« Né le 23/09/1899 à Sidi-Aïch (Constantine), Benèt était tout d’abord, un Administrateur civil de Communes Mixtes.
Sorte de « sous-préfet aux champs » dans des paysages grandioses, Benèt compense sa solitude sous le poids des tâches multiples et des conflits locaux par sa volonté constante de tisser des liens quasi-affectifs avec les hommes qui l’entouraient.
Doué par le dessin, c’est par ce mode d’expression qu’il transmettra son regard humoristique porté sur ses proches en prenant plaisir à les caricaturer au moyen de tous supports, du bulletin de vote au cahier de brouillon, souvent à la plume ou au crayon gras rehaussé de craie ou de fusain.
…/ Benèt cultivait aussi la douceur de l’humour pour anesthésier la douleur de l’exil, lui qui ressentait comme une souffrance personnelle le vécu des trahisons, des abandons, de la séparation d’avec sa terre natale et l’oubli implacable.
Il décède à Marseille le 03/04/1975 et lègue une partie de ses archives à l’Association Carnoux Racines.
Georges Benèt fût cet homme ordinaire mais rayonnant, devenu en dessinant le témoin attachant d’un pays Kabyle devenu lointain dont les fantômes dansent encore sous ses crayons magiques… »
Sa biographie
Né en 1899 à Sidi-Aïch (Constantine), Benèt était tout d’abord, un Administrateur civil de Communes Mixtes non au sens de la théorie, mais de la diversité des communautés européenne, musulmane et kabyle dont il gérait la vie administrative ; et au profit desquelles il réalisa de nombreux travaux d’aménagement communal.
Sorte de « sous-préfet aux champs » dans des paysages grandioses, Benèt compense sa solitude sous le poids des tâches multiples et des conflits locaux par sa volonté constante de tisser des liens quasi-affectifs avec les hommes qui l’entouraient.
Doué pour le dessin, c’est par ce mode d’expression qu’il transmettra son regard humoristique porté sur ses proches en prenant plaisir à les caricaturer au moyen de tous supports, du bulletin de vote au cahier de brouillon, souvent à la plume ou au crayon gras rehaussé de craie ou de fusain. Il suffit de cligner des yeux sur les portraits de Bouzouar, de Mohand, du garde-champêtre, du géomètre, ou du Maire de Lavigerie pour deviner ce qui ne se voit pas, ce lien d’amitié, pratique sans le savoir du « vivre ensemble » rêvé aujourd’hui.
Georges Benèt parlait et écrivait couramment, à la fois l’arabe dialectal et la langue berbère kabyle (variante « Zouaoua »… terme à l’origine du mot « zouave »). Cette condition participait au rôle d’interface entre les populations indigènes dans le bled, les populations européennes (d’où une organisation mixte), et les services de l’Etat qui incombaient à l’Administrateur civil pendant la présence française en Algérie.
Créée en 1875 par le gouverneur Chanzy, après une rébellion kabyle, cette vaste circonscription rurale fût une expérience territoriale d’exception, à côté des « Communes de plein exercice », dirigée par un fonctionnaire nommé, aux pouvoirs très étendus.
Il était Maire (chargé des finances, de la sécurité OPJ et des élections locales ; gestionnaire des « chicayas » conflits d’intérêts et des procédures foncières) et représentant de l’Etat (port de l’uniforme, réception des Officiels avec son épouse et rédacteur de multiples rapports). En outre, chargé de l’éducation (construction d’écoles de 50 élèves accessibles grâce à l’ouverture de pistes) et de la mise en valeur des ressources économiques locales (réalisation de points d’eau potable, de centres d’apprentissage et d’artisanat, de ferme-pilote, de dispensaires de santé, gestion des crues et des incendie de forêt, lutte contre les sauterelles et aide technique et financière aux « fellahs » paysans), l’administrateur disposait de moyens et de personnels réduits (peu rémunéré mais logé et suivant une carrière limitée, celui que ses administrés appellent le « Hakem » le chef ou Khalifa, effectuait ses tournés à dos de mulet, puis en 4X4 land-rover).
Les Communes Mixtes regroupaient 3 unités de base : d’abord le Centre de Colonisation (gros village à population européenne dense) puis le Douar (village dont la population franco-musulmane élisait une assemblée gestionnaire au suffrage universel : la Djemaâ ayant un adjoint à sa tête : le Caïd ou le Bachaga ; chaque douar comportant des « Fractions » (hameau avec un Cheïk ou Agha), enfin les Centres Municipaux constituaient des douars-communes importants avec Maire élu.
Chaque équipe était assistée d’un « Khodja » (homme à tout faire et interprète), d’un garde-champêtre et d’un secrétaire. L ‘administrateur est aussi secondé par un cavalier (moghzani), un médecin et un architecte.
Ce relais entre l’Etat et le citoyen, malgré les liens de confiance créés, fût fragilisé par manque de moyens, et le statut d’administrateur civil disparût à la suite du décret du 26 juin 1956 qui supprima les Communes mixtes, les transformant en communes de plein exercice.
