RECENSION
Du général (2S) Maurice Faivre, le 14 juillet 2017
Roger Vétillard. « Français d’Algérie et Algériens avant 1962. Témoignages croisés ».
Ed. Hémisphères. 2017. 175 pages, 15 photos, bibliographie synthétique, 15 euros.
Médecin-universitaire né à Sétif, Roger Vétillard poursuit ses recherches, toujours approfondies, sur l’histoire de l’Algérie;
« Il a le mérite et le talent de corriger les préjugés des nationalistes, des anticolonialistes et des coopérants des années 70.
Aux 114 témoignages de Français et d’Algériens, recueillis par Nicole Lenzini du CDHA, il ajoute ses relations personnelles, des extraits de la thèse du psychanalyste Denis Kremer, et les citations de 30 historiens et personnalités indiscutables.
La plupart démentent qu’il y ait eu un apartheid entre les Français d’Algérie et les Algériens.
Pour Harbi les occasions d’échanges, de contact et de connivences étaient banales dans les villes.
Selon Ferhat Abbas, les Français d’Algérie étaient un maillon qui rattachait notre pays à la civilisation et à la technique française.
La romancière gauchisante Plantagenêt reconnaît que les Algériens ont reçu l’Algérie française en héritage.
Pour Germaine Tillion, le pied-noir comprend mieux les musulmans que beaucoup de Français dits libéraux.
Beaucoup d’Algériens, conclut Boualem Sansal, regrettent le départ des Pieds-noirs.
Ces liens de coexistence et souvent de fraternité, sont confirmés par les témoins des deux communautés.
Ils se nouent à l’école primaire, où la scolarisation des musulmans a atteint 75% de la classe d’âge; nombreux sont les Algériens qui expriment leur admiration pour leur institutrice.
Ils se poursuivent dans les équipes sportives, et en 1939-1945 dans le régiment, considéré comme une famille.
Dans le bled, on se souvient de la participation aux fêtes religieuses, de la garde alternée des enfants, du service affectueux des nounous, du dévouement des employés, de la tristesse ressentie lors des décès.
Les conflits syndicaux étaient souvent communs; les médecins européens étaient appréciés.
Lors de la guerre d’Algérie, nombreux sont les Algériens qui ont sauvé la vie (sic) de Français; réciproquement des Français ont protégé leurs amis musulmans.
Lors des visites de rapatriés en Algérie, les retrouvailles donnent l'occasion de renouveler la fraternisation du 13 mai, et de rappeler les souvenirs de la vie en commun. « Bienvenue dans votre pays » est l’expression consacrée.
C’est donc une coexistence sans hostilité qui a marqué la présence française en Algérie, qui selon Jacqueline Astier-Faure est concrétisée par le mimétisme du langage, de la cuisine, des superstitions, du respect des croyances et des mentalités.
La nostalgérie existe dans les deux communautés.
La cohabitation était sans doute plus fraternelle dans les villes moyennes et les villages que dans les grandes villes; il y a des faits ordinaires, par exemple la maison Braguaira à Sétif, où cohabitaient 8 familles dont 3 musulmanes.
De nombreux témoignages suscitent l’émotion; certains sont extraordinaires, comme la rencontre à Madrid en janvier 1967, de Mohamed Khidder et du colonel Broizat; la veille de son assassinat, le chef FLN promet une aide financière, sans doute titrée du magot du FLN, à un ennemi de l’OAS réduit à la misère.
Nombreux sont les Algériens interrogés qui remettent en cause la version officielle de l’histoire, l’arabisation ratée, et l’idéologie du FLN.
En conclusion l’auteur décrit une réalité complexe, plus riche qu’on ne l’imagine, où deux communautés
différentes se côtoient et s’acceptent.
Le devoir de mémoire est accompli par l'auteur, une mémoire traumatique recomposée par la psychanalyse ».