Ce qu'est l'islam

CE QU'EST L'ISLAM

MYSTICISME MUSULMAN par Georges ROUX.

Plusieurs personnes se sont demandées si l'absence de clergé dans l'Islam et le contact direct que l'homme entretenait avec son Dieu n'avait pas pour effet de stimuler sa foi et d'exciter sa croyance.
Il n'est pas besoin de cette explication pour comprendre l'ardeur religieuse des Arabes, il suffit de se souvenir de ce que sont ceux-ci. Ce sont des Asiatiques et tout Asiatique est un mystique. La vieille Asie n'est-elle pas la terre élue des religions et comme la source de la plupart de nos cultes ? L'Occidental est avant tout un rationaliste et un réaliste. Ce sens du concret nous distingue de ces Orientaux qui savent mal distinguer le réel de l'irréel et qui ont trop souvent le goût de la fabulation. Il y a là de notre part une incontestable supériorité pratique. Par contre, trop d'Occidentaux ont, au cours du XIXe siècle, contracté un goût trop prononcé pour le matérialisme. L'Occident commence heureusement à réagir et les signes sont nombreux d'un grand réveil spirituel. Ce renouveau de spiritualité est, non seulement l'espoir de demain, mais encore on peut déjà le considérer comme suffisamment en cours pour dire qu'il constitue un bouleversement considérable de la structure morale qui fut la nôtre jusqu'à aujourd'hui et qu'il va poser d'une tout autre manière les problèmes européens. Il n'en demeure pas moins que le propre de l'Occidental est le sens de ce que j'appellerai le "physique", et le propre de l'Oriental, le sens du "métaphysique".
Or, l'Arabe est non seulement un oriental et un émigré asiatique, il est aussi, et cela est important pour expliquer sa mentalité, un homme des déserts. Il est originaire de ces plaines brûlantes où l'homme, écrasé par la nature, baigne quotidiennement dans l'infini. Un proverbe arabe dit : "Le désert c'est Dieu sans les hommes". Je trouve le mot joli et exact. Tous ceux qui connaissent le désert reconnaîtront qu'il a quelque chose de "divin". On se sent dégagé de l'humanité et plus près de la divinité.
Ce caractère racial demeure d'autant plus que les steppes dont il est originaire, l'Arabe les retrouve dans l'Afrique du Nord. Il voit se recréer la même atmosphère physique et spirituelle, et ce besoin du même anéantissement moral issu du même anéantissement matériel. L'homme disparaît dans la nature, presque absorbé par elle.
D'où cette "fusion" de l'humain dans le divin qui est la base du mysticisme arabe. Une très belle parabole la résume d'une image assez étonnante : Un croyant frappe à la porte de Dieu ; la voix d'Allah demande : "Qui est là ?" Le postulant répond : "C'est moi" ; la voix réplique : "Il n'y a pas ici de place pour toi et moi", et la porte reste fermée ; alors le fidèle retourne dans le désert. Au milieu de la solitude, il prie Dieu sans cesse ; un an après il revient et de nouveau se présente devant l'entrée divine : "Qui est là ?" demande encore la voix ; cette fois le croyant répond : "C'est toi", et la porte enfin s'ouvre.
Tout cela mérite de la déférence et toute foi sincère vaut d'être traitée avec respect ; malheureusement l'ardeur même de cette croyance entraîne une autre conséquence et celle- là grave pour nous : le fanatisme. L'Islam n'est pas à proprement parler intolérant ; il a souvent laissé vivre à côté de lui d'autres religions et les a traitées sans inhumanité ; il n'a pas d'intolérance parce qu'il a un formidable mépris de tout ce qui n'est pas la parole du Prophète, mais ce mépris même lui fait ressentir tout ce qui peut lui paraître comme injurieux avec une particulière vivacité ; il réagit alors avec une étonnante violence, c'est cela que nous appelons du fanatisme.
Il y a là un sentiment dont il me paraît vain de prétendre masquer la gravité. On ne peut le neutraliser que par une double attitude : d'une part, en évitant avec soin tout ce qui peut blesser ; d'autre part, en dressant devant la foi islamique une spiritualité au moins égale. Et remarquez que cette double politique, politique de courtoisie et d'égards envers l'Islam et de pratique fervente de la religion catholique, fut exactement la politique du grand Français d'Empire dont la vie doit être pour nous un guide, j'ai nommé le Maréchal Lyautey.