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Guide de L'EMIGRANT par un colon en 1881

L'Algérie
Guide de L'EMIGRANT par un colon
- 1881-







Matériaux de construction.

Les pierres à chaux et à plâtre sont communes dans notre colonie, la terre glaise aussi ; néanmoins, nous ne conseillons pas aux immigrants de bâtir beaucoup au début, attendu que la main-d'œuvre européenne est chère et qu'il est toujours temps de s'agrandir. Ils doivent, d'abord, s'ils ont un lot de ferme isolée, choisir sur leur terrain l'emplacement de leur future habitation. Ils éviteront les bas fonds, le trop grand voisinage des rivières, à cause des miasmes qui s'en échappent, des brouillards qui s'y forment et qui engendrent la fièvre. Le penchant d'une colline avec exposition au levant et source abondante et bonne ou puits peu profond à proximité, est ce qu'il y a de mieux pour une installation en Algérie. Si, près de l'endroit choisi, se trouvent quelques grands arbres pour abriter les troupeaux contre l'ardeur du soleil pendant l'été, rien n'y manquera.
La pierre se trouvant partout, il est préférable de construire en moellon qu'en pisé, lequel, d'ailleurs, ne peut être employé qu'à une certaine hauteur du sol et à la condition, en outre, d'être garanti des pluies torrentielles de l'hiver. Si la chaux est à bon marché dans la localité, on bâtira avec du mortier ordinaire, si non, ce qui arrive parfois lorsqu'il faut aller l'acheter au loin, on fera usage de terre grasse (terre à pisé) détrempée, et l'on crépira avec un mélange de gros sable et de chaux.
Les bois de charpente et de menuiserie se trouvent rarement sur place ; il faut s'en approvisionner à la ville ; c'est ce qui fait qu'ils reviennent toujours à un prix assez élevé. On ne doit donc pas ; nous ne saurions trop le répéter, chercher à faire grand à son arrivée, mais se borner au strict nécessaire, pour ne pas aliéner inutilement une partie de son capital qui, quelque considérable qu'il soit, trouvera toujours son emploi, soit quand les cours sont bas, en achats de grains, de bestiaux, de fourrages que l'on revend avec de grands bénéfices lorsque la hausse est revenue, soit en plantations, en aménagement d'eau, etc.
Bien des immigrants inexpérimentés ont dissipé leur avoir en bâtisses et ont dû abandonner ensuite leurs propriétés pour aller chercher ailleurs des moyens d'existence : leur exemple n'est pas à suivre.
Si on a l'intention de créer un vignoble (ce que nous ne pouvons que conseiller), qu'on ajourne la construction des caves ; on a deux ans devant soi, la vigne ne produisant guère avant la troisième année, et l'on pourra dans, cet intervalle réunir les matériaux nécessaires, à temps perdu, et profiter d'un moment de chômage (il y en a toujours pour les maçons, très nombreux dans notre colonie), pour les édifier d'une manière économique.
Les greniers, dont bien des habitations sont dépourvues, sont d'une grande utilité pour la conservation des provisions d'hiver, notamment de la pomme de terre, qui germe vite en cave. Il est bon qu'ils soient suffisamment élevés pour que l'air y circule librement. Cette recommandation s'applique naturellement aussi à l'intérieur des maisons dont les pièces doivent être vastes, carrelées ou parquetées et surmontées de plafonds d'au moins trois mètres de hauteur.
Les céréales se conservent mieux en silos qu'en greniers. Le silos est une espèce de puits de trois à quatre mètres de profondeur, très évasé à sa partie inférieure et étroit à sa partie supérieure, que l'on creuse en terrain sec et que l'on ferme hermétiquement quand il est rempli. Ces silos, en usage chez les indigènes et chez bon nombre de cultivateurs européens, sont très appréciés. Le charançon et autres granivores ne peuvent y vivre, faute d'air. Aussi peut-on y laisser séjourner le grain plusieurs années sans crainte d'avaries.
Comme on le voit, les magasins à blé, à orge, etc., les bergeries, les étables, les écuries et porcheries ne sont pas d'une nécessité absolue, puisque les silos et les gourbis peuvent en tenir lieu pourvu qu'ils soient bien gardés. On verra plus loin que les granges ne sont pas indispensables non plus.
La basse-cour, les jardins pourront être clôturés avec le figuier de Barbarie ou bien avec l'aloès. Ces plantes épineuses ont une végétation rapide et sont en état, la troisième année de leur plantation, de former une barrière infranchissable. Le figuier de Barbarie produit, en abondance, un fruit sucré, assez agréable, et l'aloès ou agave une tige de trois à cinq mètres dont les Arabes se servent en guise de chevrons pour la construction de leurs gourbis.
Les colons du littoral devront planter dans les parties marécageuses de leurs domaines des bambous, des eucalyptus, des saules, des aulnes, des ormes et des peupliers ; ils obtiendront ainsi, en peu de temps, du bois dont ils leur sera aisé de tirer un avantageux parti. L'osier y réussira également ; il faudra donc en planter aussi, car il servira soit à faire des paniers, des ruches, etc., soit à fabriquer des liens et des attaches.
Dans les cas où l'on aurait bâti sur un terrain incliné, il serait indispensable d'établir un fossé en amont de l'habitation, afin de détourner les eaux pluviales et de se soustraire, par ce moyen, à l'humidité dangereuse partout.

