Marcellin ALBERT |
Les Annales Africaines - 1920 |
20 janvier 1920
Pour Marcellin Albert
Ceux qu'il a enrichis doivent le sauver de la misère
Et le prix du vin monte toujours ; le consommateur le paie 26 sous le litre et ce n'est pas fini, puisqu'on nous annonce qu'au cours de l'été nous le paierons 2 francs.
Le pire, c'est que, même à ce prix-là, on pourra fort bien n'en pas trouver ; car on distille tant qu'on peut et on distillera encore plus puisque le décret du 13 août 1910 autorise, pour la consommation, les seuls alcools de vin.
C'est ce décret qui a fait monter le prix des vins d'une manière formidable et qui a fait tomber dans la poche des viticulteurs métropolitains et algériens, des sommes fantastiques que M. Vivarez, directeur d'un grand journal viticole du midi, évalue à trois milliards.
Où donc est le temps - on peut s'en souvenir car il ne date pas du déluge - où le colon d'Algérie vendait son vin à 3 ou 4 francs l'hecto et était tellement découragé qu'il ne plantait plus de vignes et commençait déjà l'arrachage de celles qu'il possédait.
Il aurait fallu lui parler alors de payer une auto trente-mille francs et six mille une toile de Deshayes !..
C'est à ce moment où la viticulture nationale était menacée d'un irrémédiable désastre, car le vin ne se fabriquait plus avec le jus de la vigne, mais avec les drogues, mystérieusement amalgamées dans l'officine des laboratoires, que surgit un homme extraordinaire ; Marcellin Albert.
Sa parole ardente souleva tout le midi contre les fraudeurs. Derrière l'Apôtre, le Rédempteur, comme on l'appelait, à Perpignan, à Carcassonne, à Béziers, à Narbonne, marchèrent des foules innombrables. Marcellin Albert cria si fort leurs colères et leur désespoir, qu'on fut bien forcé de l'entendre. Les pouvoirs publics s'émurent, des lois sévères furent votées, on prit, des sanctions et, aussitôt, les empoisonneurs publics arrêtèrent leur louche industrie.
Du coup, la situation s'améliora, les cours montèrent, l'espoir revint au cœur des vignerons, comme les acheteurs revenaient vers leurs caves. En Algérie, comme en France, la fortune avait changé de face, les vignerons étaient sauvés.
Non seulement ils étaient sauvés, mais enrichis, car la hausse de cours ne fut dès lors jamais enrayée et les grosses fortunes terriennes commencèrent à se former. Quelques-unes sont devenues aujourd'hui tout à fait démesurées et l'on connaît tels ou tels colons dont les revenus se comptent, non pas par centaines de mille francs, mais par millions.
1l m'en coûte de dire que certaines de ces fortunes, précisément les plus grosses, se montrent férocement inhumaines et que le cœur de ceux qui les détiennent, semble avoir été remplacé par un sac d'écus.
Tandis que les vignerons de France et d'Algérie s'enrichissaient, un d'entre eux, s'appauvris- sait : Marcellin Albert.
Tous ceux qui avaient été mis en vedette dans ce mouvement populaire contre la fraude et les gouvernants qui la toléraient, en avaient recueilli les bénéfices, soit de bonnes places, soit des mandats électoraux, l'Apôtre seul n'en retira rien, rien que l'indifférence de ceux qu'il avait sauvés et l'hostilité de plusieurs de ses anciens compagnons de lutte.
Cette ingratitude le navra, mais trop désintéressé pour rien demander, trop fier pour se plaindre, il se retira dans son petit domaine d'Argelliers et s'appliqua à le bien cultiver.
Il en aurait recueilli l'aisance, sinon la fortune, lorsque le Sort, qui s'est si longtemps acharné sur cet honnête homme et qui paraissait l'avoir oublié, est venu, encore une fois, le meurtrir. La récolte du dernier automne était riche d'espoir et l'humble vigneron s'apprêtait à la commencer, lorsqu'un subit et terrible ouragan de grêle, non seulement l'anéantit complètement, mais encore compromit les vendanges futures en hachant le vignoble.
Aujourd'hui, Marcellin Albert est dans une profonde misère. La vieillesse est venue ; elle est bien triste quand elle a pour compagne la pauvreté.
On me dit que si les colons Algériens paraissent insensibles à cette détresse imméritée, c'est qu'ils l'ignorent et qu'il suffira qu'elle leur soit révélée pour qu'ils s'empressent d'y porter remède.
Ce remède est si facile et tellement à leur portée !... un tout petit prélèvement sur leurs bénéfices, presque rien, pour chacun d'eux et ce sera pour Marcellin Albert, avec l'aisance revenue dans son modeste foyer, la tranquillité de ses vieux jours et la joie de constater qu'on ne laisse pas complètement impayée la dette, contractée par les possesseurs de vignes, à l'égard du Rédempteur du vignoble, aussi bien en Algérie que dans la métropole.
LES ANNALES.
10 mars 1920
UN MAUVAIS RICHE
Un journal parisien le Parlementaire ; qui suit avec attention les grands et menus événements de l'Algérie et les commente avec une vivacité le plus souvent dénuée de bienveillance à l'égard des personnages mis en cause, publiait récemment, en première page, l'entrefilet suivant :
Marcellin Albert
Qui ne se souvient de cette victime de Clemenceau, Marcellin. Albert qui, par sa très courageuse campagne de 1907 souleva les viticulteurs méridionaux contre les fraudeurs, les mouilleurs, les fabricants de vins de raisins secs et de bois de Campêche ? Ce fut grâce à lui que le Parlement se décida enfin à voter les lois protectrices et que les vins du Midi, auparavant si dépréciés, prirent une place honorable sur les marchés européens.
Le relèvement des cours eut une heureuse répercussion en Algérie, où les vins qui se vendaient alors de dix à douze francs l'hectolitre, atteignirent tout à coup vingt-cinq, et vingt-huit francs. On peut affirmer que Marcellin Albert sauva du désastre la viticulture algérienne, car nombre de colons, désespérés, avaient résolu d'arracher leurs vignes.
Aujourd'hui, ces mêmes colons, qui vendirent leur vin plus de cent francs l'hectolitre, sont, pour la plupart, millionnaires, tandis que leur sauveur, Marcellin Albert, est dans un état voisin de la misère.
Emu de la situation lamentable dans laquelle est plongé ce vieillard, notre confrère Ernest Mallebay, directeur des Annales Africaines, que l'on trouve toujours lorsqu'il s'agit de signaler une infortune ou de réparer une injustice, a pris l'initiative d'un appel à la générosité des colons nouveaux riches en faveur de Marcellin Albert.
Pas un de ces bistrouillards profiteurs, n'a répondu à l'appel !... Cela vous étonne ?...
Je remercie mon grand confrère parisien de sa phrase bienveillante à mon adresse, mais je ne peux laisser passer sans protestation celle qui, dans ce bref mais virulent réquisitoire, met en cause tous les colons algériens. En réalité, il n'y en a qu'un de coupable, mais celui-là l'est au premier chef. C'est M. Albert Dromigny, directeur-fondateur du journal La Voix des Colons et président fondateur d'un groupement agricole qui s'intitule Confédération des Agriculteurs algériens.
J'avais beaucoup d'illusions sur le compte de M. Dromigny ; je le croyais appelé à jouer en Algérie un rôle de premier plan : impressionné par une faconde que j'avais prise pour de l'éloquence et qui n'était que du bagout, je le voyais avec des yeux favorablement prévenus, désintéressé, actif, épris de liberté, digne en un mot ; de devenir le porte-paroles de ces colons algériens trop méconnus et qui ont fait l'Algérie ce qu'elle est, c'est-à-dire le plus merveilleux domaine de la France.
Or, je me trompais du tout au tout ; ce parvenu, grisé par sa fortune, orgueilleux comme un toto sur le crâne d'un colonel, est un homme d'une intelligence médiocre, puisqu'il est incapable de se rendre compte de l'effet de répulsion à son égard que doit produire chez tout homme de coeur, la révélation de son attitude et de son rôle dans cet incident qui serait la honte de nos colons si, informés de la vérité, ils modelaient leur conduite sur celle de M. Dromigny.
Ce qu'a fait Marcellin Albert, l'entre-filet du Parlementaire que vous avez lu et qui a été reproduit par l'Eclair et d'autres journaux de Paris et de la province, le dit en termes concis mais exacts. Quant à l'importance du service rendu à la viticulture métropolitaine et algérienne par celui que les foules enthousiastes appelaient le Rédempteur, on ne pourra jamais la mesurer.
Si tous ceux que le vigneron d'Argelliers a enrichis lui donnaient seulement un sou par cent francs, on pourrait lui offrir sa statue en or massif.
Quand j'ai connu Marcellin Albert, j'ai éprouvé pour lui une estime qui s'est accrue, à mesure que j'ai mieux connu la simplicité, la bonté, la droiture, le fabuleux désintéressement de cet homme admirable. Vous devinez alors la peine que j'éprouvai lorsque, au mois de juillet de l'année dernière, je reçus de lui une lettre navrante et résignée par laquelle il m'apprenait qu'un terrible orage accompagné d'une tombée de grêle, telle que de mémoire de vigneron on n'en avait jamais vue de pareille, avait déchiqueté, haché, anéanti son petit vignoble. C'était pour lui la ruine, l'obligation d'aller, au seuil de la vieillesse, travailler comme tâcheron chez les autres ; c'était pour demain, si ses forces le trahissaient, si la maladie frappait à sa porte, la gêne et peut-être la faim.
Cette lettre m'apitoya et me révolta ; à cette misère imméritée s'abattant sur la tête courbée d'un homme générateur de tant de richesses, j'opposai les fortunes de ceux qu'il avait enrichis. Ceux-là ignoraient le malheur de Marcellin Albert ; quand ils le connaîtraient, ils s'empresseraient de lui venir en aide.
Ce qu'il fallait ; avant tout, c'était leur révéler cette détresse. Il y avait un homme qui, par sa situation, par le rôle qu'il ambitionnait de jouer, par les moyens de propagande mis à sa disposition, me paraissait absolument qualifié pour apprendre à l'Algérie le malheur qui s'était abattu sur Marcellin Albert ; cet homme c'était M. Dromigny.
Je courus chez lui et, l'ayant mis au courant de l'événement, je le priai d'adresser sans retard (la faim n'attend pas) un appel aux lecteurs de son journal et aux colons de sa confédération.
Je fus surpris de sa froideur, cela me semblait si simple, à moi, de trouver quelques phrases émues et de faire partager aux autres ma profonde commisération ; mais Dromigny paraît avoir à la place du cœur un portefeuille bourré de banknotes et il a la réputation de ne l'ouvrir que pour ses satisfactions à lui, Dromigny. Tout de même mon ton fut si véhément qu'il en resta impressionné ; il m'annonça qu'il allait lancer l'appel que je demandais.
Plein de joie, j'écrivis à Marcellin Albert et je m'y pris à plusieurs fois pour faire cette lettre, car ce viatique que j'annonçais au sinistré d'Argelliers, il ne l'avait pas demandé et je ne voulais pas le froisser ; fier et résigné il ne s'était plaint de personne, pas même de la fatalité.
