NOTRE CASQUE COLONIAL
En Afrique du Nord, les Européens des campagnes, colons ou non, possédaient tous un casque en liège dit casque colonial. Combien de fois nos mères ont eu à nous dire, dès le mois de juin : « Ne sors pas sans ton casque ! » ou bien : « Passe à l’ombre ! » On en fabrique sans doute encore puisque j’en ai vu un, il y a quelques années, chez un chapelier. Notre casque n’avait pas tout à fait la même forme que le casque colonial de l’Afrique tropicale dont le bord tombe sur la nuque et sur les yeux. Le nôtre ressemblait plus à un chapeau à larges bords.
Nos casques étaient blancs, ou kakis, parfois gris. Les casques blancs étaient plus salissants, mais leur blancheur pouvait être constamment rénovée avec l’unique produit de l’époque, le blanc d’Espagne. Le corps et les bords du casque, d’environ trois millimètres d’épaisseur, étaient sans doute moulés d’une seule pièce, en particules de liège agglomérées. Le tout était habillé de tissu très fin dont on distinguait les différentes parties soigneusement cousues avant collage sous presse. Tout autour du bord inférieur et intérieur du casque, de petits disques de liège assez épais soutenaient une ceinture fine de cuir qui enserrait la tête et la gardait à distance de la paroi. Au sommet de la calotte s’ouvrait un trou circulaire de quelques centimètres, fermé à l’extérieur par un petit champignon métallique recouvert de toile dont le pied était une vis sur laquelle s’engageait à l’intérieur une large rondelle de serrage. La vis permettait de plaquer le champignon contre le casque ou de l’éloigner légèrement. Une mentonnière de cuir, réglable, attendait, serrée sur la visière du casque, qu’un simple geste la ramène sous le menton en cas de bourrasque.
Cette coiffure était un véritable chef-d’œuvre de technique, un appareil scientifique. Elle combinait plusieurs fonctions qui concouraient à rafraîchir l’ombre faite sur notre tête. Non seulement le liège est un excellent isolant mais encore l’espace réservé par les rondelles de cuir ajoutait à l’isolation et permettait la circulation de l’air dont on pouvait régler le débit par une rotation du champignon ! Mais, comme on n’avait pas encore formé notre sens scientifique, je crois que nous le serrions toujours à fond de peur de le perdre car ce n’est pas beau un casque sans son champignon.
Pour les enfants, ce casque avait d’autres utilisations que celle de protéger leur petite tête de l’ardeur du soleil. La mentonnière servant d’anse, il faisait office de panier à dessert, transportant nos figues, ou notre raisin à la sortie de table, pressés que nous étions de rejoindre nos camarades. Il pouvait aussi servir de piège à la rencontre d’un jeune oiseau voletant au ras du sol. Il suffisait de se jeter sur lui et de le coiffer brusquement. On écrasait bien un peu le casque… De même avec ces énormes araignées, larges comme la paume de la main, tarentules qu’on avait réussi à faire sortir de leur puits tapissé de toile. On s’en servait aussi comme filet à papillon, ou plus simplement comme projectile dans des exercices de lancer du disque. Et puis, quand il ne restait rien à faire, on pouvait toujours en frapper le crâne nu d’un camarade, côté champignon, bien sûr. Mais il fallait être rapide et s’esquiver car le choc du champignon ne plaisait pas du tout au copain ! J’oubliais les noyaux de nèfles, sous le préau de l’école. C’est dans le casque que chacun versait sa mise avant de le retourner d’un coup et de retirer les noyaux un à un sans en remuer aucun au risque de tout perdre. Les colons, enfin, à la pause de midi, s’en servait comme oreiller pour la sieste ; ou comme éventail, aux heures de grande transpiration.
A la fin de sa vie, après un long été de service, il n’était plus qu’une épave aux ailes effrangées, et dont on sentait à travers la fine toile, les fragments dissociés de la coque de liège.
Marcel Couvert
La Source Folle N° 25 –Printemps 1995