Bruat prit aussitôt la haute mer pour changer d'air et donner à ses équipages du mouvement et de la distraction ; pour soutenir le moral de ses marins, il ordonna à la musique de jouer deux fois par jour sur le pont et organisa des représentations théâtrales. Malgré ses efforts, cent-vingt hommes du Montebello succombèrent en quelques jours.
Quand le fléau commença à se calmer, l'escadre de Bruat rentra à Balchick pour s'occuper de la descente en Crimée dont il avait fait adopter le projet.
Le débarquement des 30.000 hommes du corps expéditionnaire se fit dans un ordre parfait et dans les délais prévus. Le 20 septembre, l'armée franco-anglaise gravissait les falaises du plateau de l'Aima où s'étaient établis les Russes. La flotte observait les opérations, quand elle s'aperçut du recul de la division Bosquet. Bruat fit ouvrir le feu de son escadre et contribua largement au succès de la journée. Il prit encore une large part aux opérations devant Sébastopol où il donna maintes fois de nouvelles preuves de sa bravoure légendaire. Ayant à exécuter des reconnaissances de la place, il montait le soir dans un canot, en compagnie de l'un de ses aides de camp et se dirigeait à force de rames vers l'entrée du port pour mesurer les distances et exécuter des sondages.
Les deux escadres de Bruat et d'Hamelin, réunies à la flotte anglaise, eurent à coopérer au bombardement du 17 octobre. Elles se mirent en mouvement sur plusieurs lignes dont l'une avait pour chef de file le Montebello, arrivé le premier sous le canon des forts. Bruat, sur sa dunette, sa longuevue à la main, était entouré de son état-major, quand une pluie de projectiles vint s'abattre autour de lui; plusieurs secousses ébranlent le vaisseau, un obus traverse la dunette sous les pieds de l'amiral et une canonnade, bien dirigée, frappe la mâture et les flancs du navire. L'amiral fait jeter l'ancre et ordonne de commencer le feu. Derrière lui, quatorze bâtiments français et dix anglais viennent s'embosser et entrent dans la bataille.
Un peu plus tard, dans la tempête du 14 novembre qui est restée fameuse, l'amiral se conduisit avec l'intrépidité d'un aspirant qui a son chemin à faire. Il était à terre, revenant du quartier général d'Eupatoria, quand l'ouragan se déchaîna. Il voulut, malgré l'état de la mer, regagner son bord immédiatement et s'embarqua sur un canot. Le vent était déjà furieux et la mer n'était plus tenable. Il ordonne de voguer toujours au large, quoique des vagues violentes l'assaillent à tous moments.
On le croyait perdu ; il arrive enfin auprès du Montebello, que les flots agitaient comme un fétu. Le souvenir en est resté célèbre dans la marine, car ce fut comme par miracle que l'accostage par l'arrière réussit, alors que le vent se précipitait à une vitesse de vingt-cinq mètres à la seconde.
Le mois suivant, Hamelin était élevé au rang d'amiral et rappelé en France pour prendre le portefeuille de la Marine. Le 23 décembre, Bruat était nommé commandant en chef des deux escadres françaises, réunies en une seule.
Sa santé était sérieusement atteinte avant de partir pour l'Orient et il souffrait de la goutte. Avec une énergie surhumaine, il arrivait à surmonter ses douleurs et sa faiblesse pour achever l'oeuvre commencée dans une entente loyale avec la marine anglaise, son ancienne rivale. L'amiral Lyons, qui passait pour l'héritier de Nelson, professait pour lui une estime réciproque qui se doubla rapidement d'affection. Pendant le rigoureux hiver, Bruat assuma la tâche écrasante du ravitaillement des 100.000 hommes campés sur les plateaux dénudés et sans ressources de la Crimée.
Pour donner l'exemple, il payait de sa personne, visitant les blessés et ses canonniers qu'il avait prêtés à l'armée de terre. Les vétérans de cette guerre déjà lointaine se souvenaient avec respect l'avoir vu, monté sur un vieux cheval très doux, portant sa casquette de mer à longue visière et à larges bords, vêtu d'une redingote d'uniforme sans insignes, le pantalon relevé, avec des chaussons de lisière et des gants de filoselle; il traversait ainsi les camps et les hommes ne riaient pas de cet accoutrement sous lequel battait le cœur d'un héros qui les aimait.
Bruat s'était persuadé que le seul moyen de terminer un siège qui n'avançait pas, était de couper les lignes de communication des Russes. D'accord avec Lyons, il préféra un plan d'occupation de Kertsch et réussit à le faire adopter par les généraux en chef Canrobert et Raglan. Les instructions venues des Tuileries en retardaient l'exécution et provoquaient le remplacement de Canrobert par Pélissier, que Bruat, dans son enfance, avait connu à Colmar. Pélissier, reprenant l'idée des deux amiraux, en confia l'exécution à Bruat. La prise d'Iénikalé, la destruction des approvisionnements et des fortifications russes de Taganrok et d'Iénikalé, opérées par la marine française, facilitèrent l'attaque décisive de Sébastopol. L'attaque fut fixée au 8 septembre; dès le 5, l'artillerie avait ouvert ses feux contre la place, mais l'état de la mer ne permit pas à la flotte de coopérer à la bataille.
La prise de la ville n'amenait pas la paix et il fallait penser à une nouvelle entreprise. Bruat fit connaître au ministre que la prise du fort de Kinburn, qui gardait la citadelle de Nicolaïeff était «la seule chose qui se pût et se dût tenter en ce moment. Nous aurons ainsi, lui écrivit-il, une base d'opération pour la campagne prochaine, et un gage important si nous voulons traiter de la paix.»
