La Femme dans la Ferme
Vendredi 19 juin 1896
Nous recommandons à nos lecteurs, principalement aux familles de colons, aux jeunes cultivateurs en quête d'une compagne, l'intéressante élude, si appréciable à nos yeux, que nous leur livrons aujourd'hui sous la signature de Un Paysan. Elle dénote chez son auteur un rare talent d'observation.
Ce portrait de la fermière modèle est tracé de main de maître. On la voit marcher, guetter, ranger, appliquer ces principes d'ordre et d'économie qui conservent la fortune des campagnards nés riches, et conduisent à l'aisance ceux qui n'ont rien trouvé dans leur berceau.
Nos lectrices de tout rang, peuvent y trouver aussi d'excellents conseils dont notre plus fervent désir serait de les voir profiter :
Un vieux proverbe dit : Tant vaut l'homme tant vaut la terre. Il est parfaitement vrai. Mais il y en a un antre qui ne l'est pas moins : Tant vaut la femme tant vaut, la ferme.
La femme est l'âme de la ferme.
Si la femme est intelligente, laborieuse, économique, la ferme marchera toujours. Si elle est incapable, dépensière, paresseuse, la ferme sombrera.
Chaque jour, nous voyons des cultivateurs peu capables, d'autres toujours absents de chez eux, d'autres encore qui aiment, à s'amuser. S'ils ont la chance d'avoir pour femme une bonne ménagère, ils réussiront quand même.
Si, au contraire, le fermier est intelligent, actif, vigilant, et la femme est incapable ou paresseuse, il se ruinera, quoi qu'il fasse.
Pourquoi ?
C'est qu'il faut, dans l'intérieur d'une ferme, une surveillance, perpétuelle de chaque moment ; surveillance que l'homme ne peut exercer ou qu'il exerce incomplètement.
Une montre, quelque parfait soit son mécanisme, ne peut fonctionner sans le grand ressort.
Dans la ferme, la femme est ce grand ressort ; elle est levée la première de sa maison, simplement et proprement mise ; dès le petit matin, elle circule dans sa demeure, elle a bientôt fait le tour de la ferme va de l'intérieur à l'extérieur vivement, remet une chose en place en passant ; elle a vu tout et on a dît qu'elle avait des yeux tout autour de la tête.
Elle travaille peu de ses mains, beaucoup de ses jambes ; elle va partout, voit tout, veille à tout..
La servante est partie traire ses vaches exactement ; elle sait que la maîtresse, va la rencontrer là où elle l'attend le moins.
La cuisine est propre, le feu allumé, la batterie de cuisine à sa place, le lavoir n'est pas encombré de vaisselle restée de la veille ; le déjeuner des gens s'apprête, une visite est faite au poulailler, le nombre des oeufs est plus considérable que si elle n'y allait que plus tard ; elle sait que ses domestiques sont comme les grands chanteurs, qu'ils ne dédaignent pas les oeufs crus, probablement pour s'éclaircir la voix.
S'il y a des enfants, ils sont promptement lavés et débarbouillés ; la prière est faite, courte, mais bonne, avec une exactitude de tous les jours.
Les habits du mari et des enfants, ont été visités ; ils sont propres, pas un bouton n'y manque.
On déjeune voilà une matinée bien employée.
Tout est remis en place ; bien nettoyés les enfants sont partis à l'école.
Les chambres sont aérées, les lits faits ; la maison est balayée, elle respire le bien-être.
La laiterie est visitée ; les poules ont du grain ; en faisant la distribution, elle a vu d'un coup d'oeil que les volailles sont en même nombre que la veille.
En moins de cinq minutes, un tour est fait partout, les cochons visités, les veaux ont été soignés ; elle est rentrée à l'étable, à l'écurie, au jardin, à la boulangerie ; tout est en ordre.
Elle se repose un peu, les préparatifs du dîner se font, sous ses yeux, elle y aide quelquefois, épluche quelques légumes, montre à la servante peu expérimentée, la manière de faire son travail promptement et proprement.
Elle ressort à l'improviste et ne surprend aucun délit parce que : tout le monde sait bien que sa surveillance est de tous les instants.
Elle assiste au dîner, fait les parts de chacun, puis, elle s'occupe de l'entretien du linge. Elle ne supporte ni le bruit, ni la discussion, ni les gros mots ; sa présence et son regard suffisent pour maintenir tout ce monde dans l'ordre convenable.
La journée se passe ainsi ; le maître, en rentrant de ses travaux, éprouve un grand bien-être, une profonde satisfaction à voir sa maison bien tenue ; l'ordre règne et partout, il n'y a pas de gaspillage.
Il sort le moins possible et quand il ne peut faire autrement, parce qu'il trouve le bien-être chez lui et qu'il sait que les sorties et les voyages à la ville sont une cause de dépense qu'il doit éviter. La maison tout entière a l'air enrichie, cossue, les enfants sont propres et polis ; ils sont revenus de l'école, on leur fait apprendre leur leçon, et la prière clôt la journée.
Les jours de réunion de famille ou d'amis, la ménagère veille à sa cuisine, le repas est copieux, mais simple, les produits de la ferme y subviennent, tout est de bonne qualité, elle a tout surveillé, et même dans ses moments d'intimité, elle trouve moyen de s'absenter quelques instants pour jeter un coup d'oeil là où elle soupçonne un abus possible.
Le fermier qui a une pareille femme est toujours riche : il se plaît chez lui, il sort peu, trouve un bon conseil à la maison, ses affaires en vont mieux.
La bonne femme est toujours de bonne humeur, on est heureux auprès d'elle, elle garde longtemps ses serviteurs ; elle est heureuse elle-même, elle a été une bonne fille, une bonne femme, elle sera une bonne mère. Les garçons seront d'honnêtes cultivateurs. Les filles seront de bonnes femmes.
Passons, maintenant, mais promptement, pour peu de temps, la mauvaise ménagère, l'exception :
Paresseuse, levée tard, mal habillée, couverte de tâches, mal peignée, sa maison est malpropre, le mari et les enfants sont déchirés, sales ; et grognon, gronde et malmène ses gens elle est mécontente de tout, parce qu'elle est mécontente d'elle-même ; ses domestiques sont toujours les plus mauvais du pays.
Les dimanches et jours de fêtes, elle a une robe de soie et un beau chapeau, des bottines élégantes ; mais, sous ces belles choses, on sent qu'il y a du linge sale ou déchirés et des bas percés.
Elle lit quelquefois des romans, on en a vu qui jouaient du piano.
Que le ciel vous préserve d'une pareille créature dans vôtre maison !
Et vous, jeunes gens qui vous mariez, rappelez-vous cet autre proverbe :
"il vaut mieux que sa femme apporte sa dot petit à petit par son travail de chaque jour, que de l'apporter tout d'un coup et de la remporter chaque jour".
Un Paysan