Ma lettre le toucha profondément et je fus tout attendri par cette confidence qu'il me fit, des larmes qu'il avait versées en la lisant.
Quelle joie pour lui de constater qu'il n'était pas oublié en Algérie ! Aussi c'était avec reconnaissance qu'il accepterait le secours des amis qu'il y avait encore.
M. Dromingy fut mis au courant. Comprenant qu'il aurait été criminel de donner au malheureux vieillard une espérance de salut qu'on ne réaliserait pas, il renouvela sa promesse d'ouvrir la souscription. Mais ce politicien, car au fond Dromigny n'est pas autre chose, était en ce moment travaillé par le prurit, par la frénésie d'ambition qui lui fait quémander tous les mandats disponibles.
Marcellin Albert et sa misère, comptaient pour bien peu de chose auprès des visées de ce gros bourdon sans cesse occupé à faire du bruit, de l'antichambre du gouverneur aux salles des mairies de village où il va promener ses boniments.
Pourtant je fus si pressant que je finis par lui arracher la lettre suivante que je m'empressai de publier dans les Annales et dont je demandai également l'insertion dans La Voix des Colons.
7 août 1919.
Monsieur Mallebay,
Directeur des Annales Africaines,
ALGER
Cher Monsieur Mallebay,
Nous avons été très touchés, mes collègues et moi, de la bonne pensée que vous avez eue à l'égard de Marcellin Albert, et que vous voulez bien mettre sous l'égide de la Confédération des Agriculteurs du Département d'Alger.
Le malheur qui vient de frapper l'apôtre de la viticulture française sera certainement ressenti par les vignerons algériens qu'il a sauvés de la misère.
Nous nous joignons à vous pour le généreux appel à lancer en faveur de Marcellin Albert, en vous priant toutefois d'attendre le retour de France de nos viticulteurs et aussi la fin des vendanges.
Recevez, cher Monsieur Mallebay, l'assurance de nos sentiments les meilleurs.
DROMIGNY.
Cette fois l'engagement était formel, précis ; M. Dromigny ne pouvait ni reculer ni le renier puisqu'il était revêtu de sa signature ; il n'y avait plus qu'à attendre la date fixée par lui-même.
Elle arriva cette date et fut dépassés : les colons partis pour la France étaient rentrés ; tous avaient fait leurs vendanges. M. Dromigny, oublieux de sa parole, faisait le mort et ne songeait pas plus à Marcellin Albert qu'aux habitants de la planète Mars. Mais par mes lettres, par des messages que lui transmettait son entourage et enfin publiquement par un Allô ! Allô ! du Turco je le suppliai d'agir.
Le palabreur ne bougea pas.
Je me trompe, il bougea ; il bougea beaucoup même, mais pour se faire élire conseiller général ; pour préparer sa candidature aux délégations financières, pour poser des jalons en vue du Sénat, pour empocher trois millions deux cent mille francs, prix de la vente d'une de ses propriétés.
Qu'aurait été cependant pour ce nabab une enveloppe contenant quelques billets de mille et envoyée discrètement à Marcellin Albert et cela afin d'atténuer le funeste effet de son honteux retard ?
Mais le mauvais riche s'en garda bien.
Il y a trois semaines, je rencontrai un colon honorable qui fait partie en, qualité de vice-président du bureau de la Confédération des Agriculteurs. Je le mis au courant de cette affaire et lui dis combien j'étais affecté d'avoir transmis à Marcellin Albert des promesses non tenues. Je ne lui cachai pas combien j'étais écoeuré de l'attitude de Dromigny.
Elle était d'autant plus inconcevable que lui, Dromigny, n'agissant pas, il empêchait d'agir les autres ; je connais en effet de nombreux colons qui n'attendaient pour envoyer, leur obole, qu'un mot, un geste de Dromigny. Ce mot Dromigny ne l'a pas dit, ce geste, il ne l'a pas fait et personne n'a bougé et Marcellin Albert, navré, peut-être désespéré, est par surcroît gravement malade.
Un télégramme que je reçois d'Argelliers nous apprend que le Rédempteur alité depuis un mois par suite de la grippe ne peut parvenir à se remettre.
Attendez encore un peu, Monsieur Dromigny et la souscription que vous n'avez pas, ouverte pour donner à Marcellin Albert le morceau de pain de ses vieux jours, vous l'ouvrirez pour lui envoyer une couronne mortuaire qu'on déposera sur le cercueil de celui à qui vous devez peut-être de ne pas traîner la savate dans les rues d'Alger.
Monsieur Dromigny, vous êtes le prototype de ces mauvais riches contre lesquels commencent à gronder les Colères de la foule.
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Çà m'a tout de même soulagé d'écrire ces quelques feuillets. D'abord, ils ont ouvert une soupape à mon indignation et puis m'incitant à quelques réflexions, ils m'ont donné cette certitude que le bonheur est indépendant de la fortune et qu'on ne peut être complètement heureux quand on a mauvais coeur.
Ce Dromigny, malgré tous ses millions, est somme toute un bien pauvre homme ; aussi, lorsque sonnera pour lui l'heure fatidique qui sonne pour tout le monde et qu'on le mettra dans la boîte de chêne ou de bois blanc qui lui servira de dernière chemise, non-seulement il n'emportera pas un sou de tous ses millions, mais, je le lui prédis avec une absolue conviction, il n'emportera les regrets de personne.
Ernest MALLEBAY.
20 mars 1920
Pour Marcellin Albert
La chronique : " le mauvais riche ", consacrée à Dromigny et à Marcellin Albert, parue dans le dernier numéro des Annales a produit un effet, auquel je ne me serais jamais attendu, effet d'antipathie pour le politicien égoïste et dur qui, par sa situation devait remplir un impérieux devoir de solidarité humaine et qui s'y dérobait obstinément : effet de commisération profonde pour l'homme dont on connaît l'œuvre grandiose et qui est tombé dans une gêne, voisine de la misère.
Ces quelques feuillets avaient à peine paru que de toutes parts, m'arrivaient des félicitations et des encouragements. - Mallebay, vous avez frappé juste et dit ce qu'il fallait dire. Continuez, vous serez suivi ; personne ne peut admettre que le sauveur du vignoble national, dont l'ardente campagne contre les fraudeurs a eu les résultats prodigieux que tout le .monde connaît, personne ne peut admettre que cet homme reste en proie à une détresse profonde, alors surtout que tant de gens sont devenus riches, grâce à lui et que les consommateurs qui buvaient les drogues, des empoisonneurs publics, ont pu enfin consommer le vrai jus de la vigne.
Ces paroles qui sont la substance des lettres et des visites que j'ai reçues, m'ont réconforté. Elle m'ont donné l'assurance qu'à côté d'une Algérie enrichie par les vignobles que le Rédempteur a sauvés, il y a une Algérie consciente du service qu'il lui a rendu et désireuse de lui prouver pratiquement et efficacement sa reconnaissance.
De toute évidence il n'y avait qu'à dire aux colons algériens : " Ouvrez vos bourses " et ces bourses s'ouvriraient et il en tomberait pièces blanches et billets bleus pour que l'admirable paysan d'Argelliers eût le morceau de pain de ses vieux jours et, ma foi, un peu de confiture pour mettre dessus.
Mais il fallait leur adresser cet appel.
Qui donc pouvait, après la dérobade de Dromigny, le formuler avec une suffisante autorité ?
Je n'hésitai pas et j'écrivis à mon confrère Gaston Marguet.
C'est un vieux journaliste, presque aussi vieux que moi dans un métier qui est le plus dur mais aussi le plus attrayant et surtout le plus noble de tous, quand il est exercé comme il doit l'être. De plus Gaston Marguet qui possède à fond toutes les questions se rattachant au sol algérien est le directeur de la Gazette des colons, journal qui pénètre jusque dans les fermes les plus reculées et dont la substance pourrait former en quelque sorte, le bréviaire du colon algérien.
Je lui écrivis donc pour le prier d'ouvrir la souscription en faveur de Marcellin Albert et de la soutenir dans le " Sémaphore " dont il est aussi le directeur ainsi que dans le grand quotidien du soir d'Algérie, dont il est l'administrateur. J'ajoutais que, bien entendu, les Annales Africaines et le Turco feraient énergiquement campagne en faveur du Rédempteur.
La réponse ne tarda guère. Elle m'arriva le même jour sous la forme d'une lettre chaleureuse que devait compléter un article avec sur deux colonnes, le titre et les sous-titrés suivants :
Pour Marcellin Albert.
Ernest Mallebay prend l'initiative de voler au secours du Rédempteur. La Gazette des colons s'inscrit pour 500 francs. Tous les viticulteurs doivent suivre le mouvement.
Cet agréable message accompagné d'un chèque de 500 francs, m'était remis par un grand jeune homme aux traits réguliers et expressifs et dont le poitrine était ornée de deux minces rubans, conquis, non dans les salons mondains ou dans les antichambres ministérielles, mais là ou il faisait très chaud, vous pouvez m'en croire.
Ce jeune homme que je reconnus sans l'avoir jamais vu, rien qu'à sa surprenante ressemblance avec son père, était en effet le fils de Gaston Marguet. Il est devenu notre confrère et j'ensuis fort aise, car il écrit bien, est avenant, bien élevé et pendant la guerre il s'est conduit comme un vaillant.
Dans le numéro de la Gazette des colons ma lettre à Gaston Marguet, intégralement reproduite bien qu'elle ne fût pas destinée à la publicité, était suivie d'une déclaration du directeur du journal et se terminait par ces lignes :
" L'honneur de recueillir la souscription en faveur de Marcellin Albert doit revenir tout entier à Ernest Mallebay, à qui nous adressons notre modeste offrande, en priant les Viticulteurs et tous ceux qui bénéficient à un titre quelconque des richesses que la vigne et le vin procurent à l'Algérie, d'envoyer leur obole aux Annales Africaines.
" En nous inscrivant pour 500 francs à cette souscription nous ne croyons pas nous libérer pour notre quote-part de la dette d'honneur que l'Algérie a le devoir de payer au vaillant vigneron d'Argelliers et nous restons entièrement acquis à toutes les tentatives qui seront faites en faveur de Marcellin Albert, sauveur de la viticulture et bienfaiteur de l'Algérie. "
Ainsi Gaston Marguet n'avait pas tenu compte de l'objection que je lui avais opposée lorsqu'il m'avait prié d'ouvrir moi-même la souscription dans les Annales, que m'a publication qui a pour lecteurs des fonctionnaires, industriels, commerçants, magistrats, touche beaucoup moins les colons que la Gazette qui est leur organe et leur défenseur.
Non, mon confrère estimait que courir au secours du Rédempteur était un honneur et que cet honneur devait me revenir.
Ses paroles étaient pressantes et cordiales, si bien qu'elles ont eu raison de mes hésitations et de mes scrupules.