L'exécution de cette vaste opération lui fut confiée et sa flotte, forte de quatre-vingt navires, enleva de vive force la citadelle ennemie. Sur sa proposition, une garnison française fut établie à Kinburn la 17 septembre pour que ce point pût servir de base de départ au printemps.
La prise de Kinburn fut le dernier combat de Bruat. Le 15 septembre, l'Empereur lui avait donné le bâton d'amiral et l'avait rappelé à Paris avec ordre de ramener les régiments les plus éprouvés. Le 7 novembre, il fit ses adieux à ses marins et fit voile vers la France où l'attendait une réception triomphale. Le 27, le Moniteur publiait cette nouvelle inattendue :
«Vaisseau Le Montebello, 20 novembre. L'amiral Bruat a succombé hier, à trois heures de l'après-midi, à une attaque de choléra; l'état sanitaire de l'escadre était excellent.»
Il ajoutait : «La France tout entière s'associera au deuil de la marine, car elle perd l'un des hommes qui ont le plus illustré son pavillon sur différents points du globe».
Au jour de son décès, Bruat réunissait quarante-quatre ans de services, dont trente et un à la mer.
Interprète de la reconnaissance publique pour une existence si noblement consacrée au service de la patrie, l'Empereur ordonna que le service funèbre fût célébré à l'église des Invalides. Après ses obsèques nationales, célébrées aux frais de l'Etat, les restes de l'amiral furent transportés au cimetière du Père-Lachaise.
Lors de la naissance du Prince impérial, sa veuve fut nommée gouvernante des enfants de France et ce fut elle qui porta l'héritier de l'Empire le jour de son baptême à Notre-Dame.
La ville natale de Bruat avait voulu lui décerner, lors de son élévation à l'amiralat, un témoignage de son affectueuse admiration; elle avait fait ciseler pour lui un sabre d'honneur que la délégation colmarienne ne put remettre que sur son cercueil.
Elle lui a élevé un monument majestueux, dû au ciseau d'un autre de ses enfants, Bartholdi. Inauguré le Il août 1864, en présence de la famille de l'amiral, parmi laquelle on comptait deux futurs amiraux, Emile Bruat et Alfred Conrad, ses neveux, il perpétue le souvenir du grand marin qui fait honneur à l'Alsace et qui fut un des précurseurs de la grande épopée algérienne.
 

Félix SCHAEDELIN.
 
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
Ce portrait met en lumière un caractère bien alsacien qui apparente de très près Bruat à ses compatriotes de la République et de l'Empire : Kléber, Lefebvre et Rapp.
Le 1er novembre 1840, Bruat recevait l'ordre de ramener l'Iéna et de prendre le commandement du vaisseau Triton, faisant partie d'une nouvelle division navale. Peu de jours après, Lalande, qui la commandait, était élu député du Morbihan et était remplacé par un des plus fameux vétérans de la marine impériale, le contre-amiral Hugon. L'escadre venait d'appareiller pour le Levant où l'horizon diplomatique s'assombrissait lorsque, dans la nuit du 24 au 25 janvier, elle fut surprise par une des plus formidables tempêtes que l'on ait jamais vues. Bruat se tint comme il put sur la route de l'amiral. Les feux étaient éteints; il persista dans cette manœuvre, faisant trente-six pouces d'eau à l'heure et ne se soutenant sur les flots qu'au moyen de cercles de cordages serrés sur les flancs du navire. Cette lutte durait depuis quinze heures lorsqu'il put recevoir par signal optique l'ordre de se conduire comme il le jugerait bon. Il gouverna sur la Sardaigne et arriva à Cagliari, où l'on considérait son bâtiment comme perdu.
Hugon demandait pour lui la rosette de la Légion d'honneur, qui lui était donnée le 28 avril.
En juin 1841, il obtenait un congé de trois mois pour prendre les eaux à Aix-en-Provence. Pendant le séjour qu'il y fit, il épousa Mlle Caroline Peytavin d'Oult, à qui l'avait présenté l'amirale de Rigny. Sa santé, qu'il n'avait jamais ménagée, se ressentait de ses campagnes et il se résigna à accepter les fonctions d'adjoint au Conseil des travaux de la Marine, où son expérience rendit les plus grands services.
La résurrection de la marine française avait éveillé dans le pays une ambition nouvelle, celle de recommencer son «expansion transatlantique». Parmi les pays d'outre mer, les îles Marquises étaient à peu près les seules à avoir échappé à l'emprise européenne. En 1842, l'amiral du Petit-Thouars y avait hardiment planté notre drapeau, mais une opposition assez vive s'était montrée à la Chambre des députés lorsqu'elle eut à approuver les crédits nécessaires à l'occupation. On craignait aussi de faire naître un conflit avec l'Angleterre.
C'est à Bruat que le gouvernement confia le soin de mener cette affaire délicate. Par décret du 8 janvier 1843, il était nommé gouverneur des îles Marquises. Le 15 août, au moment d'embarquer pour la nouvelle conquête où l'accompagnait Mme Bruat, il recevait des instructions écrites suivantes : «Le gouverneur doit exercer, et sans partage l'autorité en ce qui concerne le gouvernement des îles Marquises et le protectorat de Taïti; il a le commandement de la subdivision navale attachée à ces îles ; il est placé sous les ordres du contre-amiral Dupetit- Thouars, commandant la station navale de l'océan Pacifique. Les bateaux à vapeur, destinés à faire le service des Marquises à Taïti seront placés sous les ordres du gouverneur et ne feront pas partie de la subdivision.»
