Ces navires étaient amarrés dans le port et n’étaient pas en mesure de prendre la mer sans un certain délai.
L'amiral commandant l'escadre britannique a fait remettre à l'amiral Gensoul l'ultimatum suivant :
Ou bien rallier la flotte anglaise ou bien détruire les bâtiments dans les six heures, pour qu'ils ne tombent pas entre les mains de l'Allemagne et de l'Italie; en cas de refus, les Anglais nous contraindraient par la force à cette destruction.
Le vice-amiral Gensoul a répondu qu'il ne pouvait être question pour les navires français de rallier l'escadre anglaise et qu'il n'était pas question pour lui de détruire ses bâtiments ; qu'il répondrait à la force par la force.
L'amiral Gensoul ajoutait que d'ail- leurs le premier coup de canon aurait pour résultat pratique de dresser toute la marine française contre la Grande-Bretagne, résultat inverse de celui qui était recherché.
L'amirauté française, prévenue, a ordonné de répondre à la force par la force. Le gouvernement a approuvé la décision de l'amirauté et a fait prévenir les commissions d'armistice.
Nous rappelons que l'Allemagne et l'Italie n'ont pas demandé que la flotte française leur fût livrée. Elles ont simplement demandé sa démobilisation et son rassemblement dans des ports français, avec des équipages d'entretien français, sous commandement français, avec simplement contrôle des commissions d'armistice.
La France n'aurait d'ailleurs pas consenti à livrer une flotte qui n'a pas été vaincue. Le maréchal Pétain, l'amiral Darlan et M. Paul Baudoin, l'ont vingt fois répété à MM. Churchill, Alexander, à lord Lloyd, à l'amiral de la flotte Sir Dudley Pound, à l'ambassadeur d'Angleterre, Sir Bonald Campbell.
L’amirauté française a eu la sensation pénible que les malheurs de la France laissaient insensibles les dirigeants qu’à devenir maîtres de la flotte française.
La flotte devait rester française ou périr. Elle ne méritait pas, en tout cas, d'être frappée dans le dos sur l'ordre de M. Churchill qui, l'hiver dernier, suppliait l'amirauté française d'affecter nos forces principales à la protection des convois canadiens, l'amirauté britannique n'ayant plus les moyens nécessaires.
L'amiral de la flotte Darlan n'a pas égaré les lettres de remerciements de M. Churchill. Avant même l'expiration de l'ultimatum adressé à l'amiral Gensoul, l'amiral anglais faisait mouiller, par ses avions, des mines magnétiques dans le chenal d'accès à Mers-el- Kébir, faisant ainsi un acte caractérisé, d'hostilité.
A l'expiration de l'ultimatum, les navires anglais ont ouvert le feu sur les navires français, qui n'avaient pas eu le temps matériel de se dégager de leur amarrage dans le port de Mers-el- Kébir.
Les navires français, secondés par les batteries de côte, ont riposté au tir des Britanniques.
Des renseignements parvenus à l'amirauté, il résulte que le cuirassé ancien «Bretagne» a sauté, que le «Dunkerque», le «Provence» et le «Mogador» avaient des incendies à bord.
Les autres bâtiments ont pu appareiller et faire leur jonction avec les bâtiments de guerre français envoyés à leur rencontre par l'amirauté française.
Les marins français qui, depuis dix mois, se sont dépensés sans compter pour aider la marine britannique, dépassée par sa tâche écrasante, ont ressenti avec indignation la trahison de leurs anciens frères d'armes.
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M. Churchill s'explique aux Communes
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Le premier ministre britannique, prenant, jeudi après-midi, la parole aux Communes, s'est efforcé, dans un long discours, d'expliquer, l'agression commise, sur son ordre, par la flotte anglaise contre la marine française. De ce discours, l'agence Fournier seule donne le résumé succinct que voici :
Londres, 4 juillet. – Au cours du discours qu'il a prononcé, cet après-midi, devant la Chambre des communes ; M. Winston Churchill a tenté de justifier l'action de la flotte britannique contre la flotte française à Mers-el-Kébir.
Le Premier britannique a développé les arguments exposés dans le communiqué du ministère de l'information britannique, insistant sur le fait que l'Angleterre se trouvait dans l'obligation de prendre des garanties dans la crainte d'une saisie éventuelle de la flotte française par les puissances de l'axe.
M. Churchill a fait ensuite un long récit des circonstances de rengagement naval.
Après l'exposé de M. Churchill sur l'action britannique en .Méditerranée, les Communes ont poursuivi leur délibération en séance secrète.
Une nouvelle séance secrète aura lieu, mardi prochain, afin de permettre à M. Hugh Durton de faire un exposé sur la guerre économique.
Le Temps (Paris. 1861). 1861-1942. – 6 juillet 1940
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France