Marcellin Albert


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Les Annales Africaines 1919-1923

Marcellin ALBERT

Les Annales Africaines - 1919 - 1923


20 août 1919

On va venir en aide à Marcellin Albert

Le "Petit Billet " que dans l'avant-dernier numéro des Annales ; j'ai adressé à M. Dromigny, président de la Confédération des Agriculteurs du département d'Alger a valu à notre direction une lettre de Marcellin Albert et une réponse deM. Dromigny. Voici d'abord la lettre de l'humble viticulteur d'Argelliers dont la grêle vient d'anéantir la récolte.

Mon cher Mallebay,

En lisant votre lettre adressée au Gouverneur général, votre protestation justifiée et celle non moins touchante à M. Dromigny, j'ai versé des larmes. Larmes de joie ou de tristesse ? Je n'en sais rien, mon cher ami ; tout ce que je puis vous dire, c'est que vous avez soulagé mon cœur .ulcéré par tant de malheurs. Merci !
J'ai appris que M. Dromigny était en train de grouper les viticulteurs algérois pour la défense de leurs intérêts ; il réussira sûrement dans cette belle œuvre ; mais là où il ne réussira pas, c'est quand il voudra faire quoi que ce soit pour moi ; mes ennemis sauront bien l'en empêcher. Voulez-vous savoir de quoi ils sont capables ?
Ecoutez
Ici Marcellin Albert nous donne deux exemples de l'inconcevable hostilité qu'il rencontra dans les milieux gouvernementaux, hostilité qui aboutit à l'ostracisme dont fut frappé l'apôtre et on peut dire, le sauveur de la viticulture française. Il continue ainsi :
"Voilà pourquoi, mon cher Mallebay, les promesses qu'on me fit et votre lettre au Gouverneur qui les rappela restèrent lettre morte ; voilà pourquoi je resterai persécuté jusqu'à ma mort par la jalousie, par la haine et par la politique.
Si je souffre cher ami, ce n'est pas pour moi, c'est pour les êtres qui me sont chers ; mais j'ai au moins le réconfort d'avoir vu ceux-là mêmes qui, en 1907 voulaient me pendre ou me brûler vif parce que j'avais eu un entretien avec Clemenceau venir tous me tendre la main.
Je termine en vous remerciant encore et de tout mon cœur de ce que vous avez tenté de faire pour moi."
Marcellin ALBERT..

Cette lettre, si triste et si découragée montre que notre directeur avait été bien inspiré en adressant son appel à M. Dromigny en faveur de cette victime de la jalousie et de l'ingratitude.
Cet appel a été entendu et il était impossible qu'il ne le fût pas pour qui connaît M, Dromigny porte-paroles des petits colons algériens comme Marcellin Albert fut celui des foules paysannes du Midi de la France. Voici en effet la lettre que .M. Mallebay a reçue de lui et qui, paraissant aussi dans La Voix des Colons, organe de la confédération des agriculteurs du département d'Alger est, de la part de M. Dromigny, un engagement d'honneur d'entreprendre l'œuvre de réparation et de reconnaissance en faveur de Marcellin Albert.

7 août 1919.
Monsieur Mallebay ;
Directeur des Annales Africaines,
ALGER

Cher Monsieur Mallebay,

Nous avons été très touchés mes collègues et moi, de la bonne pensée que vous avez eue à l'égard de Marcellin Albert, et que vous voulez bien mettre sous l'égide de la Confédération des Agriculteurs du Département d'Alger.
Le malheur qui vient de frapper l'apôtre de la viticulture française sera certainement ressenti par les vignerons algériens qu'il a sauvés de la misère.
Nous nous joignons à vous pour le généreux appel à lancer en faveur de Marcellin Albert, en vous priant toutefois d'attendre le retour de France de nos viticulteurs et aussi la fin des vendanges.
Recevez, cher Monsieur Mallebay, l'assurance de nos sentiments les meilleurs.

DROMIGNY.

Le Président de la Confédération des Agriculteurs a eu raison d'ajourner à la fin du mois prochain l'appel pressant qu'il compte adresser à ses adhérents. Beaucoup qui sont en France en ce moment, seront rentrés fin septembre ; pour d'autres, très nombreux, les travaux des vendanges seront terminés. Tout concourra alors à assurer le succès d'une belle œuvre qui sera, nous n'en doutons pas, une éclatante manifestation de la reconnaissance de vignerons algériens à l'égard de celui qui les a sortis de la pauvreté et qui y est lui-même resté.

JAVELINE.

10 avril 1921

Une lettre de Marcellin Albert

Marcellin Albert, dont nous étions sans nouvelles depuis quelque temps nous a écrit ces jours derniers. Nous ne résistons pas au plaisir de publier sa lettre, encore que ce plaisir soit mêlé pour nous d'une tristesse que les innombrables amis algériens du Rédempteur éprouveront comme nous quand ils sauront que la maladie hante toujours la petite maison d'Argelliers,
Du moins le spectre de la misère si généreusement écarté d'elle par les Algériens, ne vient-il plus ajouter ses terreurs aux infirmités de la vieillesse ; et c'est le souvenir de cette manifestation de sympathie qui nous engage à communiquer à nos lecteurs quelques passages de la lettre de Marcellin Albert.