L'Angleterre commençait à se repentir de sa condescendance à notre égard. Le désaveu de Dupetit-Thouars, accordé à ses réclamations, indignait les âmes françaises, cependant que les missionnaires et les marins anglais cherchaient sur place à multiplier les difficultés. Dès l'arrivée du gouverneur à Taïti, un incident des plus graves se produisait. Le consul britannique Pritchard suggérait à la reine Pomaré une haine implacable contre les Français et travaillait à fomenter une révolte. Il espérait provoquer des actes de répression sanglante qui soulèveraient contre la France l'opinion de l'Europe. Voyant ses desseins déjoués par la patience du gouverneur et par l'apathie des indigènes, il décida la reine à se réfugier à bord d'un petit bâtiment 1 anglais resté à Taïti, le Basilik, commandé par le capitaine Hunt.« Dans le trouble d'esprit qui agite cette malheureuse femme, écrivait Hunt à Bruat, je n'ai pas osé lui refuser la protection du pavillon britannique ». Cette hypocrite pitié reçut une réponse méritée : «Du moment qu'il convenait à la reine de renoncer à la protection dont je la couvrais, vous pouviez parfaitement lui donner asile; mais la reine, à dater de ce jour, s'est interdit la faculté de rentrer à son gré dans ses Etats. Je considérerai comme un acte formel d'hostilité son débarquement sur un point quelconque des îles de la Société.»
A ce moment, l'agitation soulevée par Pritchard, commençait à se manifester. Les indigènes allaient jusqu'à refuser de vendre des aliments à nos marins. Avant de recourir à la force, Bruat voulut donner un avertissement énergique au capitaine Hunt : «Tout tend à me prouver, Monsieur, lui écrivait-il, que votre bâtiment est non plus un lieu d'asile, mais un centre d'où partent les intrigues qui mettent en danger la tranquillité de l'île. Je vous en préviens à temps pour que vous n'ayez pas à vous reprocher plus tard les châtiments qui pourraient être encourus par les malheureux qu'on pousse à la rébellion, et je vous en préviens officiellement afin que nos deux gouvernements puissent juger en connaissance de cause de nos deux conduites respectives.»
Ce langage était dur et peu diplomatique. Bruat risquait d'être désavoué par son gouvernement comme l'avait été Dupetit-Thouars. Pour ne pas perdre le résultat de ses efforts, il se prépara à un coup d'audace, destiné à mettre l'Europe en présence du fait accompli.
La frégate la Charte venait d'arriver à Taiti. Bruat disposait de la frégate l'Uranie, dont il avait personnellement le commandement, de la corvette l'Embuscade, de la gabarre la Meurthe, de le goélette la Clémentine et du vapeur le Phaëton.
Quand éclata le soulèvement, le gouverneur avait à Papeïti trois cent cinquante hommes et cent cinquante à Taïrabou. Impatient d'en finir, il préleva sur les équipages des navires un petit corps de quatre cent soixante marins avec lequel il se porta à l'attaque de la petite ville de Mahahena où les indigènes s'étaient solidement retranchés. Après un engagement de quatre heures, il enlevait leurs positions, mais la lutte avait été chaude et les Français comptaient dix-huit morts et cinquante- deux blessés, soit le sixième de l'effectif engagé. Ce sacrifice assurait pour quelques mois la tranquillité.
Malgré cet échec de sa politique, Pritchard ne désarmait pas et travaillait sourdement à la reprise des hostilités. Il annonçait à la reine la venue prochaine d'une force britannique et la poussait à faire un nouvel appel à l'insurrection. L'apparition de deux navires anglais, survenue en temps opportun pour lui, réveilla l'agitation. Bruat, apprenant que les rebelles se préparaient à une attaque sur Papeîti, prit le parti de les prévenir et se porta à leur rencontre. Laissant la capitale dégarnie de troupes, il leur donna la chasse et les força à se réfugier dans les montagnes. Après ce succès militaire il recourut à l'intimidation politique en faisant arrêter Pritchard, l'instigateur de tous les complots et le fit conduire à bord de l'un des navires anglais se trouvant sur rade. Pomaré, inquiète, se fit débarquer dans une île voisine. Circonvenue par les missionnaires anglais, elle refusait les offres que lui faisait le gouverneur de la ramener à Taïti où il lui assurait le plein exercice de sa souveraineté protégée par la France. Ne voulant la contraindre par la force, il l'isola en mettant le blocus devant Rareïta, où elle s'était réfugiée. Pour contrebalancer l'influence de la fugitive, il convoqua les chefs du pays et les invita à désigner un régent. Leur choix, ratifié par Bruat, était proclamé le 7 janvier 1845, et salué par des salves d'artillerie cependant que flottait pour la première fois le nouveau pavillon tahitien, écartelé du drapeau tricolore.
Presque au même moment, arrivait dans les eaux de l'île la corvette anglaise le Talbot, venue pour rendre les honneurs au pavillon du Protectorat, mais l'hommage qu'il était prêt à rendre au drapeau de la reine, il refusa de l'accorder au régent qui représentait une autorité, usurpée à ses yeux. Cette abstention était une provocation directe à la révolte. Sans perdre un instant, le gouverneur fit notifier au commandant du Talbot qu'il lui interdisait toute communication avec la terre et fit garder les abords de la corvette par des canots armés lui défendant toute tentative d'intelligence avec le pays. Le Talbot n'insista pas et reprit la route des Sandwich.
Ce geste du représentant de la France donna à réfléchir aux indigènes qui ne pouvaient plus croire à la supériorité de la puissance qui les soutenait et le calme se rétablit. Bruat en profita pour organiser sans retard l'administration des îles et la défense des positions principales. Sous sa direction, la colonisation faisait déjà de rapides progrès quand les épreuves recommencèrent et lui donnaient l'occasion d'établir notre autorité sur des bases plus solides que le bon vouloir des indigènes. La période de la conquête commençait.
Aux premiers symptômes d'agitations, le gouverneur organisa une expédition destinée à soumettre tout l'archipel. Il débarqua, avec l'Uranie, une colonne de quatre cent cinq soldats et marins; à Huahiné où s'étaient rassemblés les insurgés et avec des pertes minimes cette fois, il réduisait les résistances en plusieurs combats à Hapapé, à Papena et à Faaa.
