Il faut savoir :
que l'Algérie n'est pas, comme certains le croient, une terre de richesses fabuleuses où quelques gros colons, vautrés dans leur or, tiennent en esclavage une population d'indigènes faméliques.
Il faut savoir :
que sur 1 200 000 Français européens qui habitent l'Algérie, on compte à peine 21 000 colons,
21 000 colons dont 120 seulement ont des propriétés qui excèdent deux cents hectares,
dont 7 000 ne possèdent pas chacun dix hectares ;
qu'il y a donc en Algérie 1 180 000 Français européens qui ne sont pas des colons. Que sont-ils ? Des artisans, des employés, des ouvriers, des fonctionnaires, des commerçants, des avocats, des médecins, des ingénieurs... exactement comme on en voit à Draguignan, à Nevers et à Evreux ;
qu’en dehors d’une classe aisée qui comprend à peine 15 000 personnes, le revenu moyen de ces Français d’Algérie est inférieur de 20 % à celui des Français de la métropole.
Mais que ces Algériens, tout en restant profondément français, sont aussi attachés au pays qu’ils habitent que les Français de France le sont à leur province.
Car leurs grands-parents ou arrière-grands-parents, lorsqu’ils se sont établis en Algérie, n’y sont pas venus pour s’y enrichir et retourner ensuite chez eux ; ils y sont venus pour y vivre, pour s’y fixer définitivement, pour que leurs enfants y demeurent. Ils sont devenus des autochtones.
Il faut savoir :
que l’Algérie n’a que 11 millions d’hectares de terres cultivées (1),
et que sur ces 11 millions d’hectares, 9 millions, c’est-à-dire plus des trois quarts appartiennent à la population musulmane, 2 millions d’hectares seulement à des Européens.
Il faut savoir :
que la plus grande partie des terres européennes a été gagnée sur des steppes jadis incultes ou sur des marais jadis inhabités parce que mortellement insalubres (2) ;
que le vignoble algérien, qui occupe 372 000 hectares, a été, dans sa presque totalité, créé de toute pièce par des Européens, et qu’il distribue, chaque année, près de vingt milliard de francs de salaires (3).
IL FAUT SAVOIR AUSSI…
Il faut savoir :
que le pays qui se nomme aujourd’hui l’Algérie n’était pas en 1830, à l’arrivée des Français, un Etat comme l’étaient le Maroc et la Tunisie ;
que ce pays se composait alors d’un ensemble de tribus sans aucun lien entre elles ;
que ces tribus étaient même animées les unes envers les autres d’une hostilité que l’occupant turc avait pris bien soin d’entretenir, de crainte qu’une même haine pût les unir contre lui ;
que le sentiment de patrie était, chez ces populations, totalement ignoré ;
que ce pays n’avait même pas de nom. (4)
Il faut savoir :
qu’en ce pays régnait, à l’état endémique, la peste, la variole, le typhus, et que le chiffre de la population était en diminution constante depuis l’époque romaine ;
que ce chiffre de la population musulmane, qui était, en 1830, tombé à moins de deux millions, est aujourd’hui de huit millions trois cent mille ;
que la population musulmane s’accroît actuellement de 225 000 âmes chaque année – ce qui pose un grave problème sur le plan alimentaire (1) ;
qu’un des effets de cette progression démographique (2) est que la moitié de la population musulmane est âgée de moins de vingt ans.
Il faut savoir :
qu’avant l’arrivée des Français, les plaines étaient inhabitées, les cultivateurs ne pouvant se mettre à l’abri des pillards (3) qu’en demeurant dans les montagnes ;
que 700 centres ruraux furent alors créés et aménagés par l’Administration française, lesquels sont devenus des villages qu’habitent aujourd’hui les deux éléments de la population – et certains même des villes (comme Sidi-bel-Abbès, Boufarik, Tizi-Ouzou, Bordj-Bou-Arréridj…) ;
qu’en raison de leurs méthodes archaïques ; les agriculteurs musulmans n’obtenaient, jusqu’à ces dernières années, dans la culture des céréales, que des rendements très inférieurs à ceux qu’enregistrent les agriculteurs européens (4) ;
que l’éducation technique des agriculteurs musulmans a été dès lors organisée sur une grande échelle par la création d’organismes nommés Secteurs d’Amélioration Rurale (S.A.R.) qui, établis en grand nombre dans le bled, ont pour mission de mettre à la disposition du fellah du matériel moderne et de lui enseigner les méthodes rationnelles de travail (1) ;
qu’outre les nombreux forages de puits qui ont été pratiqués dans les régions dépourvues d’eau, onze grands barrages ont été construits, qui permettent d’irriguer 140 000 hectares.
IL FAUT SAVOIR ENCORE…
Il faut savoir :
que la nationalité française a été donnée à tous les Musulmans algériens par un senatus-consulte de 1865 ;
qu’une loi du 20 septembre 1947 a proclamé l’égalité absolue des droits entre Français d’origine métropolitaine et Français-Musulmans ;
que cette loi de 1947 déclare notamment toutes les fonctions dans les administrations, les services publics ou concédés, dans les armées de terre, de mer ou de l’air et dans la magistrature, également accessibles aux deux éléments ethniques ;
qu’un décret de mars 1956, tenant compte de ce que les jeunes musulmans éprouvent souvent, du fait de certaines coutumes familiales, un retard dans leurs études, a reculé, pour ceux-ci, la limite d’âge dans tous les examens et concours.