Concessions

Il y a trois catégories de concessions, savoir :
Les concessions agricoles ou de village, comprenant un lot à bâtir, un lot de jardin et un ou plusieurs lots de culture ; leur étendue varie de 25 à 40 hectares.
Les concessions dites industrielles, se composant généralement d'un lot à bâtir, d'un lot de jardin et d'un petit, lot de culture ; leur étendue totale est de 2 à 10 hectares.
Les concessions dites lots de ferme, formées d'un seul lot de grande culture, ont une contenance variant de cinquante à cent hectares.
Les lots de jardins sont ordinairement irrigables, et les autres cultivables en céréales et en vigne.
Les fermes isolées ont leur bons côtés : la surveillance en est plus facile, que lorsque la concession est divisée ; on perd moins de temps pour se rendre au travail, pour rentrer les récoltes, etc., mais elles ne peuvent convenir qu'aux familles nombreuses et disposant d'un capital relativement important, tandis que les lots de village conviennent à tout le monde ; le séjour en est plus agréable, d'abord, il offre plus de sécurité et de ressources au petit cultivateur, qui peut faire profiter de l'école ses enfants" avantages dont ne jouissent pas toujours, par le mauvais temps surtout, ceux du colon isolé ; ensuite, s'il a un état et qu'il éprouve un moment de gêne, il lui est facile de faire quelques journées ou un travail quelconque pour un voisin ; cela l'aide à attendre l'époque de la moisson. En cas de maladie, d'incendie, les secours sont plus prompts, l'existence y est moins monotone ; chaque auberge a son journal, chaque mairie sa petite bibliothèque communale.
Tout centre un peu important a son église, son école de filles et de garçons. Le médecin de colonisation, rétribué par le département, y soigne gratuitement les malades peu fortunés.

Conseils aux Émigrants.

Les terres affectées à la colonisation sont livrées aux immigrants vers la fin de l'été. Ceux-ci n'ont donc pas de temps à perdre pour construire une maison avant la saison pluvieuse qui débute en novembre.
Pendant qu'ils édifieront leurs demeures, ils pourront loger au village voisin ou camper sous une tente ou bien dans un gourbi (cabane faite de broussailles et recouverte d'herbe de marais) que les Arabes leur élèveront pour quelques francs. Avec un bon chien de garde et un fusil on n'a rien à craindre ; néanmoins, il est plus sûr de se réunir plusieurs familles ensemble jusqu'à l'achèvement des constructions.
L'Arabe est très chapardeur ; il faut, en conséquence, se méfier de lui, ne pas l'admettre chez soi et, par précautions, tout fermer à clef. Sa malpropreté et celle de sa famille est, d'ailleurs,
parfois si repoussante qu'elle suffirait à les faire exclure de la maison. Il est gourmand de sucre et de café. Avec une tasse de cette infusion, on lui fait faire bien des petites corvées.
Lorsqu'on arrive avec peu d'argent dans une contrée qu'on ne connaît pas, et qu'on se propose de s'adonner à l'agriculture, il convient, pour ne pas faire un apprentissage ruineux, d'imiter les procédés des gens du pays, lesquels peuvent paraître défectueux, mais ne laissent pas d'être, ainsi qu'on est forcé de le reconnaître plus tard, en rapport avec les exigences du climat, la nature du sol et les faibles moyens dont ces derniers disposent. Observez donc l'indigène, cultivez comme lui la première année et faites mieux ensuite.

