La vocation de l'Algérie est de faire la synthèse de l'Islam et de l'Occident
déclare M. le gouverneur NAEGELEN
ORAN (de notre envoyé spécial François Miralles). - « Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient l'oreille, je ferais cesser leurs divergences et lis deviendraient frères à l’l’intérieur et à l'extérieur ».
Ce souhait de l’émir Abd el-Kader est inscrit en lettres d’or sur la stèle élevée par l’Algérie française à la mémoire de celui qui fut pour la France le plus valeureux et loyal des adversaires.
L’émir Abd-el-Kader a certainement entendu les discours prononcés samedi à Cacherou, dans la région de Mascara, par l’émir Sehel, son petit-fils, Raymond d’Ortes, petit-neveu du maréchal Bugeaud, Georges Duhamel, de l’Académie française, et M. le ministre Naegelen. L’émir Abd-el-Kader est certainement satisfait. Son désir exprimé à la fin du siècle dernier est devenu aujourd’hui une réalité : les musulmans Français se sont intégrés à la nation française.
La stèle d’Abd-el-Kader
Sur l’éminence de Cacherou, qui commande les plaines et les coteaux fertiles de Mascara, ce fut un instant noble quand le drapeau tricolore, gardé par deux tirailleurs descendit lentement pour découvrir le monument dressé par l’Algérie et la France à la gloire et au souvenir de l’émir Abd-el-Kader, apôtre de l’union des Français et des musulmans. La stèle d’Abd-el-Kader pique un carré de gravier gris soutaché de terre rouge ; elle a la couleur des champs de blé mûr ; elle s’inscrit dans un paysage pastoral où l’olivier de paix voisine avec le peuplier du souvenir pour composer un haut-lieu propice à la méditation et à la contemplation.
Samedi, dans ce site fleuri de tricolore, seul le hennissement d’un cheval troublait le silence cependant que mille cavaliers montés sur des chevaux arabes pointaient les canons de leurs fusils de parade, dans un azur où fuyaient six avions pacifiques.
LES CÉRÉMONIESDE CACHEROU
L’Islam et l’Occident
On lira ailleurs l’essentiel des paroles d’amitié franco-musulmane prononcées par d’éminents orateurs.
L’émir Sehel parla en français, cependant que l’arrière-petit-neveu du maréchal Bugeaud plaidait en arabe (Ah ! le joli symbole) la cause désormais naturelle des solidarités algériennes. Dans son remarquable discours, l’émir Sehel a glorifié l’œuvre de la France, après avoir rappelé ce que fut la vie de son grand-père.
« Il est beau de penser que la France rend aujourd’hui un hommage éclatant à celui qui sut être un adversaire, mais non pas un contempteur, qui sut être un guerrier, mais aussi un chevalier loyal, mais encore un génie clairvoyant », s’écria M. Georges Duhamel en brossant le portrait de l’émir Abd-el-Kader.
Il appartenait à M. le Gouverneur général de l’Algérie, dont le discours fut ensuite traduit en arabe par M. Hadj Sadok, de tirer la leçon de cette grande journée. M. Naegelen rappela, en des termes d’une particulière élévation, « la vocation de l’Algérie qui est de faire la synthèse de l’Islam et de l’Occident et de les enrichir l’un par l’autre ».
L’amitié musulmane
La place nous manque pour rapporter les fortes pensées exprimées en cette mémorable cérémonie par M. le président de l’Assemblée algérienne Saïah Abdelkader, M. le président de la commission de l’agriculture Chergui Abdelkader, M. le conseiller du gouvernement Chekkal Ali et M. le conseiller de l’Union française Chekkal Daho. Ce dernier était fier à juste titre. N’a-t-il pas le mérite d’avoir eu le premier l’idée de réaliser cette stèle à l’émir Abd-el-Kader, rêvée depuis longtemps par Henry de Montherlant ?
Nous serions injustes de passer sous silence la diffa offerte sous la tente par les descendants de l’émir à leurs invités, c’est-à-dire à l’Algérie tout entière présente ou représentée à Cacherou. M. le président Chergui, le bachagha Ould Cadi Boulanfad et le caïd Belkheir Hadj Habib, tous les trois de la souche d’Abd-el-Kader, dressés sur des chevaux bardés d’argent et d’or, recevaient à Cacherou.
Nous renonçons à décrire la faste de leur hospitalité et l’aristocratie de leur allure.
Les personnalités à Cacherou
D’innombrables notables et élus étaient venus à Cacherou des quatre points cardinaux de l’Afrique du Nord et même du désert à la table officielle tapissée de laines orientales chantantes. Nous avons noté, autour de M. le Ministre et de Mme Naegelen et de M. le président de l’Assemblée algérienne Saïah Abdelkader, la présence de M. Surrugues, représentant le général d’armée Juin, résident général du Maroc ; de M. Pélabon, de M. Ernst, préfet de Constantine ; des généraux Préaud et de Vitrolles ; de M. l’émir Sehel et de M. d’Ortes, de M. Georges Duhamel et de M. le sénateur Benchya.
Le sens du voyage
Le voyage d’études en Oranie de M. Naegelen s’est poursuivi samedi après-midi par la visite de M. le gouverneur général au barrage de Bou-Hanifia et s’est terminé hier par la célébration du centenaire de Bou-Tlélis. Dans ce village, M. le président de la commission des finances de l’Assemblée algérienne Marcel Flinois et les élus de la région, ont dit avec chaleur, une fois de plus à M. Naegelen, les besoins de leurs contrées mais aussi l’orgueil de leurs réalisations. Ils ont su dire encore leurs espoirs de ce qui restait à faire et leur certitude que cela serait fait.
Au cours de cette randonnée oranienne, M. Naegelen a fait preuve d’une belle vaillance oratoire. M. le Gouverneur général a prononcé en quatre jours près de trente discours ou allocations. Partout il a été acclamé. Nous avons noté l’insistance de M. Naegelen à opposer la riche et étroite bande algérienne du Tell à l’immense et encore trop aride zone des hauts-plateaux.
M. Naegelen tourne de plus en plus ses regards vers le Sud. Nous ne croyons pas trahir sa pensée en voyant dans cette opposition son seul désir d’activer par ces temps difficiles la prospérité de nouvelles terres algériennes données à la production.
Cette prospérité n’est-elle pas seule apte à nourrir et à rendre heureuse une Algérie dont la natalité croit à une allure vertigineuse ?
François MIRALLES
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France