J'ai donc accepté ; je l'ai fait sans inquiétude sur ce qui va arriver. Je connais le bon cœur des Algériens : il a toujours répondu chaque fois que je me suis adressé à lui pour soulager une détresse imméritée. Je connais aussi mes confrères et leur esprit de solidarité quand il s'agit d'une belle oeuvre. Je vais m'adresser à eux ; tous m'aideront, si, bien que cette souscription va devenir une grandiose manifestation de la reconnaissance algérienne, d'autant plus émouvante qu'elle soulignera l'ingrate indifférence du Midi de la France qui, lui, aurait dû donner l'exemple et qui n'a pas bougé.
C'est peut-être bien la faute de Marcellin Albert lui-même qui, modeste jusqu'au complet oublie de sa personnalité et désintéressé jusqu'à l'abnégation, trouve simple et naturel ce qu'il a fait, si bien qu'il n'a jamais eu l'idée d'en demander la récompense.
Le plus beau de l'affaire c'est que le mauvais riche Dromigny marche de son côté. Banderille par l'article des Annales et comprenant qu'après un tel éclat de son abstention serait à son actif honte ineffaçable, il a, dans le dernier numéro de la Voix des colons ouvert la souscription.
1l l'a fait avec la bonne grâce d'un chien qu'on fouette et par quelques lignes banales où il n'a même pas songé à dire que Marcellin Albert ne s'est pas plaint et n'a rien demandé à personne.
C'est somme toute l'attitude d'un homme qui n'a qu'un souci, se débarrasser d'une corvée qui l'assomme.
Mais qu'importe : ne songeons qu'au résultat ; M. Dromigny, directeur de la Voix des colons et président de la Confédération des agriculteurs du département d'Alger marche et il fait marcher les lecteurs de son journal et les confédérés de son association.
Qu'il ramasse beaucoup d'argent et notre rancune contre lui, qui n'a d'autre origine que son inqualifiable attitude dans une affaire où son rôle était aussi honorable que facile, diminuera jusqu'à disparaître complètement si grâce aux fonds recueillis par lui et par nous, l'honnête vigneron d'Argelliers peut vivre paisiblement dans son petit domaine, des rentes que lui auront values les Algériens reconnaissants.
Ernest MALLEBAY.
Nous avons déjà reçu 3.500 francs pour Marcellin Albert ; nous publierons la première liste de souscription dans notre prochain numéro.
30 mars 1920
Pour Marcellin Albert
L'appel que nous avons adressé aux colons Algériens, en faveur de Marcellin Albert, a été entendu.
Des sommes relativement importantes nous sont déjà arrivées pour être remises au vieux vigneron d'Argelliers, éprouvé par la misère ; d'autres nous sont annoncées. Les souscriptions seront d'autant plus nombreuses que nos confrères des trois provinces secondent nos efforts. Jamais, du reste, ils n'ont refusé leur concours à une œuvre de philanthropie.
Celle qui a pour but d'arracher Marcellin Albert à la détresse imméritée qui l'accable, l'est au premier chef ; elle se double d'une dette de reconnaissance que doivent payer ceux que le Rédempteur a enrichis. Ils ne se déroberont pas, nous l'espérons, à ce devoir de conscience.
Voici la première liste ; la seconde paraîtra dans notre prochain numéro :
M. Marguet, directeur de La Gazette des Colons …………………………………………...500
Anonyme, Rovigo ……………………………………………………………………….............…500
M. Decock …………………………………………………………………………………...............600
M. Louis Amat, Bourkika ………………………………………………………………...........….500
M. Bernard …………………………………………………………………………….............….…500
M. Acker aîné, Médéa ……………………………………………………………….….........…….35
Un anonyme oranais (qui ne possède pas de vigne mais qui admire Marcellin Albert)........................................................................................................... 20
H. I. Alger………………………………………………………………………………................…….5
Anonyme Paris …………………………………………………………………………..............…100
M. A. D………………………………………………………………………………….................…….5
M. Pierre Berthet, Marengo.............................................................................100
Mme Vve Averseng, El-Affroun …………………………………………………........………1.000
M. Ed. Perriquet, Alger ……………………………………………………………...........………..50
Mme Séverin Moll, Mouzaïaville …………………………………………..………........………..25
M. Cherfils, Alger ………………………………………………………………………............…..100
Docteur Honoré Soulié …………………………………………………………...….........………..50
M. Ludovic Gay, Marengo ……………………………………………………………..........….…150
M. Sabatier, propriét., viticulteur, Alger …………………………………………….....………500
M. Dairicarrère, Novi………………………………………………………………………............…20
M. Garcia, directeur du Progrès de Sidi-Bel-Abbès ……………………………........………50
Total …………………………………………………………………………………...............……4.610
L'envoi de M. Ludovic Gay était accompagné de ces mots :
" La somme de 150 fr. que je vous adresse représente le montant de ma souscription, à raison de cinq centimes par hectolitres de vin récolté par moi l'année dernière.
" Si faible que soit le taux de cette souscription, Marcellin Albert, serait à l'abri de la misère si tous les viticulteurs voulaient bien se l'imposer. "
M. Gay a raison ; malheureusement, il y en a beaucoup qui ne s'imposeront rien du tout et, détail aussi surprenant que nauséabond, quelques-uns de ces êtres sans cœur comptent parmi ceux que la chance a comblés et dont la fortune se chiffre par millions.
C'est un peu pour cette raison que nous prions de renoncer à l'anonymat les souscripteurs qui, par délicatesse nous demandent, en envoyant leur offrande, de taire leurs noms.
Quelques-uns des riches avares auxquels nous faisons allusion seraient bien capables d'exploiter cet anonymat, en faisant croire dans leur région que c'est eux qui ont versé l'obole ne portant pas le nom du donateur.
L'envoi de cent francs d'un anonyme de Paris était souligné de ces mots vibrants :
".Le porte-étendard d'Argelliers n'est pas seulement le bienfaiteur de la viticulture, mais bien aussi, par l'enchaînement logique des choses, celui du commerce des courtages des vins.
" Quand nous vendions à Bercy l'hectolitre 9 ou 10 francs, nos commissions étaient, je vous le certifie, rognée à l'extrême. A partir de 20 à 25 fr, nous avons pu, presque toujours loger, dans les prix de vente, 0,50 et même le franc d'usage et notre rôle d'intermédiaire est devenu singulièrement plus facile ; ingrat qui l'oublierait. "
M. Dromigny agit
Au dernier moment on nous avise que M. Dromigny, se rendant compte de l'effet produit dans le public par la révélation de sa coupable inertie dans cette affaire Marcellin Albert qui réveille en faveur du vigneron d'Argelliers toutes les sympathies algériennes, a complètement changé d'attitude.
1l se dépense, auprès des adhérents de la Confédération des Agriculteurs et de ses amis personnels, en sollicitations pressantes pour recueillir des souscriptions si bien qu'il a déjà en caisse une somme importante.
Si le fait est exact, mieux vaut tard que jamais et M. Dromigny a trouvé le meilleur moyen de réparer les torts que nous lui avons justement reprochés. Qu'il agisse en cette circonstance par pure philanthropie et sincère commisération à l'égard de Marcellin Albert, ou par amour-propre exaspéré, le résultat est le même ; le Rédempteur en sera grandement réconforté.
Nous nous en réjouissons, pour Marcellin Albert et pour M. Dromigny lui-même.
Les Annales.
10 avril 1920
Pour Marcellin Albert
La souscription Marcellin Albert a encore donné un joli chiffre, soit,pour lu deuxième liste 5.575 francs. Elle forme avec les 4.810 de la première un total de 10.385 francs.
Deuxième liste :
Le Mutilé de l'Algérie ………………………………………………………………………..60
M. Lucien Bertrand, propriétaire, viticulteur, Alger …………………………….….60
M. Malinconi, propriétaire, Alger ………………………………………………………..20
M. Paul Domard, Marengo…………………………………………………………….….600
MM. Trolard et Titre, Tarzout ……………………………………………………....….500
Mme Bourgade, Bel-Abbès ……………………………………………………………....100
Un abonné aux Annales, Sidi-Moussa……………………………………………..…..200
Syndicat agricole et viticole, Castiglione ……………………………………………..300
M. Hippolyte L., propriétaire, Alger………………………………………………..…...600
M. G. Pinel, Mostaganem ……………………………………………………………………50
M. Albert Coutas, propriétaire, Novi………………………………………………………20
M. Charles Samson, Rovigo……………………………………………………………..…300
L'Intermédiaire Automobile, Alger.............................................................50
M. Ch. Farny, propriétaire, Marengo……………………………………………….….….50
M. Gitton Servat, Alger ……………………………………………………………….……..100
MM. Gros fils et Vie, Oran.........................................................................20
A. D. (modeste témoignage de gratitude d'un père de famille que Marcellin Albert a sauvé de la ruine, mais qui, n'étant plus viticulteur, n'a pas eu la bonne fortune de bénéficier des hauts prix de guerre......................................................................................................5
Obole d'un tout petit viticulteur d'Ouled-Fayet ..............................................5
Les Affréteurs réunis...............................................................................500
M. Huquo, propriétaire à Margueritte………………………………………...………...…20
Anonyme de Mostaganem………………………………………………………….……..…200
M. Lochard, à Tamentout ........................................................................100
M. André Avelin, au Ruisseau……………………………………………………..………..100
M. Mari, Marengo, avocat des pauvres ………………………………………..……..…..10
Report..................................................................................................3.750
A reporter…………………………………………………………………………….......…….3.750
Un admirateur reconnaissant de Marcellin Albert …………………………….……….500
et ses Fils, (Marengo) …………………………………………………………………..….....250
M. Dubouchet, Palestro …………………………………………………………………....……25
La cave coopérative de Castiglione. ………………………………………………..…..1.000
M. Amizet, propriétaire, Rouïba …………………………………………………….…….….50
Total de la 2° liste..................................................................................5.575
Sur cette somme, nous avons fait un premier prélèvement de 5.000 francs que nous avons été infiniment heureux d'adresser à Marcellin Albert. Demain nous lui ferons un second envoi de pareille somme.
Si, aux souscriptions envoyées directement aux Annales Africaines, nous ajoutons la somme recueillie par la Confédération des Agriculteurs, soit une quinzaine de mille francs pour les trois premières listes de cet important groupement, nous dépassons vingt-cinq mille francs.
Voilà donc Marcellin Albert à l'abri de la misère immédiate ; mais il ne s'agit plus simplement de chasser la sombre et harcelante mégère du logis du vigneron d'Argelliers ; il s'agit de transformer l'œuvre occasionnelle de philanthropie que nous avons entreprise en une imposante manifestation de la reconnaissance algérienne.
Combien ce serait facile si ceux que Marcellin Albert a enrichis lui témoignaient pour deux liards de reconnaissance. Deux liards, c'est une façon de parler ; vous, Monsieur le Colon de Rouïba, qui avez récolté pour 14 millions de francs de vin et vos cinq ou six collègues de Maison-Blanche, l'Arba, Boufarik qui, réunis, dépassez vingt millions, envoyez-nous bien vite vos " deux liards ".