Coutumes.

Le cultivateur arabe n'a pas de laboureurs à gages ; tous les ans, après le battage des grains qui s'opère en plein champ, soit au rouleau, soit par le pied des chevaux ou des mulets, il engage sur l'aire même autant de Khammès qu'il a de djebdas ou charrues à cultiver. La djebda varie de dix à quinze hectares, suivant les usages locaux basés, d'ordinaire, sur la topographie du lieu.
Le Khammès est un associé ; il laboure, moissonne avec sa famille et quelques ouvriers que lui adjoint le propriétaire, transporte, bat la récolte et reçoit, après le prélèvement de la semence fournie par son maître, le salaire des moissonneurs et les avances à lui faites dans le courant de la campagne, le cinquième du grain récolté sur la djebda qui lui a été confiée. Son nom vient du mot " khamsa " qui veut dire cinq. Sa part est quelquefois plus forte, mais c'est seulement lorsqu'il a fourni des bœufs pour les labours ou des bêtes de somme pour rentrer la moisson.
La coutume veut, lorsqu'on traite avec le Khammès, qu'on lui fasse une avance de soixante à cent-vingt francs, remboursable à l'expiration de son engagement. Quinze jours avant les labours, c'est-à-dire vers la mi-octobre, il doit avoir installé, à ses frais, son gourbi sur l'emplacement qui lui a été assigné. Il est également astreint à élever un abri semblable pour les bœufs qu'on lui confie et qu'il doit soigner. Sa femme ou ses femmes (quelquefois il en a deux, il peut même en avoir quatre légitimes) traient les vaches, les chèvres, les brebis et fabriquent le beurre moyennant une faible rétribution en nature où en espèces.
Si le Khammès a un cheval ou un mulet, et que sa monture soit entretenue sur la propriété, il est tenu de faire certain travail, lequel consiste habituellement à aller chercher de temps à autre du bois ou du diss dans la montagne, pour les besoins de la ferme.
Lorsqu'il est employé au jardinage, on lui abandonne le tiers ou la moitié des produits selon la coutume locale.
Dans les fermes isolées, il est toujours prudent d'avoir ses Khammès groupés autour de l'habitation ; c'est une garantie ; on les rend, du reste, solidairement responsables des vols et larcins qui pourraient se commettre, et comme ils sont très indiscrets, envieux de tout ce qui frappe leur vue et fort peu scrupuleux, il faut, comme nous l'avons déjà dit, les tenir à l'écart.
L'indigène campagnard possède rarement un véhicule, aussi tous ses transports se font-ils à dos de chameau, de cheval, de mulet ou d'âne.
Dans les terres argileuses et les régions élevées, l'Arabe ne donne qu'une façon à la terre, ne commence ses labours qu'après les premières pluies qui n'apparaissent qu'en novembre le plus ordinairement, sème très dru, de petites surfaces seulement à la fois pour éviter, prétend-il, que les oiseaux ne mangent sa semence qu'il ne chaule jamais ; il gratte avec son araire tout primitif la surface du sol, qu'il écorche tant bien que mal sans le retourner tout à fait. Il laisse toujours ainsi une bande de terrain non remué, entre deux sillons, et souvent aussi de nombreuses mottes gazonnées qui ne sont que soulevées. Le hersage et le roulage n'étant pas pratiqués par lui, il en résulte qu'une partie du grain, semé avant le labour, reste à découvert, et que celui qui est enfoui, repose, la plupart du temps, sur ces bandes de terre dont nous venons de parler, ce qui, dans les années de sécheresse, l'empêche de se développer convenablement. Delà ces chétives récoltes en pays indigène, lorsque les pluies ont été peu abondantes. Cet écorchement partiel du sol a pour conséquences de faire perdre une bonne partie de la semence qu'étouffe le gazon incomplètement retourné, ou que dévore le moineau rapace. De plus, si des touffes de broussailles, des chardons , des pierres se trouvent dans le champ à labourer, le Khammès tourne autour avec sa charrue et se garde bien de les enlever. Si ces obstacles existent, c'est Dieu qui l'a voulu, dit-il, et c'est ainsi qu'il excuse sa paresse.