Il était entré en fonctions le 14 octobre 1843 et, par une ordonnance royale du 17 avril 1844, il était devenu gouverneur des établissements français de l'Océanie et commissaire du Roi près de la Reine des îles de la Société. La France consacrait ainsi les éminents services du marin qui s'était révélé aussi hardi en politique que sur mer.
L'arrestation de Pritchard avait causé une vive irritation de l'Angleterre. Faisant un pénible sacrifice à la paix du monde, le gouvernement françaisreconnutdes torts qu'il n'avait pas eus, sans cependant désavouer son représentant. Le 10 août 1845, l'amiral français Hamelin et l'amiral britannique Seymour réglaient en rade de Papeïti l'indemnité accordée à Pritchard. Les deux amiraux étaient animés du même esprit de conciliation, mais Seymour avait reçu l'ordre de ne pas admettre l'extension de notre autorité sur les îles Sous le Vent. Cette déclaration, jointe à l'effet produit par le désaveu éclatant de l'arrestation de Pritchard, raviva les espoirs des indigènes et remettait en question la légalité de notre protectorat.
Hamelin avait apporté à Bruat les instructions du gouvernement français : «si le calme était rétabli, il n'y avait qu'à offrir à Pomaré la restitution de sa souveraineté ; si elle refusait, un gouvernement provisoire la remplacerait, et si l'ordre était troublé, le gouverneur n'avait qu'à prendre les mesures qu'exigeaient les circonstances.»
Hamelin, confiant dans la valeur et la sagesse de Bruat, ne voulut pas lui enlever le mérite des mesures à prendre et le laissa entièrement maître de la situation.
Avisant au plus pressé, le gouverneur renforça les points les plus importants de ses territoires et se prépara à réparer, par un grand succès moral, l'atteinte qu'avait subie l'honneur national.
Le 26 mars 1846, la révolte générale éclata par une incursion des Indiens dans la capitale. Ce hardi coup de main faisait prévoir les plus graves dangers. Pendant que le gouverneur prenait ses mesures pour le salut commun, on le pressait de mettre en sûreté sa propre famille en l'envoyant sur l'un des bâtiments ancrés dans la rade. Cette précaution eût été un aveu d'inquiétude et il la jugea indigne du chef de la colonie. Ce qu'il voulait avant tout, c'était affirmer son entière confiance.
Conduits par quelques aventuriers européens, les Indiens commençaient avec méthode l'investissement de la ville, dont la situation devenait chaque jour plus critique. Bruat attendait le retour de l'Uranie pour leur infliger une leçon sanglante. Assiégé dans sa capitale et ne pouvant compter sur aucun secours, il ne pouvait se résoudre à la simple défensive; par des sorties continuelles, il infligeait à l'ennemi des pertes sérieuses. Enfin, le 16 décembre, après un blocus de plus de six mois, il confiait à son ancien compagnon de captivité en Algérie, le commandant Bonard, la mission de surprendre les rebelles par une attaque vigoureuse. Après un brillant succès près de la petite ville de Fatahua, il prenait en personne le commandement des forces françaises, se jetait sur l'ennemi et lui infligeait une défaite qui assurait définitivement la possession de l'île.
Pomaré comprit qu'elle n'avait plus à compter que sur la générosité du vainqueur.Elle lui demanda sa protection par un billet d'une naïveté inconnue dans le monde diplomatique :
«A Bruat,
Bonjour à toi.
Voici ma parole à toi. Viens toi vers moi; maintenant je suis très affligée et aussi avec beaucoup de chagrin. Aussi viens avec ton grand bateau. Ma parole est terminée.
Bonjour à toi.
Pomaré. Femme-reine.»
Le 22 janvier 1847, elle s'embarquait à bord du Phaëton et, le 7 février, elle était reçue officiellement à Taïti par le gouverneur et reconnue par lui reine des îles de la Société, sous le protectorat de la France.
Ainsi se terminait une entreprise coloniale qui, pendant trois ans, avait risqué de compromettre la paix de l'Europe.
La réussite en était due à la ténacité de Bruat. Dès le 17 octobre 1844, il avait été nommé commandeur de la Légion d'honneur; le 4 septembre 1846, il était promu contre-amiral, et l'année après, grand-officier de la Légion d'honneur.
Lorsque le fait d'armes décisif de Fatahua et la soumission de la reine furent connus en France, l'Uranie, portant le pavillon de l'amiral, cinglait vers le port de Brest où l'attendait un message lui apportant «l'expression de toute la satisfaction du Roi et du gouvernement. »
Avec une poignée de Français, isolés au bout du monde, le marin alsacien avait ajouté à notre histoire coloniale une nouvelle page de gloire et redonné au pays la confiance de sa force au delà des mers. Il s'était montré de la race des anciens découvreurs à qui nous avions dû, jadis, la possession du Canada et de la Louisiane.
Quatre années d'épreuves et de lutte avaient ébranlé sa robuste constitution; il avait dû prendre un congé de huit mois qui n'était pas terminé quand le contre-coup des journées de juin 1848 se fit sentir dans les ports. A Toulon, surtout, la situation était des plus troubles. Le gouvernement, connaissant l'énergie de Bruat, lui confia, le 17 juillet, la préfecture maritime de Toulon pour y rétablir l'ordre. Les ouvriers de l'arsenal s'étaient laissé en- traîner à l'indiscipline, au grand détriment de nos constructions et de nos armements maritimes. La fermeté de l'amiral fit rentrer les égarés dans le devoir et Toulon reprit, en quelques jours, la physionomie d'un grand chantier de travail.