S'ils sont, je ne dis pas proportionnés à votre fortune, ce serait trop beau, mais tout de même pas trop indignes de votre opulence, Marcellin Albert connaîtra non-seulement l'aisance, mais un peu de la richesse dont vous êtes si douillettement capitonnés.
Et pourquoi ne la connaitrait-il pas ? Dans votre entourage et même plus loin, trouveriez- vous quelqu'un qui la mérite mieux ?
Mettez-donc la main à la poche, Messieurs les gros colons, les petits s'empresseront de vous imiter.
En attendant, nous remercions de tout cœur nos bons confrères de l'Intérieur, notamment la Tribune Bônoise, le Républicain de Constantine, le Progrès d'Orléansville, le Républicain Sud-Oranais, le Courrier de Tlemcen, l'Avenir et le Réveil de Mascara qui, pour seconder notre effort ont publié de chaleureux articles en faveur de Marcellin Albert.
Les ANNALES.
20 avril 1920
Pour Marcellin Albert
De nombreux journaux algériens se sont faits l'écho de l'appel lancé par M. E. Mallebay .en faveur de Marcellin Albert. Aucun n'a été plus chaleureux que le " Républicain " de Constantine, qui a publié en tête de ses colonnes ce leader article. Nous nous excusons de le (reproduire intégralement, malgré les éloges dont il couvre notre Directeur ; mais la cause du vigneron d'Argelliers en profitera :
UN APPEL AUX COLONS
Une bonne action à laquelle ils se feront honneur et devoir de participer
Mallebay nous convie à joindre notre Voix à l'appel véhément que de tout son grand coeur, de toute la force de sa belle éloquence, il a lancé aux colons en faveur de Marcellin Albert.
On connaît l'histoire noble et douloureuse de Marcellin Albert, cet apôtre qui se leva jadis, fit " bouger " le Midi viticole, organisa et mena une hardie croisade contre les marchands de vin de campêche, contre tous les fraudeurs tel mouilleurs qui, à une certaine, époque, empoisonnaient impunément ou trompaient cyniquement tout au moins les gens de France, les travailleurs surtout, accoutumés au réconfort joyeux du vin, sève du vieux sol français.
C'est celte croisade de Marcellin Albert qui amena le Parlement à voter à la fin les lois qui protégèrent et sauvèrent la viticulture française.
C'est grâce à ces lois, c'est grâce, par conséquent au courage, à l'audace et à la ténacité de l'apôtre que la viticulture et la vinification algérienne prirent cet essor que producteurs et consommateurs - chacun d'une manière opposée - sont à même d'estimer aujourd'hui.
L'ascension des cours en France eut en peu d'années sa répercussion sur les prix de vente eu Algérie. Et qui n'a vu des vignerons désespérés jadis devant ; leurs vignes ou devant leurs celliers inutilement pleins - qui aujourd'hui ont dépassé l'aisance et conquis la fortune ?
Or, par un désastreux retour - on dirait que parfois la destinée se fait complice ou vengeresse des mauvaises causes - aujourd'hui Marcellin Albert est malheureux et pauvre.
Le mauvais sort, impitoyable, se jette et s'acharne sur lui. Malade et vieux, l'apôtre a vu ses biens dévastés par la grêle.
Environné d'abondances et d'opulences qui se sont faites grâce à lui, il éprouve d'angoissantes amertumes - et, chez lui, règne la désespérance avec la pauvreté...
Sic vos, non vobis...
Mû par cette générosité qu'il voue à toute juste cause et croyant d'instinct trouver chacun des autres hommes généreux, prompt au bien comme il l'est lui-même, poussé du reste à cette bonne action par des amis auxquels son grand cœur voulaient la confier et qui voulurent qu'il eût lui-même l'honneur d'apporter le secours à l'apôtre en détresse, Mallebay se tournant vers les colons d'Algérie, s'adressant à leur cœur et appelant leur gratitude, leur demande une obole, qui légère pour leur bourse, peut apporter là-bas, dans l'humble maison d'Argelliers beaucoup de réconfort et conjurer des peines désastreuses.
Il faut que cet appel soit entendu. Il faut surtout qu'on y réponde, et que l'on sache qu'il existe, nombreux, des cœurs généreux, des cœurs français, des cœurs qui se souviennent dans ce bled d'Algérie où le bien-être et la prospérité d'à présent ont succédé à des détresses comparables, à celle où Marcellin Albert se débat à cette heure.
Nos colons, tous, et surtout ceux dont la Vigne et le vin ont assuré l'aisance ou la fortune voudront prouver qu'en ce pays d'Algérie, du moins, la prospérité n'engendre pas l'égoïsme. Ils voudront, pour leur honneur, et en faveur de l'Apôtre, faire mentir le dicton prétendant que lorsqu'on est dans le malheur on ne revoit plus les amis qui s'empressaient autour de soi dans le temps de la félicité.
En lisant leurs noms suivis du chiffre d'une honorable obole, on saura que les viticulteurs et les colons du département de Constantine entendent prendre et garder le premier rang, alors surtout qu'il s'agit de faire le bien, de manifester par un geste et un acte cette solidarité sociale qui n'est souvent qu'un mot et dont tous, nos amis voudront faire à l'égard de Marcellin Albert une réalité bienfaisante et salutaire.
Au nom de Marcellin Albert, au nom de Mallebay, en notre nom, sûrs de leurs nobles sentiments nous leur disons d'avance: Merci.
LE REPUBLICAIN.
Et maintenant voici la liste des sommes que nous avons encore reçues.
3e Liste.
M. Camille Perriquet, Birtouta, ……………………………………………………………... 50
M. Charles Pienelli, propriétaire-vitiuclteur, Souk-Ahras…..............................50
Mme Vve Antoine Mira, propriétaire, l'Arba ……………………………………….……100
Mme Archambeau, Cherchell ………………………………………………………....……..20
M. Boudurand, propriétaire, Taher……………………………………………………..…...20
M. Charles Bellot, Misserghin…………………………………………………………..……..20
M. Paul Oudaille, Alger………………………………………………………………....……..500
M. Demangeat, maire OuIed-Fayet………………………………………………..……….100
M. Emile Becker, Bouïra……………………………………………………………….....……..50
M. Boulenc, Maximin, Renault………………………………………………………...……….20
M. Louis Gazaniol, Viticulteur à Sidi-Daho, par Bel-Abbès……………….…………..500
A reporter………………………………………………………………………….......……….1.430
Report…………………………………………………………………………………........…...1.430
Mme Vve Raphael Gazaniol, viticulteur à Sidi-Daho …………………..……………...500
M. Antoine Gazaniol, viticulteur à Tilmouni, près Bel-Abbès………………………...500
M. A. Genthomme, agriculteur à Keb Roumia, près Ténès………………..…………..10
Mme Maraval-Berthoin, Oran……………………………………………………………...….200
M. Louis Giraud, avocat, Oran……………………………………………………....………….10
Total……………………………………………………………………………………..........….2.650
Total des 2 listes précédentes…………………………………………………………… 10.435
Total……………………………………………………………………………….....…....……13.085
Plusieurs de ces envois étaient accompagnés de lettres ou s'exprimait pour Marcellin Albert une sympathie cordiale doublée de reconnaissance.
L'envoi de la généreuse famille Gazaniol était accompagné de cette lettre de M. Louis Gazaniol :
Monsieur,
" J'estime et ainsi ma famille que la dette de reconnaissance contractée envers Marcellin Albert par tous les viticulteurs sans exception, ne peut honnêtement s'acquitter que par une souscription de tous les viticulteurs en faveur de ce brave homme.
" Avec 4 à 5 centimes par hectolitre produit dans une année, cela suffirait à assurer l'aisance de notre bienfaiteur. Nous y souscrivons tous trois d'avance.
" Je vous remercie d'avoir, par votre initiative, fourni l'occasion de faire notre devoir,
" Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments les plus distingués.
L. GAZANIOL.
Nous livrons cette lettre qui fait grand-honneur à celui qui l'a écrite, aux méditations de quelques gros viticulteurs de la plaine et du Sahel dont les lecteurs des Annales cherchent avec une impatiente curiosité les noms sur les listes de souscription déjà publiés. Ces noms n'y figurent pas encore, mais nous avons la certitude qu'ils y figureront bientôt.
Ces nababs algériens, surtout ceux de l'Arba, Boufarik, Damiette, etc..., dont la récolte s'évalue par un nombre de sept chiffres seraient d'autant plus impardonnables qu'ils ne pourraient invoquer l'excuse de l'ignorance, car nous avons adressé à plusieurs d'entre eux un appel personnel.
LES ANNALES.
30 avril 1920
Petit Billet
Une assertion erronée
A propos de la souscription Marcellin Albert et du don de mille francs par la société " La cave coopérative de Castiglione ", M. Mallebay a reçu la lettre suivante de son président, M. Henri Robichon.
" Monsieur,
" Nous vous avons adressé tout dernièrement la somme de mille francs pour la souscription en faveur de M. Marcellin Albert.
Nous ignorions alors la campagne que vous menez contre notre conseiller général, M. Dromigny, qui a toute notre estime et notre confiance.
" Ne pouvant nous associer à cette campagne nous vous prions donc de faire parvenir la susdite somme à la Confédération des Agriculteurs, 4, rue Maréchal-Bosquet, ce groupement ayant, avant vous, lancé une souscription pour Marcellin Albert;
" Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
Le Président de la Société Cave-Coopérative de Castiglione :
Henri ROBICHON.
M. Mallebay a répondu à M. Robichon, par la lettre suivante :
Monsieur le Président de la Cave-Coopérative de Castiglione,
" Monsieur le Président,
" Votre lettre m'est arrivée un peu tard. Je viens en effet de faire à Marcellin Albert un second versement de cinq mille francs, dans lequel est compris le don de mille francs de votre société.
" Que ce don lui soit parvenu par mon intermédiaire ou par celui de la confédération des agriculteurs, la chose, au fond, importe peu ; l'essentiel était que cet homme si méritant et si malheureux fût rapidement secouru. Il n'y avait pas de temps à perdre, je me suis hâté ; vous ne sauriez m'en faire un reproche.
" Quant à celui que vous m'adressez, de mener une campagne contre M. Dromigny, je proteste ; je n'ai mené aucune espèce de campagne contre ce personnage. Je me suis borné à faire le public juge de sa conduite. Je ne m'y suis résigné qu'après l'avoir prié, supplié,pendant plus de six mois de tenir la parole qu'il m'avait librement donnée, d'engager les colons de sa confédération à venir au secours du sauveur de la viticulture française et algérienne.
" Sourd à mes exhortations, il ne bougeait pas et cependant il savait que Marcellin Albert vieilli, malade et abandonné, attendait dans des alternatives d'espérance et d'angoisse, la réalisation de sa promesse. J'ai flétri comme elle le méritait cette inqualifiable inertie de M Dromigny, mais, je le répète, je n'ai pas mené campagne contre lui.
" La preuve qu'il avait grand tort de laisser pendant six mois, Marcellin Albert dans une douloureuse anxiété et moi-même dans l'irritation, c'est que nous avons déjà recueilli plus de trente mille francs pour le vigneron d'Argelliers. Dès lors, M. Dromigny n'était-il pas coupable d'ajourner indéfiniment le secours, dont cet homme si malheureux avait tant besoin, alors que d'un trait e plume, d'un simple mot, il pouvait le sauver ?