Mon cher Mallebay,

" Depuis que vous nous avez quittés, nous ne sommes sortis de la maison que les jours où le soleil radieux de la liberté pouvait réchauffer et ranimer nos cœurs endoloris par la souffrance physique.
" Vos occupations et votre travail ? Je ne devais pas attirer votre attention ; il me fallait attendre un moment d'accalmie pour vous entretenir de l'état de notre santé et vous transmettre mon opinion sur l'état actuel de notre situation politique et économique de la France d'hier et celle d'aujourd'hui.
" La crise que nous traversons, je l'avais prévue. La guerre mondiale a tout bouleversé. II faut reconstruire la société sur des bases nouvelles et pour obtenir un résultat tangible et conserver dans le monde notre place prépondérante entre les nations, civilisées, tout est à refaire, ce n'est pas dans un jour qu'on peut obtenir ce résultat.
" Les chemins sont ouverts, que les hommes de cœur de tous les partis (un parti politique ne peut pas accomplir cette tache.), que les intellectuels, que les hommes prédestinés à rendre des services à leur pays s'unissent et la France, pays de liberté et flambeau du monde, retrouvera sa place au milieu, des ruinés morales et matérielles, créées par la guerre et suivra sa route pour le grand bien de l'humanité.
" Si les coupables de la guerre ne sont pas punis comme ils le méritent c'en est fait de la justice. Les peuples ne comprendront jamais que la justice existe pour tous.
" Venir à Alger ? Hélas, je ne le puis. Je le voudrais pourtant. Mais à l'impossible nul n'est tenu.
" Je le voudrais surtout pour assister au développement de l'œuvre que j'ai créée : l'union de tous les viticulteurs et agriculteurs de France et d'Algérie.
" Dans un mois, tous les corps constitués de la viticulture seront réunis dans la capitale de l'Algérie. J'y suis pour quelque chose, c'est mon rêve le plus cher qui se réalise. "

Oui, " dans un mois, tous les corps constitués de la viticulture seront réunis à Alger. En 1910, les Chambres d'agriculture d'Alger et d'Oran et avec elles tous les vignerons algériens promirent à Marcellin Albert, la présidence d'honneur de la confédération. Il l'attend encore.
Une occasion unique va se présenter aux colons et viticulteurs, sauvés de la ruine par Marcellin Albert de réparer cet oubli : qu'ils joignent au nom du président d'honneur de leur réunion prochaine, celui du vigneron d'Argelliers. Ce sera justice et il ne leur en coûtera guère.
Mais quel réconfort, pour celui qui vieillit là-bas, loin des foules, après les avoir menées à la lutte pour le salut du vignoble national !

14 décembre 1922

Un Souvenir pour Marcellin Albert

L'Anniversaire de sa Mort. - La France oublieuse.
L'Algérie reconnaissante. - La Famille de l'Apôtre.
Un buste pour qu'on se souvienne de lui.