Affectations d’exercice de l’Administrateur Benèt :
1922 : Rédacteur à la Préfecture d’Oran
1923 : Administrateur adjoint à La Mina (Départ. D’Oran, Arrondt. Mostaganem)
1926 : Administrateur de la Commune Mixte d’Azazga (Départ. D’Alger, Arrondt. Tizi-Ouzou)
1940 : Sous-Préfecture de Batna
1945 : Administrateur de la Commune mixte d’Akbou (ex-Metz) (Départ. Constantine, Arrondt. Bougie (Petite Kabylie)
1946 : Administrateur de la Commune Mixte de Nedroma (Départ. Oran, Arrondt. Tlemcen)
1949 : Administrateur de la Commune Mixte de Draâ-El-Mizan (Départ. Alger, Arrondt. Tizi-Ouzou)
1950-1955 : Administrateur de la Commune Mixte de Djendel (ex-Lavigerie) (Départ. Alger, Arrondt. Miliana)
1955 : Affectation auprès du gouvernement Général, Alger
Passionné par la culture kabyle, Benèt a rédigé de nombreux contes et nouvelles à partir des traditions orales, et entretenu une correspondance amicale avec ses anciens contacts jusqu’à la fin de sa vie.
Extrait du journal de Georges Benèt écrit en 1932
Vie morne d bled. S’enterrer vivant à vingt-cinq ans, loin des théâtres et se priver des plaisirs se son âge. Et pour quelle raison ? Parce que mon père était administrateur et qu’il m’avait encouragé à faire le même métier que lui…
La crise de l’autorité me porte à croire que je suis peut-être un des derniers représentants de ce corps de fonctionnaires dont la création remonte à 1881. Leur rôle consiste à protéger les indigènes contre les abus car, on le sait, l’homme n’est pas parfait.
Les agents de services publics sont devenus par la force des choses, des maîtres-jacques dans ces contrées qui vivaient jusqu’à l’occupation française, dans un état tribal et anarchique. On peut se régaler à l’idée de l’indépendance des berbères ; c’est une notion qui ne résiste pas à la connaissance exacte des faits. Misère, maladies, luttes intestines (« çofs » : prononcer sof = guerre de clans), insécurité, tel était le lot de ces malheureux : comme toujours, les faibles, les pauvres étaient les seules victimes.
La seule vertu qui soit exigée d’un administrateur, c’est l’honnêteté absolue. Les chefs d’aghas, de caïds, d’employés indigènes, responsables devant le ministre de l’intérieur des malversations de leurs subordonnés, ont une tâche si lourde à remplir que si j’avais un fils, je ne voudrais pas qu’il choisisse le même métier que moi.
Et pourtant une amitié s’est développée sur les bancs des écoles de bled aux côtés de mes camarades algériens. En outre, existe en moi, de naissance, un goût puissant, irrésistible, de venir en aide aux petits, aux humbles, aux résignés, à tous ceux qui ne savent pas se défendre. Ma profession me permet de les secourir, pour autant qu’on ne diminuera pas mon autorité, c’est à dire mon pouvoir de punir les méchants, les voleurs, les assassins et ceux qui oppriment les faibles.
Je suis né dans un village kabyle. J’ai passé mon enfance dans les bleds. Le destin m’a octroyé des dons, celui de caricaturiste, celui de chanteur d’opéra. Je pourrais vivre à Paris, être célèbre. Je ne me sens pas attiré. Un mouvement intérieur m’incline vers l’existence rude et pauvre que je mène. Je n’explique rien, je constate.
Au moment où j’écris ces lignes, je suis seul dans mon bureau, un bureau bien laid, sale, vieux, poussiéreux, meublé de bric-à-brac, peint en vert avec des soubassements caca d’oie. Là dedans, je passe dix heures par jour.
Non loin de ma prison volontaire s’étend la forêt de Yakourène, les immenses forêts de Tizi-Oufella et d’Akfadou. Bien que mon tempérament artiste me pousse à les admirer, je n’ai guère le temps de m’arrêter sur les bords de l’oued El-Hammam, ni d’admirer le panorama des hauteurs du col de Tegma. Toutefois, au passage, je remplis mes yeux et mon cœur de ces paysages somptueux ; ils me permettent de supporter les mille inconvénients de mon difficile métier. Les hautes cimes du Djurdjura m’engagent à des envolées au dessus du train-train quotidien. Le Tamgort des Béni-Djennal (1278m) dresse à mon horizon sa merveilleuse arête.
Quand, par des sentiers muletiers, en la compagnie de Bouzouar, mon cavalier-moghzani, je parviens à son sommet à travers les forêts de chênes-lièges et de chênes farès, j’arrête ma monture : je suis heureux. C’est mon pays, ma province natale. Chacun des petits villages bâtis sur des éminences m’est connu en détail. J’y viens plusieurs fois par mois, non en touriste, mais oui… j’y viens en père soucieux du bien-être de ses nombreux « enfants ». le paternalisme n’est pas mon fait. Ce sont les Kabyles qui décrètent ma qualité.
On me dit : « tu es mon père », ou bien « sidi-khalifa »… (calife : le délégué des droits auprès des fidèles).
Source : Fonds mémoire – Carnoux Racines « Nota Benèt », en partenariat avec L’ASSOCIATION CARNOUX-RACINES, 4, rue du 14 juillet – BP 3, 13716 CARNOUX-EN-PROVENCE.
Les auteurs ne m‘en voudront pas de reprendre une partie de la biographie de Georges Benèt, issue de ce fascicule.