" Je ne m'arrête pas sur votre assertion que M. Dromigny a fait ouvrir avant moi-même la souscription par la confédération dont il est le président ; tout le monde sait, en effet, que M. Dromigny n'a marché qu'après le premier coup de lanière, que, à mon grand regret, je me suis vu forcé de lui administrer dans le Turco et pour éviter ceux qui allaient suivre dans les Annales, mais, si je n'avais pas agi de la sorte, le pauvre Marcellin Albert aurait bien pu mourir de misère sans que ce quémandeur de mandats électoraux s'en soit ému le moins du monde.
" Cette révélation de faits qui ne font pas honneur à M. Dromigny était d'ordre moral et humanitaire et n'avait, vous en conviendrez, rien de commun avec une campagne politique.
" Je possède deux journaux et une plume dont je sais me servir. Si j'avais voulu mener campagne contre M. Dromigny, l'occasion était propice puisqu'il se présentait aux Délégations.
" Qui sait alors si le nombre de suffrages qu'il a obtenus, ridiculement réduit par rapport à celui des électeurs inscrits n'en aurait pas été modifié ?
" Mais les, ambitions de ce politicien me sont aussi indifférentes que lui-même et je ne me suis pas plus occupé de lui que s'il n'avait jamais existé.
" Je n'ai donc pas, et je le souligne encore une fois, mené campagne contre M. Dromigny. Cela arrivera peut-être, si peu qu'il ajoute quelques mandats à la demi-douzaine qu'il a déjà collectionnés et que la suffisance de cet arriviste se transforme en malfaisance ; ce qui, vous le verrez, ne tardera pas à se produire. Ce jour-là. il me trouvera en face de lui.
" Recevez, Monsieur, mes salutations, distinguées.
Ernest MALLEBAY.
P.S. - Quant à l'allusion que vous faites au mandat de conseiller général de M. Dromigny je souhaite pour votre circonscription que cet homme pratique défende ses intérêts avec l'âpre habileté qu'il apporté à soigner les siens propres.
Pour Marcellin Albert
Le mouvement de sympathie provoqué par notre souscription, en faveur de Marcellin Albert ne se ralentit pas. C'est de tous les points de l'Algérie que nous arrivent les souscriptions. Certes, si leur nombre et leur importance devaient se mesurer à l'énormité des fortunes qui s'édifient actuellement en Algérie dans le monde de la viticulture, Marcellin Albert pourrait acheter un des plus beaux châteaux de France pour y passer, riche et honoré, ses derniers jours.
Mais il y a encore dans la colonie, beaucoup de sourds qui le sont volontairement. Espérons qu'ils finiront par entendre et qu'alors ils répondront eux aussi à notre appel.
En attendant cette réponse sur laquelle nous comptons fermement, voici notre 4° liste de souscripteurs :
4e Liste
M. H. de Blives, à Damrémont, près Philippeville ………………………………………...100
M. Louis Gassin, propriétaire, Berrouaghia ………………………………………..………….50
M. Wastelier du Parc, Rouïba…………………………………………………………......……...50
M. Cazergues père, à Palissy ……………………………………………………………......….100
M. Cazergues fils, à Palissy.............................................................................100
M. Aufreau, à Palissy .....................................................................................100
M. Arzelier à Palissy ………………………………………………………………………...........…25
Mme Vve Dulac, à Palissy …………………………………………………………………............25
M. Louis Chanfreau ………………………………………………………………………….............50
M. Jacques Albrand, à Palissy ………………………………………………………………..........25
Cave Coopérative de Novi ………………………………………………………………...........1.000
Un anonyme de Kouba ………………………………………………………………………............50
M. Louis Coste, à Mascara …………………………………………………………………............50
M. Aristide Coulon, à Rouïba ………………………………………………………………...........…5
M. Boyer-Bance, Alger ……………………………………………………………………….............20
M. René Courtois, à Assi-ben-Okba,.....................................................................10
Syndicat de Bérard ………………………………………………………………………….............370
M. Ferdinand Rolland, Tipaza............................................................................100
M. Maurice Masson, viticulteur, Fondouck ……………………………………………….........100
M. Jeanjean, agriculteur, Châteaudun-du-Rhumel ………………………………………….....50
M. Pradel, agriculteur à Lavigerie ………………………………………………………….........…20
M. Hippolyte Roseau, propriétaire à Novi …………………………………………………..........20
M. Albert Gontard, propriétaire à Ouled-Fayet ……………………………………………........20
M. Bernard Agello, Bougie …………………………………………………………………..............10
Mme Vve Oudot, à Novi ………………………………………………………………….............…..30
Syndicat commercial (négociants en Vins) 8e groupe : …………………….........………..370 francs
M. Lafourcade …………………………………………………………………………................……100
M. Peyroud……………………………………………………………………….................…………..100
M. Lung ……………………………………………………………………………..................………..100
M. Combescure …………………………………………………………………................……………50
M. Canal …………………………………………………………………………….................………...20
M. Pellissier, Saint-Eugène, Oran ..........................................................................50
M. François Buthion, propriétaire à Dupleix ……………………………………........………….100
M. Sénéclauze, Aïn-el-Arba ……………………………………………………………............…….60
M. Boriès, Mostaganem ……………………………………………………………….............…….200
M. Dariex, propriétaire, à Sonis, Oran……………………………………………........…………100
Mme la Comtesse de Lauer..................................................................................50
Mme Saint-Hiliaire ……………………………………………………………………...............……100
Mme Mouchez ………………………………………………………………………................……….50
Total…………………………………………………………………………………..................…….3.540
Listes précédentes………..... ……………………………………………………............………13.085
16.625
Nous avons fait à Marcellin, Albert un troisième envoi de 5.000 francs. Le Rédempteur nous a écrit à ce sujet une lettre touchante. On sent dans cette lettre, que le vigneron d'Argelliers à qui nous avons envoyé également plusieurs lettres cordiales qui accompagnaient les souscriptions, est encore plus touché de ces bonnes paroles prouvant que les viticulteurs, sont conscients de l'immensité du service qu'il leur a rendu ; que de ces sommes qui le mettent à l'abri de la misère.
L'oublié restera, toujours peut-être, un oublié pour de gros colons qui, grâce à son geste, roulent aujourd'hui, sur l'or et cependant n'ont pas bougé ; mais il en est d'autres qui, heureusement, se souviennent, et ont versé leur obole ; à ceux là, un grand merci.
Quant aux premiers nous leur dirons deux mots quand la souscription sera close et nous verrons s'il n'y a pas lieu de mettre en regard de cette écoeurante inertie le chiffre des hectares de vigne qu'ils possèdent et celui de leurs bénéfices.
Nous parlons surtout de ceux dont le nom est sur toutes les lèvres quand on cite les grands seigneurs de la viticulture, dans l'opulence s'étale avec une véritable ostentation.
LES ANNALES
10 et 20 juin 1920
Pour Marcellin Albert
Notre souscription est close.
Elle atteint le total de 24.088 francs.
La souscription que les Annales Africaines ont ouverte pour venir en aide à Marcellin Albert, vieilli, malade et dont le petit vignoble avait été saccagé et quasi anéanti par un terrible ouragan est définitivement close.
Elle a produit avec 1a 7e liste ci-dessous un total de 57.443 francs, comprenant les sommes recueillies par les Annales et celles qui ont été adressées à la Confédération des Vignerons.
Dans ces dernières figure une somme de dix mille francs versée par MM. Jean et Jacques Duroux, viticulteurs et minotiers à Rouïba, et pour laquelle nous leur transmettons les remerciements tout particuliers de Marcellin Albert, profondément touché, comme on le devine, par ce don magnifique.
Le Rédempteur nous prie également d'être son interprète auprès de tous ses amis d'Algérie qui, s'intéressant à son infortune, ont fait ce qu'il fallait pour la soulager. Grâce à eux, les dernières années de sa vie seront non seulement à l'abri du besoin, mais, encore charmées par le souvenir qu'il gardera de la belle manifestation de sympathie dont il a été l'objet de la part de l'Algérie reconnaissante. C'est donc du plus profond du cœur qu'il dit à tous ceux qui y ont pris part ce mot qui résume tous ceux qu'il pourrait dire : Merci.
Ce mot, le directeur des Annales le répète après lui. Il est grandement reconnaissant lui aussi à ceux qui, en répondant à son appel, ont permis à l'Algérie de payer une partie de la dette contractée à l'égard du Rédempteur.
Puisse le Midi de la. France qui en a contracté une semblable et plus grande encore et qui, jusqu'ici, n'a pas bougé, s'émouvoir à son tour. Puisse-t-il alors réserver à Marcellin Albert quelques gouttes du fleuve d'or que la mémorable et grandiose campagne du paysan d'Argelliers a fait couler dans ces régions qui, sans lui, étaient vouées à la ruine, à la misère et à la mort.
LES ANNALES.
Voici notre 7° et dernière liste de la souscription en faveur de Marcellin Albert.
SEPTIEME LISTE
E. Vaqué, propriétaire à Médéa, 25 fr. ; M. Pierre Martel, Chebli., 100 fr.; M. D. L., Rouïba, avec l'espoir de récidiver plus largement chaque année, 20 fr.; Société Immobilière et Agricole de l'Harrach (Maison-Carrée), 200 fr.; M. Couderc, propriétaire à Chebli, 50 fr. ; M. Mouchez, Souk-el-Hâad, 150 fr.; M. Fourest, Bordj-Menaïel, 20 fr.; M. Paul de Tounac, agriculteur, Loverdo, 100 fr.; M. François Combes, Boukanéfis, 20 fr.; M. Jean Rabut, Chabet-el-Àmeur, 5 fr. ; M. Bernot, Maison-Blanche, 20 fr.; M. Arnoux, propriétaire, somme transmise par M. Renaudeau, d'Oran, 500 fr.;.M. G. Charpentier, viticulteur, Rivoli, 50 fr,; Mme Veuve Malleval, Loverdo, 500 fr.; MM. Richard et Lestrade, Loverdo, 500 fr. ; M. Duranton, Gouraïa,_25 fr.; Envoi de M. A. Gauthier, adjoint spécial : " Un groupe de viticulteurs de Margueritte ", 345 fr., dont voici le détail : MM. Girard; Léon, 40 fr. ; Anastaze Paul, 50 fr.; Guerre Maurice, 5 fr. ; Mme veuve Lacasa, 50 fr.; MM. Gabano Alfred, 10 fr.; Anastaze Emile, 50;fr.; Garé Emile, 10 fr.; Mollo François, 5 fr.; Lopez Antoine, 5 fr.; Sirvent Henri 5 fr. ; Veuve François, 5 fr.; Paux Emmanuel, 16.fr, Greyssels Joseph,, 5 fr.; Veuve Buirée, 5 fr.; Renaud Jules, 50 fr.; Veuve Gauthier, 40 fr. ; M. Alazard père, propriétaire, Damiette, 10 fr, ; M. Alazard fils, 10 fr ; M. Henri Durand propriétaire viticulteur à Chebli, 20 fr; Anonyme, 65 fr.
