LAMORICIÈRE
Création
A l’Est de Tlemcen, à environ une trentaine de kilomètres, se trouvaient des terrains fertiles dont l’intendance avait eu depuis longtemps à utiliser les ressources. Il s’agissait de terrains dépendant de la tribu des Ouled-Mimoun.
Le village des Ouled Mimoun fut créé à proximité des ruines romaines d’Adjar Roum, l’ancienne Altava. M. le Préfet Majorel avait, dans un de ses rapports, indiqué à l’Administration le parti que l’on pourrait tirer des terrains de ce cercle.
« Le cercle des Ouled Mimoun a une superficie de 2.100 hectares. La presque totalité des terrains est arrosable et une prairie fertile couvre 850 hectares environ. On paraît pouvoir affecter 1.000 hectares à la création d’un centre européen de 130 feux, dont chaque famille aurait droit en moyenne à 15 hectares. On conserverait 200 hectares à titre de terre domaniales et communales, et le surplus pourrait être alloti pour être vendu aux enchères publiques » (1).
Tel était le projet que l’on avait étudié dès 1855, et qui fut suivi bientôt d’une réalisation effective.
Ce territoire assez vaste jouissait d’une situation exceptionnelle grâce aux eaux de l’Isser supérieur qui l’arrosait en grande partie et permettait l’exploitation de prairies naturelles dont les produits étaient, chaque année, utilisés par l’Intendance militaire pour l’alimentation en fourrages des troupes de Tlemcen. Depuis longtemps, ces prairies des Ouled Mimoun étaient affermées par l’Administration militaire à l’adjudicataire des fournitures de fourrages pour la Subdivision.
Il y avait là une réserve considérable qui permettait à ces adjudicataires de fournir facilement la quantité nécessaire à l’Intendance.
La sécurité du pays étant revenue, on considéra que ces prairies pouvaient constituer des terrains tout à fait propres à la colonisation, et le 17 février 1855, le territoire des Ouled Mimoun fut remis, par les Domaines, au Général Commandant la Division d’Oran, à l’effet d’en préparer la colonisation.
A cette époque, les prairies des Ouled Mimoun étaient affermées à deux négociants d’Oran. MM. Manégat et Garavini. Ceux-ci, qui avaient une grosse situation financière et qui avaient pu apprécier l’excellence des terres qui leur étaient louées, demandèrent, puisque la remise à l’autorité militaire indiquait la possibilité d’une colonisation, la concession de 2.029 hectares, dans lesquels ils se proposaient d’établir un village (2).
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(1) Rapport Majorel, 1854, Archives Départementales.
(2) Lettre de MM. Manégat et Garavini au Général Commandant la Division d’Oran. 1er novembre 1855. Arch. Départ.
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MM. Manégat et Garavini demandaient cette concession en s’engageant à faire des travaux de colonisation et de construction jusqu’à une somme de 40.000 francs environ.
Avec cette somme, ils prenaient à charge de concourir à l’édification du village des Ouled Mimoun et devaient en particulier assurer la construction des portes, de l’enceinte défensive, ainsi qu’une fontaine avec lavoir, une église et établir la clôture du cimetière.
Conformément aux règles régissant la matière, la demande de MM. Manégat et Garavini fut soumise à l’appréciation du Conseil du Gouvernement. Celui-ci se réunit le 12 avril 1856, et examina la demande qui avait été portée devant lui.
Avant de donner son avis sur cette pétition, un des membres du Conseil fut chargé, comme d’habitude, de présenter un rapport détaillé sur la demande et de donner son avis sur l’opportunité qu’il y avait ou non à y donner satisfaction. Ce fut M. de Lourmel qui rapporta la question.
Il fit, à la demande de MM. Manégat et Garavini, un certain nombre d’objections. Ces Messieurs, en effet, proposaient de céder partie de la concession qui leur serait donnée à des particuliers, en s’obligeant cependant à cultiver en prairie toute la partie du territoire susceptible d’alimenter en fourrages l’Administration militaire.
Cette partie ne devait pas être détournée de cette destination et seule l’Intendance pouvait disposer de cette culture, en indiquant, chaque année, l’étendue qui lui paraissait nécessaire pour assurer la fourniture du fourrage dont elle avait besoin.
Dans ce cas, l’étendue à réserver en prairies devait être réduite proportionnellement, suivant les indications de l’Intendance. C’était au mois de février de chaque année que l’Intendance devait indiquer la superficie qui lui paraissait nécessaire de réserver. Il était prévu, dans le projet présenté par les pétitionnaires, que l’on devait entretenir sur les terrains concédés, 1.000 têtes de bétail de race bovine, susceptibles de fournir la viande nécessaire à l’Intendance. Ce troupeau devait être tenu à la disposition de l’Administration militaire, qui devait payer les bêtes qu’elle prendrait, suivant le prix de la mercuriale pratiquée sur le marché de Tlemcen.
Le village à bâtir par les concessionnaires devait comprendre 40 maisons et chaque colon devait recevoir 20 hectares de terre.