A l'occasion de l'anniversaire de la mort de Marcellin Albert, un de ses admirateurs algériens nous demande de rappeler son souvenir aux lecteurs des " Annales Africaines " parmi lesquels il comptait tant d'amis.
Est-il besoin, en effet, de rappeler que c'est ce journal qui prit l'initiative de l'appel aux viticulteurs en faveur du Rédempteur tombé dans la détresse et que cet appel produisit un tel mouvement de solidarité en faveur de Marcellin Albert que grâce aux sommes recueillies en quelques semaines, il se trouva définitivement à l'abri du besoin.
Nous remercions notre correspondant ; mais nous lui affirmons que, même s'il ne nous avait pas écrit, nous, aurions à l' occasion de l'anniversaire de sa mort parlé de l'Apôtre en attestant une fois de plus le caractère bienfaisant de son œuvre retentissante.
Ce rappel était du reste inutile pour beaucoup d'Algériens ; jamais ils n'oublieront le vigneron d'Argelliers si noble de cœur et de caractère et d'un désintéressement que nul n'a surpassé. C'est qu'ils se sont depuis longtemps rendus compte que l'ardente croisade dont il fut l'initiateur, soutenue par les foules paysannes accourues à sa voix de dix départements, sauva la viticulture française et algérienne en péril de mort.
Marcellin Albert tenu à l'écart et calomnié au lendemain de la victoire par les malins et les intrigants que son honnêteté gênait, ne retira qu'ingratitude de la part des viticulteurs de la métropole ; mais ceux d'Algérie ont, payé la dette de reconnaissance méconnue par eux.
Cette réparation arriva malheureusement trop tard pour que ce brave homme pût en jouir bien longtemps.
Sa santé profondément altérée par ses souffrances imméritées, par l'oubli dédaigneux dans lequel on le laissait, ne pût être complètement rétablie par la joie, immense cependant de l'éclatante réparation qui lui était venue de ses amis algériens.
1l lui dut au moins de mourir l'esprit apaisé et le cœur content. Il s'éteignit avec la sérénité d'un sage ayant sur les lèvres des paroles d'affection pour ceux qui l'avaient aimé et de pardon pour les ingrats qui l'avaient si injustement, méconnu.
Sa femme, la bonne Marceline restait seule à près de 80 ans dans la maison familiale d'Argelliers. C'est alors que le frère de l'Apôtre, son fils Etienne et sa femme fixés à. Oran depuis de très nombreuses années, n'hésitèrent pas à vendre un grand café qu'ils possédaient au boulevard Malakoff, pour venir avec leur fillette, se fixer auprès de la bonne vieille qu'ils entourent depuis lors d'affection et de soins.
Aujourd'hui, ils vivent tous en famille ; le père et le neveu cultivent le petit bien où, pendant près d'un demi-siècle se dépensa le labeur de celui qui, tout humble qu'il était, devait sauver du désespoir des centaines de milliers d'êtres humains en faisant renaître l'abondance dans des régions où il n'y avait que misère et désolation par la faute des fraudeurs impunis, dont la bistrouille avait, sur la table des consommateurs, remplacé le pur jus de la. vigne.
Ces Oranais, ainsi revenus au pays d'origine, n'oublient, pas cependant l'Algérie. Ils nous écrivent qu'elle leur tient au cœur par des fibres secrètes que rien ne brisera. Nous ne sommes pas surpris de cette fidélité dans le souvenir ; la terre algérienne, si décevante parfois, est une grande enjôleuse, mieux, encore, une ensorceleuse ainsi que l'a qualifiée le poète qui l'a si bien chantée, Charles-Marie Lefebre.
Sur cette terre dont Marcellin Albert a exalté et peut-être sauvé la principale ressource aux heures sombres où elle paraissait irrémédiablement perdue, car les vignerons désespérés commençaient l'arrachage de leurs vignes, ne pourrait-on lui élever un modeste monument, un buste, par exemple ?
Il se dresserait dans un de ces heureux villages devenus grâce à la culture de la ligne de florissantes petites villes : St-Cloud, l'Arba, Aïn-Bessem, Rouïba, Damielle, que l'arbre de Noé a enrichis et qu'il enrichira plus encore, car il ne tarira jamais le fleuve de vin que le labeur des colons algériens fait chaque année sortir des entrailles de leur sol.
Combien de grands hommes en toc ont les honneurs du bronze ou du marbre, qui ne l'ont pas mérité autant que le petit vigneron d'Argelliers !

LA COTINIERE.

4 janvier 1923

Pour Marcellin Albert

Nous avons reçu cette lettre de M. Et. Albert, neveu du sauveur de la viticulture française :

Cher Monsieur Mallebay,

C'est avec une réelle émotion que j'ai lu et relu l'article que vous avez consacré dans les Annales du 14 décembre, à la mémoire de notre regretté Marcellin Albert.
Une grippe malencontreuse a seule retardé ma réponse et mes remerciements sincères, car vous êtes, cher Monsieur Mallebay, le seul qui ayez pensé au disparu ; oui, dans le désert de la reconnaissance une seule voix s'est fait entendre, la vôtre. Nous en sommes, toute ma famille et moi, profondément touchés.
Nous étions péniblement affectés de voir avec quelle indifférence et avec quelle ingratitude on oubliait le disparu. Votre émouvant article nous a tous réconfortés.
Comme vous le prévoyiez, comme je le sentais moi-même, Marcellin Albert a été volontairement oublié ; égoïsme, petites jalousies de village, tout s'est coalisé pour empêcher une manifestation quelconque. Pas une fleur, pas un mot. Dans certains cas, le silence et l'abstention sont pires que l'outrage. La rancune de ceux qu'il a servis l'a poursuivi jusque dans la tombe. De tous ces paysans dont il a fait l'aisance, de tous ces appointés de la C.G.V. qui lui doivent leur situation, aucun n'a pensé à lui ou du moins n'a voulu y penser.
Je sais bien que son œuvre désintéressée est un reproche à leurs bas calculs de lucre, ils ont prétendu se partager seuls le bénéfice de la victoire.
Ils auraient dû songer cependant que quinze ans auparavant, tous les jours Marcellin Albert, avait de ses faibles moyens défendu la viticulture ; que son effort fût considérable et qu'en somme ils n'ont eu qu'à cueillir un fruit que lui seul avait fait mûrir.
Mais ce serait de la reconnaissance, et de ces cœurs secs et avares il ne faut attendre que l'outrage.
C'en est assez ! Trop de dégoût gonfle mon coeur, je ne leur en veux pas. Je les plains.
Une consolation nous reste à toute la famille, c'est, cher Monsieur Mallebay, de penser à vous qui, avez si bien défendu la juste cause et la mémoire de Marcellin, à vous qui l'avez relevé moralement et sauvé de la misère, à tous les braves colons de l'Algérie, à tous ces cœurs généreux qui, émus par vos appels pressants en faveur de l'Apôtre ont, par leur obole, contribué à le mettre à l'abri du besoin, et à lui procurer dans sa vieillesse le bien-être qu'il méritait.
A vous tous, merci, merci de tout coeur.

Etienne ALBERT.
vigneron à Argelliers (Aude).

Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France



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