En révisant les listes publiées, nous relevons 1° une erreur erreur de 10 francs dans le total de la 4e liste ; 2° une coquille qui nous a fait compter 2.719.fr. 15 au lieu de 2.791 fr. 15 dans la 6° liste.
Toutes corrections faites, le total des 6 premières listes est de 21.358 fr. 15 et le total de la souscription de 24.088 francs.
D'autre part, nous nous sommes aperçus que les sommes que nous avions en caisse dépassaient ce total de 115 francs. C'est donc que nous avions oublié de porter sur ces listes un ou plusieurs noms. Une vérification minutieuse des listes et de la correspondance que nous avions conservée nous a permis de nous rendre compte d'une autre erreur :
Trois petits viticulteurs de Médéa ont été portés comme ayant versé 100 francs, tandis qu'en réalité ils en ont versé 150 francs. Il reste encore 65 francs de plus qu'il ne devrait y avoir ; nous aurions omis alors de mentionner un ou peut-être deux souscripteurs.
L'essentiel est que leur souscription figure dans le total et nous l'y faisons figurer sous la mention anonyme : 65 francs qui clôture la souscription.
En terminant, nous dirons à ceux qui n'ayant pas versé, le regrettent et se résoudraient à faire aujourd'hui ce qu'ils n'ont pas fait hier, qu'ils devront adresser directement leur souscription à Marcellin Albert à Argelliers (Aude).
30 juin 1920
REMERCIEMENTS
Marcellin Albert a tenu a dire lui-même sa reconnaissance à ceux qui l'ont secouru et qui, par leurs souscriptions, ont écarté de sa petite maison et de sa vieillesse le spectre de la misère. Cette chaleur et cette sincérité de sentiment qui permirent à l'humble vigneron d'Argelliers de soulever des foules, nos lecteurs en trouveront le reflet dans la lettre que nous publions :
ARGELLIERS-AUDE, le 9 juin 1920.
Jour anniversaire du 9 Juin 1907, des grandes manifestations viticoles à Montpellier
A mon grand ami E. Mallebay et ses amis, mes plus chaleureuses et cordiales félicitations.
A toute la presse Algérienne, a qui j'adresse mes remerciements les plus affectueux.
A vous tous mes chers amis, qui m'avez donné tant de témoignages de sympathique reconnaissance pour les services rendus à la viticulture française et algérienne et, qui avez prouvé que les Algériens savaient se souvenir, que la solidarité et la fraternité n'étaient pas un vain mot : Merci !
Soyez assurés que je garderai de vous tous un souvenir impérissable.
Quels regrets pour moi, mes chers amis de ne pouvoir vous exprimer de vive voix, tous ce que mon cœur ressent de gratitude à votre égard.
Ce qui me console et qui me réjouit, c'est que, sur cette terre française de cœur et d'âme, il y a des hommes qui sauront s'unir, pour crier à la face du monde civilisé ;
France d'abord, France avant tout.
Restons unis dans la paix, comme nous 1e fûmes dans la guerre.
C'est par le travail et par l'amour que nous comblerons les vides creusés, par elle.
Ayons le culte du souvenir, travaillons tous en chœur pour réparer nos désastres, rénover notre France immortelle, et éviter le retour de pareilles catastrophes pour le grand bien de l'humanité.
Merci encore et fraternellement à vous tous.
Marcellin ALBERT.
Bien que notre souscription soit close, nous nous faisons un vrai plaisir de publier la liste des souscripteurs que nous adresse M. Triboulet, président de. la section de Philippeville de la Confédération des vignerons algériens.
Nous remercions chaleureusement M. Triboulet de son envoi : 1.686 francs et du concours qu'il nous apporté, et nous exprimons notre vive gratitude à tous les souscripteurs de sa section.
Confédération des Vignerons des Trois Départements Algériens, (Section de Philippeville)
Liste de souscription ouverte en faveur de MARCELLIN Albert, le Rédempteur de la vigne qui est dans le dénuement absolu
M. Triboulet, St-Antoine …………………………………………………………………...50 "
M. Parenty, Philippeville ………………………………………………………………..…100 "
M. François Philippeville…………………………………………………………………....25 "
M. L. Attard, Philippeville………………………………………………………………....100 "
M. L. Augier, Damrémont.......................................................................50 "
M. J.Rosello, Phillppeville ………………………………………………………………....25 "
M. J. Touzet Philippeville…………………………………………………………………...25 "
M. Boghéro, Valée …………………………………………………………………………..10 "
M. J. Degand, Valée....... ………………………………………………………………….20 "
M. Belle, Bayard…………………………………………………………………………......30 "
M. M. Boccanfuso, Béni-Melck………………………………………………………….…20 "
M. M. Schellimberg, Philippeville………………………………………………………...25 "
M. E. OEttly, Philippeville………………………………………………………………….... 5 "
M. Godard, Philippeville……………………………………………………………………....6 "
M. Duplessy, père, Damrémont…………………………………………………………….5 "
M. Duplessy, fils, Damrémont...................................................................5 "
M. Tricot …………………………………………………………………………………........40 "
M. D'Argence, Philippeville …………………………………………………………….…100 "
M. L. Nielli, Valée …………………………………………………………………………....20 "
Héritiers Nielli. Valée …………………………………………………………………….....50 "
M. Millot, Valée ……………………………………………………………………………......5 "
M. Bouchony, Philippeville ……………………………………………………………..…100 "
M. de Gassart, Philippeville……………………………………………………………….100 "
MM.S.Grima et F.Grima, Philippeville………………………………………………....500 "
M. Lauzat G., Philippeville………...............................................................50 "
M. Gallard, Philippeville.........................................................................100 "
Héritiers Guide, Valée ………………………………………………………………..…….100 "
M. Nielli G., Philippeville ……………………………………………………………....…….20 "
Total ……………………………………………………………………………………........1.686 "
L'envoi de Monsieur Triboulet porte donc à 25.774 fr. le total des sommes recueillies par les Annales.
20 août 1920
Petit Billet
Ingratitude ou Simple Indifférence
Le dernier numéro du Parlementaire commente en ces termes plutôt vifs les résultats de la souscription ouverte par les Annales Africaines, en faveur de Marcellin Albert.
Pour MARCELLIN Albert
Lorsque notre excellent confrère, Ernest Mallebay, eut l'idée généreuse de venir en aide à Marcellin Albert, malade et ruiné, il nous dit :
- Si tous les colons algériens, que le vigneron d'Argelliers a sauvés, de la misère, attribuaient seulement un sou par hectolitre de vin de leur dernière récolte à la souscription que je vais ouvrir dans les Annales Africaines, le Rédempteur deviendrait, à son tour, un nouveau riche. Je ne leur en demande pas tant : qu'ils lui assurent une vieillesse exempte du souci du lendemain et je leur en serai reconnaissant.
Croyant bien connaître la mentalité lamentable, des répugnants profiteurs, que sont les bistrouillards algériens, nous lui répondîmes :
- Nous ne voulons pas être prophètes de malheur, mais, nous serions fort étonnés d'apprendre que les " Confédérés " à la Dromigny et leurs dignes congénères répondissent à votre appel. Ces mercantis, que la loi sur les bénéfices de guerre n'atteint pas, dépensent sans compter lorsqu'il est question de leurs plaisirs et de la satisfaction de leurs vanités, mais des qu'il s'agit de soulager une infortune, ils rendent des points à Harpagon. Ces gens-là ont un douro à la place du coeur.
Nous ne pensions pas être si bon prophète. L'Algérie possède plus de trente mille colons qui, pour, les trois quarts, seraient restés les " marécageux " de jadis et traîneraient encore l'espadrille, si Marcellin, Albert n'avait accompli son acte courageux. Or, voulez-vous savoir combien, parmi eux, ont entendu le cri de pitié de Mallebay ? A peine cinq cents, qui ont versé, au total, à la souscription ouverte par les Annales Africaines (qui vient d'être .close). : 57.443 francs !...
Les 34,500 et quelques autres vinassiers, dont le Dromigny, le "mauvais riche ", est le prototype, dorés jusqu'au jabot, réservent, leurs écus pour se pavaner, en France et en Suisse et glousser dans les casinos des villes, d'eaux.
Usons de la formule consacrée : Tout commentaire nous paraît superflu.
Tout commentaire nous paraît superflu!... Notre confrère nous en permettra cependant un, très bref.
Son virulent réquisitoire, que nous avons reproduit intégralement, malgré cette virulence, pourrait laisser supposer que M. Mallebay est déçu autant qu'indigné par le résultat de la souscription en faveur du Rédempteur. Il n'en est rien. Sans doute, nous aurions été ravis que ce résultat eût été en rapport avec l'immensité du service rendu à la viticulture nationale par Marcellin Albert ; Mais il n'est pas tout de même à dédaigner et les 60.000 fr. (c'est, en effet, à cette somme qu'est montée la souscription) reçus par le modeste vigneron d'Argelliers mettent pour toujours cet excellent homme à l'abri de la misère.
De plus, il reste acquis que s'il y a parmi les colons qui sont restés sourds à notre appel, beaucoup d'égoïstes " qui ont un douro à la place du cœur " il en existe - les cinq ou six cents souscripteurs figurant sur nos listes le prouvent amplement - il en existe qui sont équitables et humains. La générosité des uns paye la rançon de la ladrerie des autres.
Et puis, chez l'immense majorité de ces 29.500 colons, qui n'ont pas répondu, ce mutisme signifie-t-il avarice ou simplement apathie se traduisant par paresse d'écrire ?
Nous le saurons dans quelques semaines, quand se seront mis en action les membres de l'Association des Voyageurs de Commerce, dont le distingué président, M. Eudeline, nous a promis le précieux concours pour aller chez les colons leur demander la souscription qu'ils n'ont pas encore envoyée.
Gageons que bien peu d'entre eux la refuseront.
JAVELINE.
10 septembre 1920
Chez Marcellin Albert
En quittant la forêt aux odeurs balsamiques et la fraîche plage de St-Trojan, je m'étais promis de faire sur la route du retour, une petit crochet, de Narbonne à Argelliers, pour aller embrasser Marcellin Albert et lui porter le salut des Algériens reconnaissants. Je le lui avais écrit ; il m'en avait témoigné une joie profonde en m'annonçant que, malgré son état maladif, qui lui rendait pénible le moindre déplacement, il serait à Narbonne pour me recevoir.
Tandis que roulait vers la riche cité méridionale le train archi-plein où je n'avais pu me faufiler et demeurer qu'en me tenant, avec beaucoup d'autres, debout dans un couloir encombré de valises, et de sacs à mains, j'essayais de me représenter celui que j'allais revoir après dix ans de séparation. L'âge, la maladie et bien des déboires, l'avaient sans doute durement éprouvé. Allais-je seulement le reconnaître ! Mais le train entre en gare dans la vieille cité que Victor-Hugo a magnifiquement chantée dans un de ses plus beaux poèmes : Aymerillot et au milieu de l'affluence qui se presse sur le quai d'arrivée, je reconnais tout de suite le vigneron d'Argelliers qui regarde anxieusement tous les descendants des wagons.
