Tout le monde en France parle d'Abd-el-Kader, mais combien peu connaissent l'histoire de ce guerrier. — L'Emir Abd-el-Kader naquit à la Guetta-de-Sidi-Maheddin, village peu distant de Mascara (province d'Oran) (1809).
Le père d'Abd-el-Kader s'appelait Mahiddin. Or, Mahiddin était un marabout en grand renom de sainteté parmi les fils du désert. 11 avait cinq fils et une fille. Abd-el-Kader, n'étant que le cadet des fils de Mahiddin, n'était pas appelé à jouer un grand-rôle dans ces contrées, où le droit d'aînesse a conservé tous les privilèges des temps primitifs (1).
J'ai entendu raconter, à grand nombre de guerriers arabes, l'histoire suivante qui assura à Abd-el-Kader le droit d'aînesse et de priorité dans sa famille. — Cette histoire, sans doute, ne sera pas désagréable au lecteur :
Un jour que Mahiddin, père d'Abd-el-Kader, était allé en pèlerinage au tombeau de Mahomet (à la Mecque), après les dévotions ordinaires, il se retira dans la campagne avec son fils aîné, Saïd-Mohamet qui seul avait accompagné son père
(1) Voici le nom des frères d'Abd-el-Kader
L'aîné. Saïd-Mohamet, 63 ans ;
Sidi-Mustapha., 60 ans ;
Sîdi-el-Molitar ;
Sidi-el-Houssein;
Une sœur, Lella-Kadidja, laquelle a épousé Sidi-Mustapha, kalife d'Abd-el-Kader.
Recherchant la solitude, dans le but de se livrer plus facilement à ses méditations pieuses, Mahiddin oublie que le jour baisse et que la nuit s'avance.
Tout à coup, du fond d'une gorge ombragée de lauriers roses, apparaît une ombre mystérieuse qui s'approche du pieux pèlerin.
L'ombre mystérieuse avait la forme d'un majestueux vieillard. Une barbe blanche et épaisse descendait jusqu'à la ceinture — un long manteau, relevé par un large cordon, indiquait l'origine de l'apparition : — un marabout ou prêtre de l'Islam.
Le vieillard, marchant avec difficulté et s'aidant d'un bâton noueux, aborde Mahiddin et son jeune fils effrayés ; il leur présente trois belles pommes qu'il retire des plis de son manteau. — Mahiddin semble hésiter en présence de l'étrange vieillard.
—Sois sans crainte, reprend le vieux faquir en élevant la main droite d'un air inspiré — ne refuse pas mon présent et écoute bien mes paroles :
Cette pomme, garde-la pour toi.
— La seconde, elle est pour ton fils, ici présent.
Mais cette troisième, plus belle, écoute-moi bien.
- ici, la voix du vieillard prend une expression plus solennelle : — Celle-ci, tu l'offriras au Sultan.— Et quel est ce Sultan, demanda Mahiddin étonné ?
—Écoute ! Écoute ! Il n'y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète! Ce Sultan, c'est celui de tes fils que tu as laissé dans ta famille.
—Abd-el-Kader était alors resté seul dans la demeure de Mahiddin, son père. — Et le vieux faquir, après avoir redit la sentence sacramentelle : «Il n'y a de Dieu que Dieu, etc., etc. », disparut doucement, en branlant la tête, au mileu des gorges de la montagne (1).
(1) J'ai relu cette anecdote racontée par le maréchal Pélissier, dans son ouvrage, qui a pour titre : Annales algériennes.
L'histoire de cette apparition racontée, de proches en proches, aux fils du désert, fit la fortune d'Abd-el-Kader.
Cette légende, véridique ou non, de la pomme, à tort ou à raison, apporta aux pieds d'Abd-el-Kader la vénération superstitieuse, d'abord, la soumission ensuite, de presque toutes les tribus du désert. Mais que sont, à vrai dire, Abd-el-Kader, - les Arabes, — les Turcs, — la conquête d'Alger, - la bataille d'Isly contre les Marocains ? — autant d'idées confuses, sans enchaînement dans un grand nombre d'esprits. Précisons donc bien les situations, et que nos publications historiques et populaires, qui, chaque jour, se propagent de plus en plus, — grâce au bon sens des gens d'esprit, — acquièrent encore, par leur mérite réel, une plus large place dans l'estime des intelligences fortement trempées.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France