Ce qu'est l'islam

CE QU'EST L'ISLAM

L'islam considéré au point de vue international par Georges ROUX.

Le fait que les pays musulmans sont en principe régis par des lois religieuses et non par des lois civiles, ce fait là entraîne plusieurs conséquences importantes.
D'abord l'absence de préjugés de couleur. Les populations islamiques ne font point de différences entre les hommes selon la couleur de la peau et traitent par exemple les nègres comme des leurs. Si un mahométan possède une concubine nègre, les enfants de celle-ci sont traités sur le même pied que ceux des autres femmes. Et l'on a vu le Maroc posséder des "sultans noirs". Autre effet : la notion de patrie cède à la notion religieuse. La Patrie, terrestre et même terrienne, représente une conception purement occidentale particulièrement française et probablement d'origine romaine. C'est l'idée d'un peuple paysan attaché à son domaine. Il faut remarquer que ce n'est pas tout à fait celle des allemands, ce peuple non sédentaire et qui a conservé l'amour des "migrations", s'apparente en qualité de peuple de pasteurs au peuple arabe ; pour lui la patrie c'est le "Volk", le peuple en marche. Il parle du "Deutschtum" mot intraduisible en français et qui désigne la réunion des nations germaniques.
C'est quelque chose d'un peu analogue en Islam, vous n'avez qu'à remplacer : race, par : religion. Tandis que la communauté française a pour base le sol, le terroir français, la communauté mahométane s'inspire de Dieu. Ici la terre, là le ciel. C'est l'identité de croyance qui forme le lien social. Tous les fidèles forment une seule et immense nation. Selon la pure doctrine coranique, un musulman est de droit citoyen de tout autre pays musulman. Egyptiens, Syrien, Algériens, Marocains, hommes du Hedjaz ou de la Régence de Tunis tous se considèrent comme frères. Il y a là une solidarité dont il est essentiel de se rappeler pour comprendre les mouvements qui agitent le monde islamique, dont l'unité morale est certaine. Elle doit davantage nous frapper qu'elle s'oppose à la division des européens en Etats animés de mille ressentiments. L'union spirituelle musulmane est un fait d'autant plus intéressant qu'elle fait ressortir la désunion européenne.
Ce parallèle avec l'occident doit même être poussé plus loin, ou plutôt plus avant et dans le passé. Cette Europe aujourd'hui fragmentée en morceaux hostiles a elle aussi connu une période d'unité morale et religieuse. Il fut un temps où tous ses Etats se sentaient tenus par la même croyance, où ils reconnaissaient tous un chef spirituel au-dessus des Princes, une sorte de Commandeur des croyants : le Pape. Il fut un temps où l'Occident s'appelait la Chrétienté, et où il concrétisait même ses aspirations communes dans des "guerres saintes" menées solidairement : les Croisades. Tout cela fut brisé par la formation des nationalismes. Or c'est un phénomène semblable que nous voyons aujourd'hui se développer. Nous, semblons avoir inoculé aux pays d'Orient une notion qu'avant nous ils ne connaissaient pas et qu'ils n'ont appris qu'à notre contact : la notion de nation. On entend aujourd'hui les jeunes indigènes parler de "nation algérienne", de "nation tunisienne" toutes conceptions absolument étrangères à l'Islam traditionnel.
Il est donc possible, peut- être même probable que l'unité musulmane ne soit destinée à se morceler, comme s'est morcelée l'unité chrétienne. Mais cela c'est l'avenir. Pour le présent constatons qu'il y a une unité morale mahométane très forte de Damas à Marrakech. Actuellement même ce sont les forces d'union qui l'emportent puisque dans leurs luttes de "libération" tous les musulmans d'Egypte, de Syrie, d'Algérie se sentent solidaires devant l'étranger envahisseur et infidèle. Il y a là une situation particulière aux pays régis par la prédication du Prophète et qui donne à tout ce qui se passe dans notre Afrique du Nord une allure extrêmement délicate.