Toutes ces constructions devaient être faites dans le délai de cinq ans, après lequel le terrain deviendrait la propriété exclusive de MM. Manégat et Garavini, moyennant une redevance de un franc par an et par hectare, ainsi que cela était pratiqué pour la concession des différents terrains domaniaux.
M. de Lourmel, Inspecteur de la Colonisation, fit ressortir les inconvénients que présentaient ces propositions.
L’impossibilité, en effet, de mettre en culture les terrains comme bon semblerait aux concessionnaires, puisque, sauf avis contraire de l’Administration militaire, ils devaient rester en prairies, faisait peser une sorte de servitude sur l’immeuble concédé. Il n’était pas possible aux concessionnaires de faire sur leurs terres les travaux qui leur paraitraient opportuns et de cultiver les cultures qui leur sembleraient les plus conformes à la nature du sol et aux conditions climatiques de la région, et les plus rémunératrices.
D’autre part, cette servitude imposée à la totalité de la terre paraissait à M. de Lourmel rendre impossible toute idée de transmission et de partage, et, pour toutes raisons, le rapporteur ne pensait pas que la proposition de MM. Manégat et Garavini fut susceptible d’être retenue.
De deux choses l’une, concluait le rapport, ou l’Administration de la Guerre a besoin de la prairie et de la fourniture de fourrages, et, dans ce cas, il était beaucoup plus simple de continuer à suivre les anciens errements et de l’affermer aux adjudicataires des fournitures militaires, ou bien, ce fourrage ne paraissait plus indispensable à l’Intendance, puisqu’elle avait la possibilité de s’en procurer ailleurs, et, dans ces conditions, point n’était besoin d’imposer des restrictions aussi sévères et des servitudes aussi gênantes aux futurs concessionnaires. M. de Lourmel concluait qu’il convenait, par conséquent, de renvoyer le projet pour un complément d’études et de renseignements (1).
Ce complément de renseignements ne parut pas, d’ailleurs, au Ministre de la Guerre, susceptible de permettre d’accueillir la demande des pétitionnaires. Le Ministre de la Guerre fit remarquer, d’autre part, que la proposition faite par MM. Manégat et Garavini constituait incontestablement une excellente affaire pour eux, mais que celle-ci se présentait comme beaucoup moins avantageuse pour l’Administration. Celle-ci avait la possibilité, sans nul doute, d’opérer l’établissement d’un village de colonisation aux Ouled Mimoun, sans passer par les exigences qu’avaient exposées les pétitionnaires dans leur demande de concession. « Les prairies des Ouled Mimoun sont depuis longtemps affermées au soumissionnaire des fournitures de fourrages nécessaires à la garnison de Tlemcen, et elles sont l’objet d’améliorations constantes en vue de ce service. La dernière adjudication, passée en 1850, permet même de penser que des bâtiments d’exploitation y avaient été construits. Dans tous les cas, le sol est d’une très grande valeur, car les 2.029 hectares qu’il s’agit de concéder à MM. Manégat et Garavini, rapportent actuellement aux Domaines, un revenu de 29.069 francs par an ; la proposition faite n’offrirait qu’un rapport annuel de 2.029 francs et seulement dans cinq ans ; il imposerait en outre à l’Administration, pour l’exécution des travaux qui
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(1) Rapport de Lourmel, 1855, Arch. Départ.
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étaient laissés à sa charge, une dépense évaluée à 20.000 francs » (1).
Après avoir construit le village, MM. Manégat et Garavini seraient devenus propriétaires d’une étendue de 1.029 hectares, produisant actuellement un revenu de 12.269 francs, soit donc un capital de 162.690 francs, pour une dépense de 63.790 francs. Ils auraient donc ainsi un bénéfice de 100.000 francs, ce qui paraît exagéré (2).
Agrandissement
Il sembla donc, dans ces conditions, au Ministre de la guerre, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la proposition qui lui avait été transmise et qui s ‘avérait véritablement trop désavantageuse pour le Trésor. L’excellence des terres permettait, au contraire, d’envisager la création par l’Etat d’un village de colonisation qui permettrait beaucoup mieux de mettre en valeur les terrains en question. « Les prairies des Ouled Mimoun sont donc particulièrement indiquées pour faire partie des territoires qui doivent être vendus par voie d’adjudication publique ».
Cependant, l’excellence de la position des Ouled Mimoun devait conduire l’Administration à reprendre pour son compte ce projet de création du village à cet endroit.
« L’importance de ce point, marqué par les ruines d’une colonie romaine et par des établissements musulmans, indiquait que, depuis fort longtemps, un établissement humain s’était trouvé établi à cet endroit et permettait de penser qu’il se présentait dans des conditions tout à fait favorables à la culture et à l’habitation humaine. Les eaux de la Kasbah, qui étaient à peu près de la même température que celles d’Hennaya (19°), assuraient une alimentation en eau susceptible d’approvisionner une colonie importante.