Le 3 octobre, il était brusquement relevé de ses fonctions pour aller pacifier les Antilles où l'affranchissement des noirs avait provoqué des incidents sanglants. Nommé gouverneur de la Martinique et de la Guadeloupe, il s'acquittait de cette mission avec autant de succès qu'à Taïti et à Toulon. Lorsqu'il en revint, le 17 juillet 1851, l'ordre et la prospérité étaient depuis longtemps rétablis dans la riche colonie qu'il avait sagement administrée.
Le 3 février 1852, il était nommé vice-amiral et remplaçait l'amiral Hamelin à la commission mixte des Travaux publics. L'année suivante, le 27 octobre, il recevait le commandement de l'Escadre d'évolution de l'Océan, tout heureux de se retrouver à la mer et au milieu des équipages. Il préparait les bâtiments et les hommes à une guerre dans laquelle la France était près d'être entraînée.
Enfin, le 1er juillet 1854, il ralliait dans la baie de Balchik la flotte de l'amiral Hamelin qui transportait le corps expéditionnaire d'Orient en Turquie. En une seule journée, il débarquait sous les murs de Varna 9.000 hommes de la 4e division de l'armée d'Orient. A partir de ce moment, il participe à toutes les opérations de la marine, donnant partout l'exemple, au feu et aux manœuvres. L'on connaît les hésitations qui ralentirent les opérations de l'armée dans ses débuts. Bruat fut un des plus ardents partisans du débarquement en Crimée, et ce fut lui qui fut chargé, de concert avec l'amiral anglais Lyons, de faire la reconnaissance des côtes en vue de la descente et de l'attaque. Pendant l'exploration, les flottes alliées furent étonnées de voir le Montebello, sur lequel flottait le pavillon de Bruat, se détacher de l'escadre et filer droit sur l'entrée de Sébastopol. On savait l'amiral audacieux, mais personne ne pensait qu'il voulait prendre la ville à lui seul, aussi regardait- on sa manœuvre avec un intérêt croissant. Arrivé au milieu du goulet et à portée du canon des forts, le Montebello stoppa et l'on vit les officiers examiner avec soin l'intérieur du port et chercher à en relever les défenses. Puis, quand hissés dans les hunes, ils eurent pris des croquis, le gros trois-ponts vira et revint rapidement rallier l'escadre avant que les Russes n'eussent eu le temps de le canonner.
A son retour à Varna, l'escadre fut atteinte par l'épidémie du choléra qui venait d'éclater de façon foudroyante. Le 10 août le terrible fléau faisait son apparition à bord du Montebello; le lendemain, on y comptait trois cents malades ; les hommes valides pouvaient à peine suffire à les soigner.
Le vice-amiral Duperré, commandant de l'escadre lui décernait un témoignage officiel de satisfaction des plus élogieux « pour la manière dont il avait rempli ses missions devant Bône et Alger ». Bruat, dont la santé était fort éprouvée, fut rapatrié en France où l'avait précédé le récit de ses malheurs, si noblement supportés. Dès le 20 septembre, les sept députés des deux départements du Rhin, Benjamin Constant, André, de Reinach, Rudler, Saglio et Humann, demandaient la récompense due à leur glorieux compatriote. Ils écrivaient au Ministre : «Les services de M. Bruat vous sont connus. Agé de trente-trois ans, il fait depuis vingt ans partie de la marine militaire et compte dix-neuf ans de navigation. Sa conduite lors du naufrage du brick le Sylène qu'il commandait, sa fermeté dans le malheur, le patriotisme qu'il déploya jusque dans les fers en faisant parvenir des avis à l'amiral Duperré au péril de sa vie, ont excité l'admiration de la France et de l'Europe entière. M. Bruat honore l'Alsace qui le compte parmi ses enfants. Vous prier de le proposer pour le grade de capitaine de corvette, c'est donc vous demander un acte de justice.»
Dans son rapport d'ensemble sur ses opérations dans l'expédition d'Alger, l'amiral Duperré appelait également l'attention du ministre sur lui : «Il est un officier qui, par ses malheurs, a acquis bien des titres à votre intérêt et à votre bienveillance, je veux parler de M. Bruat. Ce dernier était déjà connu dans le corps comme jeune officier capable de fermeté et de vigueur. Il avait fait ses preuves à Navarin, à bord du Breslau. Dans son naufrage du Sylène sur la côte d'Alger et dans sa captivité, il en a donné de nouvelles. C'est là que, faisant entière abnégation de lui-même, il m'adressait au péril de sa vie, dans un rapport qui marquait un cœur chaud et bien français, des renseignements qui furent utiles au succès de l'expédition. Si sa position sur la liste n'admettait pas encore sa nomination au grade de capitaine de corvette, je demanderais un commandement pour lui.»
En attendant, Bruat était affecté au port de Brest où il attendit jusqu'au 16 novembre 1831 sa promotion au grade supérieur. Pour ses frais de route et de conduite dans son naufrage, où il avait perdu ses effets, ses livres et ses instruments, il se voyait allouer généreusement la somme de quatre cents francs !
Enfin, le 1er janvier 1832, il recevait le commandement du brick de vingt canons, le Palinure, appartenant à la division de Lisbonne. Le chef était le futur amiral Lalande, le brillant régénérateur de la marine française, l'une des plus belles figures de notre histoire navale. Quelques mois après, l'amiral de Rigny, qui venait de recevoir le portefeuille de la Marine, rappelait Bruat pour se l'attacher comme aide de camp. Préférant son bord à tous les salons parisiens, Bruat sollicitait son renvoi aux côtés de Lalande dont il avait subi le prestigieux ascendant. Cédant à regret à ses sollicitations, Rigny lui confiait le commandement du brick le Grenadier avec lequel il fit une nouvelle campagne de deux ans, suivie d'une autre encore à bord du brick du Conëdic, du 13 juin 1836 au Il juin 1838, toujours sous les ordres de Lalande qui lui prodiguait les plus beaux témoignages de satisfaction.