Il faut savoir :
que l’enseignement primaire compte, en Algérie, 12 000 classes fréquentées par 523 000 enfants, dont 350 000 enfants musulmans ;
que l’enseignement secondaire est donné, dans 51 lycées et collèges, à 35 000 élèves, tant européens que musulmans ;
que l’Université d’Alger, la troisième de France, compte 5 200 étudiants, dont 550 musulmans ;
que la formation professionnelle est donnée à plus de 12 000 élèves des deux groupes ethniques.
Il faut savoir :
que, dans toutes ces écoles, les enfants musulmans et européens sont reçus sans aucune distinction, comme ils le sont, du reste, partout (1). Coude à coude sur les bancs de l’école, les Français des deux origines se retrouvent coude à coude dans les rangs de l’armée où se forgent entre eux les liens d’une indestructible amitié. (2)
IL FAUT SAVOIR ENFIN…
Il faut savoir enfin, nous le disons un peu en désordre :
que l’équipement sanitaire de l’Algérie comprend :
- 150 hôpitaux, avec 30 000 lits (3),
- un Institut Pasteur,
- 2 000 médecins,
- des colonnes médicales mobiles qui luttent sans répit contre le paludisme, la tuberculose, le trachome (4),
- sans parler d’innombrables œuvres privées ;
que l’Algérie a :
- un réseau routier de 80 000 kilomètres sur lequel circulent 130 000 véhicules automobiles (voitures et cars),
- un réseau ferroviaire de 4 350 kilomètres, transportant chaque année 15 millions de voyageurs,
- 32 aérodromes, sur lesquels atterrissent annuellement 10 000 avions,
- 14 ports modernes,
- 16 000 kilomètres de lignes téléphoniques,
- Une production électrique de 950 millions de kilowatts-heure.
que l’Algérie est tout ensemble le principal client et le principal fournisseur de la métropole (1) ;
que les Français européens paient, à eux seuls, 80 % des impôts directs – lesquels sont consacrés, pour les neuf dixièmes, à l’amélioration des conditions de vie des populations musulmanes ;
que les Musulmans algériens qui travaillent en France envoient, chaque année, 40 milliards de francs à leurs familles ;
que les salaires agricoles sont les mêmes pour les Européens (2) et pour les Musulmans, et que ces salaires, bien que considérés par la France comme trop bas, sont à égalité avec ceux d’Espagne et d’Italie, et quatre à cinq fois supérieurs à ceux des fellahs des bords du Nil ;
que, pour faire face à l’accroissement de la population – lequel nécessite la création de 60 000 emplois nouveaux chaque année – il est fait actuellement un intense effort d’industrialisation de l’Algérie, notamment dans la zone de Colomb-Béchar où l’on trouve, en importants gisements, charbon, fer, manganèse, cuivre, et où a surgi, en quelques semaines, au milieu des dunes de sable, une véritable ville-champignon qui s’étend tous les jours ;
que cette industrialisation du Sud-algérien peut être puissamment aidée par la découverte faite récemment au Sahara de poches de gaz naturel dont l’une, celle de Djebel-Berga, près d’In-Salah, est d’une exceptionnelle importance ;
que la prospection minières faites au Sahara ont révélé l’existence d’importants gisements de fer, de cuivre, de plomb, de potasse, de tungstène, de nickel, d’étain, de chrome, d’uranium ;
que le seul gisement de fer de Tindouf pourra fournir quelque dix millions de tonnes annuellement, ce qui dépasse largement la capacité d’absorption de l’industrie française ;
Et disons, pour finir :
que les prospections pétrolières, pratiquées depuis 1952, sont confiées à quatre sociétés dans lesquelles les trois quarts des capitaux sont français ;
qu’en cinq points déjà les sondages se sont révélés productifs ;
que les réserves en pétrole du Sahara sont, d’après les estimations les plus modérées, de même importance que celle du Vénézuéla – dont la production annuelle représente actuellement le cinquième de la production mondiale ;
et qu’ « avant dix ans, a déclaré le président du Conseil Guy Mollet (1), le Sahara pourra satisfaire au moins la moitié des besoins de l’Europe. »
Mais n’oublions pas :
que le sous-sol saharien a d’autres richesses : ses nappes d’eau artésienne ;
que l’une d’elles, dite de l’Albien, d’une capacité de dix mille milliards de mètres cubes, s’étend, dans le Sud-Algérois, à une profondeur d’environ quatorze cents mètres, sur une superficie supérieure à celle de la France ;
que les moyens actuels de forage permettent de faire jaillir l’eau, en trois semaines ou un mois, en un point quelconque de cette vaste région et donc d’y créer autant de centres de culture qu’on le désirera ;
que pour commencer, des cités verdoyantes ne tarderont pas à apparaître à côté des puits de pétrole ;
et que, la vie se répandant de proche en proche sur toute l’étendue des régions aujourd’hui désertiques, le Sahara « peut devenir demain, comme le déclarait récemment M. M.-E. Naegelen devant l’Académie des sciences morales et politiques, une prodigieuse oasis qui étonnera le monde ».
Terminons sur cette réconfortante perspective qu’a développée en détail l’ancien Gouverneur général de l’Algérie, faisant sienne la formule du président du Conseil : « LE MIRACLE SAHARIEN SERA LA GRANDE TACHE DE NOTRE GENERATION ».
Et associons-nous à sa conclusion, lorsqu’insistant sur la nécessité de vocations sahariennes, il citait ce mot de M. Louis Armand, président du Bureau industriel africain : « Le Sahara devra être non seulement un réservoir de ressources minières et pétrolières, mais une école d’énergie et d’initiative pour les Français. »
Alger, avril 1957.