Une sorte de métayage existe aussi en Algérie ; on trouve, en effet, des indigènes qui fournissent la moitié des labours, des semences, des frais de moisson et de battage, moyennant le partage de la récolte. Il en est d'autres qui se chargent de tout, à la condition de prélever pour eux les deux tiers des produits.
Quand on manque de bœufs pour les labours, on peut en louer, soit chez les grands propriétaires européens, soit chez les Arabes. Le prix de location se paie en espèces ou en nature, après la récolte.
Le blé dur et l'orge sont à peu près les seules céréales que cultivent les indigènes en terres sèches, mais là où les arrosages sont possibles, ou bien encore sur le littoral, où règne toujours une certaine humidité qui pénètre le sol, ces derniers sèment le blé de mars, l'orge naine, l'avoine, le maïs, le sorgho, les fèves, les pois chiches, le tabac, etc.
Le plus grand nombre des cultivateurs arabes délaissent le jardinage. Ceux qui s'en occupent, se bornent, à moins qu'ils ne soient jardiniers de profession, à semer quelques navets, oignons, raves, courges, concombres, pastèques et melons.
Quant aux prairies artificielles, aux cultures industrielles, elles leur sont inconnues, à l'exception de celle du tabac, il en est de même de l'arboriculture. Sauf l'olivier, l'oranger, le citronnier et quelques autres arbres fruitiers qu'ils savent greffer en fente, leurs connaissances sont très limitées, et ils ne cherchent pas à les étendre, malgré les avantage qu'ils en retireraient.
Les orges et les blés arrivent à maturité en mai et juin, selon l'altitude et l'exposition du lieu. Ainsi, la moisson se fait plutôt dans les plaines voisines de la mer que sur les plateaux de l'intérieur, et plutôt sur ceux-ci que sur les hauteurs qui les entourent.
Lorsque le moment de la récolte approche, des milliers de Kabyles, armés de faucilles, descendent de leurs montagnes et viennent offrir leurs bras aux colons pour la durée de la moisson, qui est d'un mois et demi environ. Ils regagnent ensuite leurs villages (le kabyle, beaucoup plus industrieux que l'Arabe, a sa maison, etc.) et se préparent, à leur tour, à couper leurs céréales, travail qui précède, de trois mois la cueillette des olives et des caroubes.
Le prix de la journée du moissonneur est en moyenne de deux francs, d'une galette arabe ou d'un kilogramme de pain et d'un peu de kouskoussou (sorte de semoule granulée, cuite à la vapeur, fortement pimentée et arrosée d'huile ou de lait) que leur préparent les femmes des Khammès et que leur portent et leur servent ces derniers.
La journée commence au lever du soleil et se termine à son coucher. Deux ou trois heures sont consacrées au repos du midi.
On coupe très haut, à vingt centimètres au-dessous de l'épi. On fait des poignées de ceux-ci, qu'on lie avec un brin d'herbe et dépose sur le sol, où elles séjournent jusqu'au moment de leur mise en meule, à côté de l'aire qui est toujours située sur un lieu élevé, afin de procéder plus commodément au vannage, opération qui consiste à lancer en l'air, avec une pelle, le grain battu, lorsque la brise souffle. La paille et la poussière sont ainsi séparées du grain, qui reste sur place.
L'indigène ne criblant pas les céréales, il en résulte que celles-ci renferment toujours des pierrailles, des petites mottes de terre et autres impuretés qui rendent la farine obtenue par les moyens que nous avons fait connaître, impropre à la fabrication du pain français.

Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France


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