Depuis le 1er mai, Bruat avait été nommé capitaine de vaisseau et, à son retour, il s'était vu affecté à la commission d'études du matériel d'artillerie. Ce n'était pas la faveur qui l'avait fait appeler à ce poste réservé plutôt aux ingénieurs qu'aux officiers. Depuis longtemps, en effet, il s'était fait connaître par ses études sur l'armement de la flotte. En 1829, au moment où l'on venait de décider l'envoi d'une escadre devant les côtes africaines, il s'était proposé pour faire sur la ville d'Alger les essais d'un canon d'un modèle nouveau, inventé par le général Paisan. Il n'ignorait pas les dangers de cette tentative hardie, mais il s'y sentait préparé. «Je sais, disait-il dans sa requête au ministre, qu'un malheur peut arriver; alors j'observerai vos ordres quels qu'ils soient. Si vous l'ordonnez, le pavillon du Roi ne sera pas foulé. Vos paroles ont trop retenti dans nos cœurs pour que vous ne retrouviez pas des Bisson; frappez du pied, la mer en fera jaillir».
Malgré sa compétence, le plan de Bruat n'était pas dans les bureaux du ministère. Aussi lorsque Lalande, devenu contre-amiral, reçut le commandement de l'escadre de la Méditerranée, réclama-t-il pour lui le commandement du vaisseau l'Iéna sur lequel battait son pavillon. Le 21 janvier 1839, Bruat prenait possession de ce poste de choix dans lequel il accomplissait une prouesse nouvelle.
Au mois de juillet, lorsque Lalande apprit la mort du sultan Mahmoud, il résolut de courir au devant du capitaine-pacha et d'arrêter la flotte turque qui pouvait détruire celle de l'Egypte. Bruat, habitué aux manœuvres hardies de son chef, lança l'Iéna avec intrépidité au milieu de la flotte ottomane. Pendant que les malheureux officiers turcs se tiraient comme ils pouvaient de leur confusion, le vaisseau français, arrivé devant le bâtiment du capitan, s'arrêta court et le salua à coups de canon, tout frémissant de sa voilure jetée en arrière. Jamais, une manœuvre plus hardie n'avait été réalisée avec une audace plus heureuse.
Jamais, d'ailleurs, chef et lieutenant n'avaient été mieux faits pour se comprendre que Lalande et Bruat. L'amiral Jurien de la Gravière, qui avait servi sous leurs ordres, a laissé d'eux un parallèle célèbre. «L'amiral (Lalande) avait toujours été d'une santé débile; son capitaine de pavillon commençait à peine à regretter d'avoir souvent abusé de la sienne. Le premier s'était voué de bonne heure à l'étude; le second avait tout appris sans rien étudier. Il eût été difficile de concevoir un obstacle qui arrêtât l'un ou l'autre de ces deux hommes. Cependant ils ne l'eussent pas abordé de la même façon : l'amiral Lalande eût envisagé la difficulté de sang-froid; le commandant Bruat, avec cette impétuosité qui se trahissait dans tous ses mouvements, se serait probablement rué dessus. Ces deux grands caractères se trouvaient rapprochés par mainte affinité secrète; ils laissaient aussi entrevoir de nombreux points de divergence. Ce qu'ils avaient de commun, c'était avant tout une bonté symbolique qui, en fait de discipline, les rattachait à la même école. Ils se ressemblaient également par cette confiance opiniâtre, habituée à espérer contre toute espérance. Je les ai vus, tous deux, rêver de longs jours, former de lointains projets, quand déjà la main de la mort était étendue sur eux; mais si l'audace et leur courage était la même, celle de leur esprit était loin d'atteindre aux mêmes limites. L'amiral était indépendant en matière religieuse comme en matière politique. Le scepticisme du commandant Bruat n'était qu'à la surface. Au fond, il était tendre et avide de croyance; il avait le cœur naïf d'un soldat».
Du 15 mars 1821 au 14 novembre 1823, il se distinguait encore, et l'Amiral Clemendot le notait ainsi en 1822 : "Donne les plus belles espérances ; officier d'un zèle soutenu, d'une grande activité et de beaucoup d'instruction", et en 1823 : "S'occupe constamment de son instruction ; est parvenu, quoique jeune, à être bon manoeuvrier , très bonne tenue, d'un zèle infatiguable ; né militaire, il donne les plus belles espérances." C'est que Bruat était à la fois homme d'études et homme d'action.
Au retour de Terre-Neuve, il était affecté à la corvette la Diligente qui allait entreprendre un voyage de trois ans dans le Pacifique, du 15 novembre 1823 au 17 janvier 1827. Au cours de cet embarquement il se signala encore comme officier de manoeuvre lors de la capture du célèbre pirate le Quintanilla qui écumait impunément les mers et les côtes de l'Amérique du Sud. Son ancien commandant de l'Espérance, Grivel, devenu contre-amiral, avait pu le remarquer à nouveau; dès 1825, il demandait pour lui le grade de lieutenant de vaisseau. «Son éloignement seul le fait oublier», mandait-il au ministre.
Cependant, deux ans plus tard, à son retour en France, Bruat était encore enseigne. Connaissant ses mérites et ses services, les quatre députés du Haut-Rhin, Haas, Knopf, d'Anthès et le comte de Montmorin, durent rappeler au ministre les titres exceptionnels de leur compatriote qui avait « encore été oublié dans les promotions.»