Quelques années après, voici comment les affiches qui annonçaient un agrandissement du centre des Ouled Mimoun, laissaient valoir les avantages que cet emplacement présentait : « Les fourrages y sont en quelque sorte la production normale, grâce à l’abondance des eaux, qui permettent d’arroser la plupart des lots mis en vente. Les irrigations permettront de faire un tiers pendant la période d’hier et 1/7e pendant la période d’été.
« Il existe à proximité, des bois pour les usages domestiques ; c’est là enfin que l’on trouve les magnifiques loupes de thuya, si recherchées aujourd’hui pour l’ébénisterie. Placé sur la route de Bel-Abbès à Tlemcen, qui n’est pas encore construite, ce centre se développera très vite, dès qu’une communication facile lui permettra d’écouler ses produits. La contrée est fertile et salubre ; la vigne, le figuier et l’olivier y prospèrent ; la culture du tabac peut y être pratiquée de façon avantageuse, concurremment avec celle des céréales et de l’élevage » (3).
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(1) Ministre de la Guerre au Gouverneur Général, 13 mai 1856. Arch. Départ.
(2) Ministre de la Guerre au Gouverneur Général, 23 mai 1856. Arch. Départ.
(3) Affiche de la vente du 31 octobre 1862. Archives Départementales.
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Dans ces conditions, l’Administration prit la décision de créer aux Ouled Mimoun un centre colonisation. Le 13 octobre 1858, parut le décret de création du village qui devait comprendre 50 feux, et auquel une superficie de 1.051 ha 78 ares était, pour le moment affectée. On prévoyait également un crédit provisoire de 8.000 francs pour permettre de faire les premiers levés du terrain et les premières opérations de mesurage et de piquetage. Le 22 octobre 1858, sans perdre de temps par conséquent, quatre compagnies du 72e régiment d’infanterie, en garnison à Tlemcen, étaient acheminées vers les Ouled Mimoun, pour être employées au tracé du village et au nivellement (1).
Les plans du village et de l’enceinte fortifiée furent établis par M. le géomètre du Service topographique, en résidence à Tlemcen, qui fut chargé d’aller sur place, délimiter les différents emplacements qui devaient être affectés aux bâtiments administratifs, ainsi que les lots d’habitation qui devaient être donnés aux futurs concessionnaires.
On s’aperçoit cependant, lorsqu’il s’agit de traduire sur le terrain les plans qui avaient été établis, que l’emplacement choisi n’était pas absolument tel qu’il était apparu au début. Il fallut, en particulier, modifier le plan du village, établi tout d’abord sous une forme carrée, mais dont les côtés Nord-Sud dépassaient sensiblement la largeur du plateau sur lequel on avait projeté d’établir le village. Il fallut étirer ce village en une forme rectangulaire, pour permettre l’établissement de la population tel qu’il Avit été indiqué dans l’arrêté de création. On eut également la velléité de modifier quelque peu l’emplacement primitivement choisi ; la route de Bel-Abbès à Tlemcen n’existait pas encore, mais on estima, lorsque les projets de celle-ci furent établis, qu’il y avait intérêt et avantage pour le futur village à se trouver à proximité de cette route, qui devait servir, dans les deux sens, de débouché aux Ouled Mimoun.
« La grande route de Bel-Abbès à Tlemcen, qui autrefois devait passer loin du village, par le caravansérail de Mechera R’teb, doit maintenant passer par le plateau de Hadjar Roum et traverser l’Isser au Gué des cascades. Si ce tracé doit s’exécuter, le village tel qu’il est placé dans le projet, serait éloigné de la route d’environ 1.600 mètres. Il serait préférable de rapprocher le village de la route et on pourrait trouver un emplacement à 300 mètres plus près de la route.
« D’autre part, cet emplacement serait également plus près des terrains qui doivent fournir les moellons et plus près enfin du plateau sur lequel, le cas échéant, on pourrait établir une organisation défensive, pour permettre de résister à une incursion des bandes de pillards.
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(1) Ministre de la Guerre au Général de Division d’Oran, 22 octobre 1858. Arch. Départementales.
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Cependant, ces suggestions ne furent pas retenues par la Commission Consultative, qui émit l’avis de maintenir l’emplacement au lieu où il avait été primitivement fixé. On pourrait peut-être, suggéra-t-elle, essayer de rapprocher la route de Tlemcen à Bel-Abbès, pour la faire passer aux Ouled Mimoun.
Au surplus, ajoutait cette Commission Consultative, sans d’ailleurs se rendre très bien compte, probablement de l’importance qu’avait, pour le futur village, l’établissement des voies de communications, la route de Bel-Abbès à Tlemcen ne servirait guère au commerce, celui-ci ne devant pas se faire beaucoup, entre chacune de ces villes, mais ayant, au contraire, une direction tout autre du côté de la mer (1).
Premiers colons
L’emplacement du village restait donc là où il avait été fixé, et avec les modifications indiquées plus haut en ce qui concernait la forme. Les travaux d’urbanisme commencèrent aussitôt et, au mois d’octobre 1859, les premiers colons pouvaient être établis dans l’intérieur du village.
Voici la liste de ces premiers colons concessionnaires :