rendit à la France le 13 octobre 1837. — La prise de cette ville coûta la vie au général en chef, le courageux Damrémond, frappé d'un boulet au milieu des retranchements.
La reddition de Constantine achève de ruiner la puissance des Turcs. — Un grand nombre quitte l'Algérie — Notre autorité est assurée dans les villes où domina le turban ; mais aussi, un autre ennemi va se lever : les indigènes ou Bédouins, habitants de la plaine et de la montagne. — C'est la seconde phase, — guerre avec Abd-el-Kader.
§ 2. — Abd-el-Kader et les Bédouins
Ici commence une série de faits guerriers héroïques, et hélas ! Souvent désastreux pour nos soldats.
Abd-el-Kader s'est mis à la tête des tribus arabes. — Heureux de la chute des Turcs, le valeureux guerrier et habile politique a formé le projet d'organiser un gouvernement indigène, de chasser les Français du sol de l'Algérie, et de devenir lui-même le chef de ses compatriotes, les Bédouins ou Arabes.
Sa dignité de fils de marabout, et marabout lui-même, ajoutera à son prestige militaire. — Toutes les tribus se lèvent à son appel. — L'indomptable guerrier, qui va tenir la France en échec, pendant près de dix-sept ans, a compris la situation. — Trop faible pour accepter une lutte régulière avec ses ennemis, il cherchera à nous épuiser en harcelant nos troupes et en affamant nos soldats.
Ainsi autrefois Jugurtha, au temps des Romains, ce chef des anciens Numides, fatiguait les soldats de Rome, — n'acceptant jamais le combat, se montrant tantôt sur une colline, tantôt sur une autre ; attaquant aujourd'hui l'arrière-garde de Métellus et demain celle de Marius, — ne se proposant qu'un but : mettre obstacle au projet des armées romaines et les épuiser par la fatigue (1).
Ainsi Abd-el-Kader dans sa lutte avec nos soldats. — On peut distinguer trois phases dans la guerre avec Abd-el-Kader: 1° Phase de tâtonnements; 2° Phase de paix ; 3° Phase de guerre décisive et plan arrêté.
(1) Sallust., De bello Jugnrth.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France