Peut-être les bureaux de la Marine se souvenaient- ils du passé révolutionnaire de son père qui avait été un ardent jacobin. Ils se décidèrent cependant à lui rendre une justice assez tardive; le 5 avril 1827, il était promu lieutenant de vaisseau et recevait presque en même temps l'ordre de rejoindre le vaisseau le Breslau, pour y servir comme officier de manœuvre. Il allait bientôt montrer que sa bravoure était égale à ses autres qualités. En annonçant aux siens que la flotte dont il faisait partie appareillait pour la Grèce qui «voulait rejeter ses fers», il témoignait du même enthousiasme que son père, l'ancien représentant du Haut-Rhin, avait clamé jadis à l'Assemblée Législative et à  l'Armée du Rhin.
Le Breslau, qui battait pavillon de l'amiral de Rigny, se couvrit de gloire au combat de Navarin ; par une manœuvre aussi hardie qu'habile, il réussit à éperonner le vaisseau-amiral turcet décida ainsidu succès de cette journée mémorable. Ce glorieux fait d'armes appela l'attention de ses chefs et fit l'admiration de la flotte anglaise, notre alliée, qui assistait à la résurrection de la marine française. Dans ses rapports, l'amiral de Rigny ne négligea pas de faire ressortir le rôle de l'officier qui avait commandé la manoeuvre ; quelques jours après, il lui remettait la croix de la Légion d'honneur.
A cette récompense officielle, vint s'en ajouter une autre, tout aussi flatteuse, l'affection paternelle du grand chef comprenant tout ce que la marine pouvait attendre du jeune officier alsacien. Pour la lui manifester, il lui confiait les plus dangereuses missions sachant que dans un corps où la bravoure est de tradition, Bruat était un des plus braves. Il lui donnait ainsi l'occasion nouvelle de montrer sa valeur lors du débarquement du petit corps d'armée du général Maison, qui amena la reddition du château de Morée, le 30 octobre 1828.
La campagne terminée, Bruat revint en France; il rapportait le plan d'un nouveau bâtiment qu'il avait conçu dans ses heures de loisir et l'offrit au contre-amiral Halgan, chef du personnel de la Marine. Ce fut sur ses données que fut construit le navire de guerre le Callao.
Les préparatifs d'une expédition contre Alger étaient poussés avec vigueur. Bruat n'hésita pas à renoncer à un congé qui lui était offert pour demander à en faire partie. Le 3 mars, il écrivait à Halgan : «Surtout, amiral, veuillez songer que c'est lorsqu'on est jeune qu'il faut prendre l'habitude du commandement et de la responsabilité qui y est attachée.» L'amiral savait à qui il avait à faire et répondit à son désir. Débarqué du Breslau le 8, Bruat recevait, le 18 mars, le commandement du brick le Sylène, à bord duquel il devait se signaler encore.
Dans la nuit du 15 mai 1830, il revenait de Mahon, porteur de dépêches pour le commandant des forces du blocus, lorsqu'il rencontra près du cap Bengut le brick l'Aventure, qui faisait la surveillancede la côte. Il se mit à naviguer de conserve avec lui. La mer était démontée et il soufflait un violent vent du nord-ouest. Le lieutenant de vaisseau d'Assigny, commandant l'Aventure, était le plus ancien de grade. Egaré par une brume épaisse, son brick fit côte, entraînant derrière lui le Sylène. Les poudres mouillées étaient devenues inutilisables et l'on ne pouvait recourir à l'emploi des armes, pas plus qu'on ne devait espérer être aperçu par les navires français. Rassemblant les deux équipages, les deux officiers décidèrent de se diriger sur Alger en suivant la grève. Il était quatre heures du matin. A peine étaient-ils en route qu'ils furent attaqués par un fort parti de Bédouins. Usant de ruse, un matelot du Sylène qui parlait l'arabe, essaya de faire passer ses compagnons pour Anglais et les sauva ainsi d'une mort certaine. Revenus de leur erreur, les Bédouins les traînèrent de village en village avant de les séparer en deux colonnes, après leur avoir enlevé leurs vêtements et en leur faisant, subir les traitements les plus odieux. Bruat, se dévouant pour le salut commun demanda à être conduit devant le chef le plus proche. Emmené seul et presque nu, il fut traîné devant l'effendi, celui-ci chercha à lui arracher par la menace et la violence des révélations sur les intentions et les forces de la flotte française. Ne pouvant vaincre sa fière résistance, il commença par faire mutiler et massacrer une partie des prisonniers et le fit transférer à Alger. L'aga renouvela les menaces de torture et de mort si Bruat ne se décidait pas à parler. L'intervention charitable du Consul de Sardaigne, touché par ses malheurs le sauva du supplice et lui permit de communiquer à l'amiral Duperré un rapport détaillé des observations d'ordre militaire qu'il n'avait négligé de faire au cours de son calvaire. Il s'attendait chaque jour à être mis à mort, lorsque, le 5 juillet, la prise d'Alger vint mettre un terme à ses souffrances. Le maréchal de Bourmont vint en personne le féliciter de son attitude héroïque, qui avait imposé à ses tortionnaires le respect de l'officier de France.
Historique sur L'Amiral Armand, Joseph BRUAT
ARMAND BRUAT
AMIRAL DE FRANCE
 
L e centenaire de la conquête de l'Algérie évoque la place importante que l'Alsace a occupée dans l'histoire de l'épopée africaine. Dans la liste des cent quarante citations à l'ordre de l'Armée d'Afrique, de 1830 à 1845, cinquante-cinq concernent des Alsaciens. La prise d'Alger fut le prélude de la brillante carrière d'un jeune Colmarien dont chaque étape est un épisode glorieux de l'histoire de la marine française.