Le train est si long, les arrivants si nombreux qu'il ne m'a pas vu. Je suis à ses côtés, sans qu'il se doute de ma présence.
Moi je le regarde avidement.
Il est tout vêtu de noir ; sous les ailes de ce chapeau demi-gibus que les Algériens connaissent aussi bien que les méridionaux et que les journaux ont popularisé, le visage brun aux traits accentués encadrés d'une barbe à la Carnot, est bien tel qu'autrefois, mais amaigri, émacié, avec dans les yeux gris, ces yeux étranges d'apôtre qui avaient entraîné les foules, une expression de lassitude et presque de souffrance.
Cette expression disparaît pour faire place à un véritable rayonnement lorsqu'ils rencontreront les miens, mais elle reviendra bien souvent dans les conversations que nous aurons ensemble, car cet homme a beaucoup souffert. S'il a en effet savouré les joies les plus enivrantes lorsqu'il était l'idole d'un peuple en délire, il a, par contre, mesuré le fond de l'ingratitude humaine et peut être aussi de sa bassesse et de sa cruauté.
Mais en ce moment il vient de m'apercevoir et il ne songe guère à tout cela ; les bras ouverts, le front rayonnant et comme transfiguré, il m'embrasse à plusieurs reprises avec une si chaude effusion que j'en suis tout remué. Mon émotion s'accroît quand je vois qu'il a les yeux pleins de larmes ; alors je sens les miens, se troubler et s'embuer aussi.
Nous sortons de la gare et l'omnibus nous conduit dans un grand restaurant où, tout en savourant un fin déjeuner, dont mon hôte a particulièrement soigné le menu, il me dit dans les termes les plus simples, mais, combien pénétrants,tout le réconfort que les viticulteurs algériens lui ont apporté :
- En faisant sonner pour moi l'heure des réparations, me dit-il de sa voix grave, ils m'ont rendu le goût de vivre que j'avais perdu ; à vrai dire, ils m'ont sauvé moralement aussi bien que matériellement. Qu'ils soient donc remerciés du plus profond de mon cœur reconnaissant et soyez- le aussi vous, cordial ami, qui les avez fait venir à moi !
Je réponds brièvement que la reconnaissance doit venir non pas de lui mais d'eux, Ils étaient dans la gêne ; quelques-uns dans la misère, leur angoisse voyait arriver leur ruine complète. Comme les viticulteurs de la métropole, ils ne pouvaient plus vendre, leur vin, même à vil prix et de désespoir, ils allaient arracher leurs vignes. Mais lui, le Rédempteur a surgi, il a couru sus à la fraude et une révolution économique dont le monde a retenti s'est trouvée accomplie ; ils ont été alors sauvés et enrichis. Ce qu'ils viennent de faire pour lui n'est donc que le paiement tardif d'une dette sacrée. Il est simplement dommage que tous n'aient pas participé à cette œuvre de réparation. Mais ce qu'ils n'ont pas fait hier, qui sait s'ils ne le feront pas demain ?
Marcellin Albert me dit que les mots lui manquent pour exprimer tout ce qu'il éprouve et qu'il regarde l'Algérie comme sa seconde patrie.
Après le repas, nous prenons le train pour Argelliers qui se trouve à 18 kilomètres de Narbonne. Nous sommes en pleine vendange et au cœur de la région de la vigne. Elle s'étend partout, à perte de vue, le train fait sa trouée au milieu des ceps charges de lourdes grappes. La récolte, sans donner tout ce qu'elle a promis, car la sécheresse persistante a empêché le raisin de gonfler, la récolte dis-je s'annonce belle dans tout le midi. Mauvaise affaire pour l'Algérie qui vend mal son vin lorsqu'il y a pléthore en France.
Argelliers est à 3 kilomètres de la petite gare. Le tramway qui nous y conduit file à bonne allure au milieu de la plaine d'émeraude où la route blanche s'allonge comme un ruban d'argent. Le village apparaît dans un bouquet de platanes et d'oliviers ; les maisons sont d'aspect cossu toutes coiffées de tuiles rousses solidement bâties en pierre. Quelques-unes sont à deux et même trois étages. Ce village semble être plutôt une petite ville avec des remparts moyen-âge, encore en bon, état et de ci de là, des tours carrées. L'église aux murs épais est coiffée d'un clocher trapu.
Au plus aigu de la crise, lorsque tout le midi bouillonnait comme une cuve en fermentation, Marcellin Albert aidé de ses amis, put s'y cacher pendant que les policiers venus de Paris enfonçaient à leurs coups de hache les portes closes de sa demeure.
La maison de l'Apôtre est située au bord de la promenade, placette oblongue, ombragée de platanes avec une douzaine de bancs à dossier où les vieux et les vieilles du village viennent chauffer leurs rhumatismes au soleil d'hiver et chercher un peu d'ombre quand celui d'été tape trop dur. Cette vieille maison aux pièces très vastes où jadis la jeunesse venait danser, car un grand café s'y était installé, a pour dépendance sur le même alignement, une petite pièce dont la façade porte cette simple inscription en lettres noires :
DEFENSE VITICOLE
Comité d'initiative
Bureau
Ce bureau simplement meublé d'une table et de chaises avec, sur les murs, les ardents appels des communes et des comités et dans les angles, des amas de journaux et de brochures, paraît singulièrement impressionnant quand on songe que le formidable mouvement qui sans la sagesse de celui qui l'avait déchaîné, aurait pu se transformer en une sanglante boucherie, partit de là. Pendant des semaines et des mois, ce bureau, grand comme un mouchoir de poche, et où s'écrasaient les secrétaires de Marcellin Albert, fut le pôle qui aimantait tous les espoirs des innombrables cohortes des gueux du Midi.
Je lis et vivement intéressé, je copie quelques passages d'un de ces appels où certains mots sifflent comme des balles, ou d'autres saignent comme des blessures.
Qui nous sommes
Nous sommes ceux qui travaillent et qui n'ont pas le sou. Nous sommes les proprios décavés ou ruinés, les ouvriers sans travail ou peu s'en faut ; les commerçants dans la purée ou aux abois.
Nous sommes ceux qui crèvent de faim.
Nous sommes, ceux qui sont endettés ; les uns jusqu'au cou, les autres par-dessus la tête, tous ceux qui paient mal et tous ceux qui ne paient plus. Nous sommes ceux qui ont encore quelque crédit, ceux qui n'en ont guère et ceux qui n'en ont plus.
Nous sommes ceux qui crèvent de faim.
Nous sommes ceux qui aiment la République, ceux qui la détestent et ceux qui s'en foutent ; nous sommes ceux qui sont ses adversaires ou ses défenseurs ; radicaux ou conservateurs, modérés ou syndicalistes, socialistes ou réactionnaires ; mais nous avons un ventre et
Nous sommes ceux qui crèvent de faim.
Nous sommes des miséreux, des miséreux qui ont femmes et enfants et qui ne peuvent pas vivre de l'air du temps ; nous sommes ceux qui ont des vignes au soleil et des outils au bout des bras ; ceux qui veulent manger en travaillant et qui ont droit à la vie.
Nous sommes ceux qui ne veulent plus crever de faim !
Cette affiche, explosion de désespoir et de révolte, sorte de hurle des entrailles affamées ; fut apposée dans toutes les communes des trois départements qui vivaient de la vigne et parut dans le vaillant journal le Tocsin qui sonnait le glas dans toutes les campagnes.
Mais nous sommes loin de ces temps de poudre et d'orage. La faim qui hantait tant de demeures a été chassée de tous les seuils par Marcellin Albert et quoique depuis ce matin, le tambour de ville ait annoncé que le prix du pain est porté de 21 à 26 sous le kilog, à Argelliers, comme dans toute la France du reste, tout le monde dans ce riche village a de quoi se payer sa miche.
Les vendangeurs qui, depuis lundi matin, ont commencé à entasser les grappes dans les comportes, gagnent 19 francs par jour et trois litres de vin ; les femmes 10 francs et deux litres de vin. Malgré ces copieux salaires, le propriétaire du vignoble est dans la joie, car le vin qui, au moment où Marcellin Albert commença sa campagne ne trouvait pas preneur à vingt sous l'hecto ; on cite des vignerons, qui le vendirent dix-huit sous, vous entendez bien dix-huit sous, un hectolitre de vin. Il le vend aujourd'hui de 70 à 80 francs l'hecto et l'an dernier, il l'a vendu jusqu'à 120.
J'ai passé dans la vieille maison de Marcellin Albert trois jours de délicieuse intimité. Nous ne sortions guère, car si, au-dehors, le soleil versait lumière aveuglante et lourde chaleur, la maison ombragée de platanes et les persiennes à demi-fermées, était fraîche à souhait. Avec Marcellin, sa fidèle compagne, aujourd'hui presque octogénaire et qui a constamment aidé son mari à me gâter et la jeune servante qui soigne avec beaucoup de dévouement, les deux vieillards nous formions comme Robinson suisse dans son île, une petite colonie de parfaite intimité, accentuée encore par une antique petite chienne qui fixait constamment sur le Rédempteur des yeux de tendresse et quatre chats sautant familièrement sur nos genoux et ronronnant aussitôt qu'on les caressait.
Marcellin Albert me parlait de cette voix grave, accentuée, et d'une si parfaite résonance, que lorsqu'elle retentissait dans le silence solennel des grands meetings de Perpignan, de Nîmes ou de Montpellier, les syllabes volaient sur cette mer humaine et étaient entendues par des milliers et des milliers d'auditeurs haletants et enivrés.
Il me racontait combien il avait eu de mal à allumer la petite flamme qui allait devenir un vaste incendie ; il disait sa foi d'apôtre, ses pèlerinages dans les communes avoisinantes où, le sac sur le dos et le bâton à la main, il allait pour essayer de galvaniser les indifférents et animer les incrédules de sa propre conviction.
Bien peu l'écoutaient ; le succès paraissait chimérique ; chacun se résignait à sa misère qui, pourtant, devenait chaque jour plus préoccupante. C'est la pointe aiguë de cette misère qui fut le meilleur, auxiliaire du sonneur de glas. Bientôt, les gens d'Argelliers se groupèrent autour de lui. Ce fut le bataillon sacré qui, formant boule de neige, allait voir venir vers lui accourues des plaines les plus lointaines ou descendus des montagnes, l'immense multitude des gueux.
(La fin au prochain numéro).
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Ernest MALLEBAY
20 septembre 1920
Chez Marcellin Albert
II
Un jour sous la conduite de Marcellin Albert les gars d'Argelliers partent pour Narbonne. Tambour et clairon en tête ils vont à la sous-préfecture ; Ferroul, maire de la ville qui devait exploiter au profit de son ambition la popularité de l'agitateur et plus tard le trahir, se trouvait là lorsqu'arriva le cortège. Une foule curieuse suivait et Ferroul de s'écrier dédaigneusement :
- Ah ! Cela ne m'étonne pas ; ce sont ces fous d'Argelliers conduits par cet imbécile de Marcellin Albert.