Au commencement du siècle dernier, le tribunal d'Altkirch avait pour président Joseph Bruat, de Grandvillars, qui avait été député du Haut-Rhin à l'Assemblée Législative. C'était un patriote
ardent qui avait fait ses preuves à l'armée du Rhin. Il recevait chez lui un jeune officier de marine alsacien, Chrétien de Hell, qui avait pris part à maints combats contre la flotte anglaise. Les récits du marin de l'Empire passionnaient le plus jeune fils du magistrat Armand, né à Colmar le 26 mai 1796. Dès l'âge de dix ans, il avait déclaré avec autant de solennité que d'énergie sa volonté bien arrêtée d'entrer, comme lui, dans la marine. La mort prématurée de son père, en 1807, avait ramené la famille à Grandvillars d'où le président était originaire. Dans ce morne village, où rien ne pouvait porter au goût des aventures lointaines, le jeune Armand ne cessa d'être hanté par ses rêves de voyages et de batailles. C'est ainsi qu'un soir, il donna à sa mère les plus cruelles inquiétudes : à l'heure du coucher, il avait disparu avec son frère et ses cousins à peine plus âgés que lui. On finit par découvrir, après bien des recherches, le petit groupe installé sous les arches du pont de l'Allaine, écoutant, émerveillé, les rêves du futur amiral devant les eaux de la petite rivière.
Elève du collège de Thann, puis de l'Ecole centrale de Colmar, Armand Bruat s'y fit remarquer autant par son humeur batailleuse que par ses succès scolaires que rappellent les palmarès des années 1806, 1807, 1808 et 1809. L'année suivante, sa mère prit le parti de se fixer momentanément à Paris pour qu'il puisse se préparer à la carrière qu'il avait choisie. Elle avait la satisfaction, mêlée du regret du départ d'un fils qu'elle chérissait, d'apprendre par l'amiral Denis qu'Armand était porté sur la liste de présentation des futurs élèves de l'Ecole spéciale de la Marine, approuvée par l'Empereur. Le 10 septembre 1811, elle se séparait de lui pour l'envoyer à Brest où il était admis comme élève. La séparation devait durer six ans.
Dès son arrivée, le petit Colmarien se fit remarquer, autant par son intelligence que par sa force et son adresse extraordinaires; il souleva l'admiration de ses camarades par une prouesse dont on parla longtemps à l'Ecole. Grimpé à la pomme du grand mât, on le vit se suspendre par les pieds sous la hune puis courir au bout de la corne pour y faire, les bras étendus la « renommée ». Cette audace et ce sang-froid rappelaient le jeune Ruyter bravant le vertige à la pointe du clocher de Flessingue.
Le 12 février 1815, Bruat était nommé aspirant de lre classe. Ses notes de sortie de l'Ecole disent de lui : «A toujours été des premiers classés et a occupé les fonctions de répétiteur.»
A cette époque, les permissions étaient rares dans la marine. Le jour même de sa nomination il était embarqué sur le vaisseau le Tourville. De 1815 à 1817, il servait à la mer à bord des frégates la Revanche et la Flore et du brick le Hussard qu'il quittait le 13 janvier 1817 pour aller passer son premier congé auprès des siens qu'il n'avait plus revus depuis son entrée à l'Ecole.
Elève de première classe depuis le 15 janvier 1817, il sollicitait l'autorisation de prendre part à la campagne du bâtiment destiné à faire les plans de la côte de la Nouvelle-Hollande sous le commandement de M. de Freycinet. Le comte du Plessis-Parseau, commandant de la lre Compagnie des élèves de la Marine, appuyait sa demande en des termes très élogieux et concluait : «Ce jeune homme serait très capable de contribuer au succès de l'expédition.»
Le ministre ne donnait pas suite à cette demande et, le 2 avril, Bruat embarquait sur la corvette l'Espérance qui faisait voile sur le Levant. Sa belle conduite lors de l'incendie de Smyrne lui valut d'être mis à l'ordre de la division. Les notes laconiques de ses chefs en 1818 et 1819, l'amiral de Gourdon et le commandant Grivel, font ressortir éloquemment ses mérites : «Jeune homme de la meilleure éducation et d'un zèle peu commun; son instruction théorique est complète; il est brave et généreux. »
Au retour de cette campagne de plus de deux ans, Bruat eut l'occasion de faire preuve, pour la première fois, de ses qualités exceptionnelles.
Fatiguée par sa longue croisière et n'ayant pas son pilote à bord, l'Espérance se trouvait depuis deux jours devant le port de Brest sans pouvoir pénétrer dans la rade. La mer était démontée et l'on pouvait craindre la pire catastrophe. C'est dans cette situation périlleuse que son commandant le comte Grivel, se décida à confier au jeune enseigne la difficile manœuvre de l'entrée. Bruat réalisa cette prouesse avec un sang-froid et une sûreté qui le classèrent, d'emblée, parmi les meilleurs manœuvriers de la marine française.
Au cours d'un congé passé moitié à Grand-villars, moitié à Paris, il fut présenté par son frère Antoine, alors secrétaire particulier du duc Dalberg, à ce puissant personnage fort bien en cour auprès du Roi. Il mit à profit cette utile relation pour solliciter un emploi dans l'une des expéditions maritimes projetées aux Indes ou dans les mers du Sud. Il ne put, néanmoins, obtenir que deux embarquements successifs sur les vaisseaux le Conquérant et le Foudroyant, qui faisaient de courts voyages dans les mers européennes. En décembre 1820, à peine débarqué, il était réclamé comme officier en supplément par le commandant de la corvette la Diane, le commandant de Venancourt, qui désirait l'avoir à son bord pour les observations et la marche du chronomètre à Terre-Neuve. Après un nouveau refus qu'on ne s'explique guère, le duc Dalberg finit par décider le ministre à lui accorder cette satisfaction. On voit combien Bruat recherchait toutes les occasions de servir et, par dessus tout, de servir en mer.
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Jean-Yves Thorrignac  2012