Mais quelques semaines plus tard, quand il vit à Lézignan, derrière Marcellin Albert 25.000 de ces fous, il changea d'attitude et au meeting de Narbonne l'ondoyant mais avisé politicien, ayant flairé le vent, prononça solennellement ces paroles :
- Je vous apporte notre adhésion et je salue les infatigables promoteurs de cet admirable mouvement populaire ou vibre toute l'âme du pays viticole.
Le meeting de Narbonne suit celui de Lézignan. Les cohortes des gueux s'étalent si bien grossies que Marcellin Albert put s'écrier :
- J'ai promis un jour à Ferroul qu'il y aurait ici cent mille hommes, les voilà.
A Béziers il y eut 15O.OOO manifestants ; à Perpignan 200.000 ; à Carcassonne 250.000 ; à. Nimes la multitude des protestataires fut plus formidable encore.
C'est là, que Marcellin Albert prononça cette courte harangue qui dans sa simplicité atteint les sommets de la plus pathétique éloquence :
A la grande et belle cité nimoise, j'apporte ici le salut chaleureux et reconnaissant des 250 mille gueux qui sont venus étaler dans ces murs le spectacle de leur misère et de leur énergie.
Hier à Carcassonne, aujourd'hui à Nimes, ce sont les deux ailes de notre armée pacifique mais résolue qui s'est établie aux deux confins extrêmes du Languedoc, des rives de la Garonne jusqu'à la mer, des Pyrénées jusqu'aux cimes alpines.
C'est le peuple douloureux et misérable de vignerons qui s'est levé pour clamer sa défaite pour se prémunir contre la faim.
La foule paysanne a quitté ses demeures. Elle est descendue sur la place publique. Elle s'est assemblée dans la cité latine. Elle est venue crier à ses frères de France : " Nous sommes malheureux ! Nous sommes misérables ! Nous sommes malheureux ! Nous sommes misérables ! Nous n'avons plus de pain dans nos maisons ! " Et c'est pour l'attester, citoyens, que vous êtes venus du fond de nos villages.
L'écho de vos plaintes est parvenu jusqu'aux bords de la Seine. Nous espérons encore que votre voix a été entendue. Il faut que les sacrifiés d'hier soient les satisfaits de demain, et si nos appels plaintifs et douloureux na sont pas compris, la voix plus male des désespérés aura d'autres accents pour se faire entendre.
Que dire du splendide meeting de Montpellier où les gueux accourus de partout se trouvèrent, huit cent mille.
Il n'y a pas de précédent dans l'histoire. Les yeux de l'Apôtre flambent à l'évocation du spectacle inouï de cette mer humaine que Fournel décrit ainsi dans son ouvrage Au pays des gueux, et je suis moi-même tout remué en l'écoutant.
" Dans l'atmosphère lumineuse d'une journée de juin, dans les sonorités prolongées de milliers et de milliers de clairons et les roulement continus d'une multitude de tambours dans le cliquetis de cinquante mille drapeaux ondulant sur plus de huit cent mille têtes sous le féérique pavois tricolore des boulevards, sous les inscriptions des .blanches banderoles qui jettent dans l'air leur salut de bienvenue dans l'harmonie des hommes et des choses, Marcellin Albert s'avance, pâle, le sourire figé par l'émotion, le chapeau à la main.
Son escorte d'honneur Ie défend contre l'enthousiasme débordant de la marée humaine. Les étudiants forment une muraille de chair autour de lui, le séparant de son état-major de gueux d'Argelliers...
" Le regard d'Albert que sollicitent à la fois tant d'êtres et tant d'objets se fixe soudain sur le sommet du Palais de Justice dont la majestueuse colonnade s'érige comme le colossal piédestal du large drapeau tricolore qui flotte, là-haut au gré des vents. Toutes les fenêtres du Palais sont pavoisées, comme est pavoisé la cité entière. "
Mais je m'aperçois que le passé me fait oublier le présent ; si je laissais entraînerai, je feuilleterais pour vous en dire l'essentiel, toutes les pages de cette merveilleuse histoire. Devant me borner, je me contenterai de vous dire que si elle se termina pour les viticulteurs de la France et de l'Algérie par l'aurore d'une ère de prospérité sans pareille et qui dure encore, elle eût pour Marcellin Albert le plus lamentable dénouement.
Je lui demande la raison du revirement populaire qui se manifesta contre lui et qui fut tellement accentué que les enthousiastes de la veille, brisant l'idole qu'ils avaient hissée sur le pavois, furent les indifférents puis les hostiles du lendemain.
- C'est Ferroul, dit-il, qui fut cause de tout.
Cette phrase de Marcellin Albert résume les insinuations perfides, les attaques sournoises, toute la campagne de méchanceté du maire de Narbonne et de son clan. Le grand mouvement populaire qui secoua tout le Midi devint pour ces gens-là prompts à exploiter, une 'source d'honneurs et de profits, tandis que celui qui l'avait déchaîné n'en retira que l'outrage et la calomnie.
Fut-ce manque d'habileté de sa part ou égoïsme de la leur ? Le vigneron d'Argelliers négligea-t-il de se présenter à la table ou Ferroul et les siens s'étaient installés ; où, s'il s'y présenta, refusèrent-ils de le recevoir ? Rien de tout cela.
Marcellin Albert aurait eu sa part du festin s'il l'avait revendiquée, mais il dédaigna d'y paraître ; ce dédain froissa les banqueteurs, puis les exaspéra car il soulignait leur avidité.
Comme Cincinnatus reprit sa charrue après avoir sauvé Rome, Marcellin Albert après avoir sauvé la viticulture française, avait très simplement repris la pioche du paysan et s'était remis à cultiver son petit vignoble.
Ce bel exemple d'abnégation et de désintéressement aurait dû lui valoir de la part des habitants d'Argelliers un redoublement d'affection et d'estime ; mais l'esprit des campagnes est ainsi fait qu'on n'y apprécié que le succès monnayé. Marcellin Albert sortant pauvre de ce mouvement où tous ses compagnons avaient trouvé à moissonner mandats électoraux et prébendes gouvernementales, devait passer à leurs yeux pour un maladroit et pour tout dire, un imbécile, ainsi que l'avait qualifié Ferroul.
Par une contradiction qui ne manquait pas de comique, ceux qui raillaient le plus sa maladresse et son inaptitude à tirer les marrons du feu l'avaient flétri de l'épithète de "vendu", quand traqué par la police et étant allé se livrer à Clemenceau, il avait, ne possédant pas un maravédis en poche, accepté du ministre un billet de cent francs pour prendre son ticket de chemin de fer.
On sait que, arrivé à Argelliers, il s'était hâté de renvoyer ces cent francs à Clemenceau ; on sait aussi qu'il n'avait nullement fait mystère de ce prêt, en rendant compte à ses amis de son entre-vue avec le Président du Conseil.
N'importe ! il avait accepté de l'argent du Pouvoir ; pour ces purs, c'était une indélébile flétrissures et il était définitivement étiqueté : vendu.
Vendu, Marcellin Albert et vendu pour cent francs !
Tout ce que j'ai appris de cet homme fabuleusement désintéressé, tout ce que j'ai vu de sa vie modeste, tout ce que, à son contact, j'ai deviné de son caractère à l'antique, me donne la conviction qu'aucune somme, si importante fût-elle n'aurait eu raison de son incorruptibilité.
Si, aujourd'hui il est touché jusqu'aux larmes de ce que les Algériens viennent de faire pour lui, c'est moins par l'importance du secours qu'ils lui ont envoyé que par l'attestation solennelle qu'il est bien lui, Marcellin Albert, le sauveur du vignoble de la France et de l'Algérie.
Et maintenant, en regard de cette misérable somme de cent francs, pour laquelle selon quelques intransigeants d'Argelliers, l'Apôtre aurait abdiqué son indépendance et son honneur, en regard de ces cent francs, mettez les dizaines, les centaines de millions, mettez les milliards qui depuis 1907 sont tombés dans les coffres des viticulteurs, grâce à sa grandiose autant que bienfaisante campagne.
Car il ne peut y avoir là aucune équivoque possible, aucune divergence d'opinions ; tout le monde est d'accord sur ce point : si le petit vigneron n'était surgi à son heure, miraculeusement suscité par une Providence tutélaire, la principale source de la richesse nationale aurait été anéantie et d'immenses régions qui comptent aujourd'hui parmi les plus prospères et les plus riches de la France, auraient sombré dans la misère et peut-être dans une révolution sanglante.
Je songe à tout cela, pendant les heures tranquilles que je viens de vivre dans la demeure de Marcellin Albert.
Comme il est encore tout affaibli de la rude attaque de grippe qui a failli l'emporter et que la moindre marche l'essouffle, nous ne sortons guère. Installés, tantôt dans la grande salle fraîche avec le cercle des bêtes familières, tantôt sur le pas de la porte ombragée par les platanes du mail, nous devisons de la France et de l'Algérie.
Marcellin Albert me dit des choses toujours intéressantes, sensées, émouvantes parfois ; il me les dit de cette voix sonore, bien timbrée qui découpe les mots comme des médailles et qui fait de cet homme sans grande instruction, enfant du peuple des campagnes et qui n'a pour ainsi dire jamais quitté son village, un orateur de tout premier ordre.
Quand sonna l'heure du départ et que j'eus dit adieu à toute sa maisonnée, il tint à monter avec moi dans le breack qui nous emporta vers la petite gare qui se trouve à trois kilomètres d'Argelliers. Il y avait fait placer, avec beaucoup de précautions, une caisse dont il me recommanda le contenu. C'étaient dix bouteilles vénérables du vin de sa vigne ; la poussière couvrant ces flacons avait plus d'un quart de siècle.
Je fus attendri mais un peu fâché en devinant que mon hôte s'était privé de ce rare et précieux élixir qui, lorsqu'il le boit, doit lui paraître du sang transfusé et je lui en fis l'amical reproche.
II me ferma la bouche en m'embrassant car nous étions arrivés à destination et la porte du wagon dans lequel j'allais monter était déjà ouverte.
Nous nous dîmes adieu. Je poussai un soupir en voyant qu'il était grave et triste comme je l'étais moi-même. Ce que nous n'osions pas nous dire, nous le devinions, car la même pensée nous hantait et nous lisions mutuellement dans nos coeurs.
Nous sommes au déclin tous les deux ; la vie nous a été rude et nous sommes las. Nous voici à l'âge où l'on aime non plus à courir les chemins, mais à s'asseoir sur le talus de la route ; aussi est-il probable que nous ne nous reverrons plus.
S'il en doit être ainsi, adieu Marcellin Albert ! Je garderai le souvenir de ton hospitalité si digne et si généreuse. Je garderai surtout celui de ton émouvante personnalité car tu es un spécimen d'humanité comme je les aime, avec une âme ardente, un caractère sans alliage et un cœur simple et bon comme celui d'un enfant.
Ernest MALLEBAY.
Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France